Soudan : du régime islamo-militaire au chaos…<!-- --> | Atlantico.fr
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De la fumée s'élève dans le sud de Khartoum le 29 mai 2023, au milieu des combats en cours entre deux généraux rivaux au Soudan.
De la fumée s'élève dans le sud de Khartoum le 29 mai 2023, au milieu des combats en cours entre deux généraux rivaux au Soudan.
©AFP

Khartoum

L’Arabie saoudite et les Etats-Unis ont annoncé la prolongation pour cinq jours d’une trêve au Soudan, théoriquement entamée il y a une semaine mais en réalité jamais appliquée, pour « permettre plus d’efforts humanitaires ».

Christian Vallar

Christian Vallar

Christian Vallar est Professeur agrégé de droit public, Doyen honoraire de la Faculté de Droit et science politique Université Côte d’Azur.

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Le 22 mai à Ryad, après 15 jours de négociation ardue sous l’égide des USA et du Royaume saoudien, les deux protagonistes de la nouvelle guerre civile soudanaise ont conclu une trêve d’une semaine, applaudie par l’ONU, l’Union africaine et le Bloc d’Afrique de l’Est. Mais dès le jeudi 25 les accusations de violation du cessez-le-feu fusent des deux côtés… Le scénario à l’identique des précédentes trêves avortées à l’identique.

La France a évacué son personnel diplomatique et ses ressortissants (peu nombreux au demeurant, 250) du Soudan dès le 23 avril, ponctuant une quinzaine déjà meurtrière qui déstabilise le pays en profondeur dans lequel se multiplient réfugiés et déplacés. « C’est insensé et cela doit cesser » se désolait le Président américain Biden le 22 avril.

Que se passe-t-il dans cet Etat africain, antique Nubie des pharaons noirs, peu connu en Occident ?

Omar el Bechir : une dictature islamo-militaire

Le royaume de Koush (du XXV° au XVI° siècle avant notre ère, un des plus vieux Etats du monde dont les pharaons noirs ont dominé l’Egypte) auquel succèdent d’autres systèmes politiques, royaumes et sultanats, est envahi par l’Egypte dirigée par Méhemet Ali en 1820, qui en assure la tutelle avec le soutien britannique (contre le soulèvementmahdiste de 1885).

La proclamation de l‘indépendance en 1956 marque le début de la tragique saga contemporaine soudanaise. Les provinces chrétiennes et animistes du sud se soulèvent aussitôt à cause du refus du nouveau gouvernement d’instaurer une fédération, la guerre civile dure jusqu’en 1972…cependant que communistes et anti- communistes s’affrontent à Khartoum où les coups d’Etat se succèdent.

Mais l’adoption en 1983 par le colonel devenu Président Gafar Nimeiri du droit pénal islamique relance la guerre avec le sud, cette islamisation étant confirmée en 1991 par le général Omar el Béchir à la suite d’un nouveau coup d’Etat (1989), à l’évidence mode coutumier de dévolution du pouvoir…Appuyé par les islamistes du Front national islamique dirigé par Hassan el Tourabi, docteur en droit public de la Sorbonne, Président de l’Assemblée nationale, il le fait arrêter ensuite, cette figure de l’islam politique lui faisant ombrage.

Les relations avec les Etats-Unis se tendent : dès 1993 le régime se voit reprocher son soutien aux mouvements jihadistes, et à ce titre inscrit sur la liste noire américaine.

La dictature islamo militaire affronte non seulement la rébellion du sud, qui s’achève avec les accords de Nairobi du 9 janvier 2005 et le référendum d’autodétermination du 9 janvier 2011 qui débouche sur la création de l’Etat du Soudan du sud la même année (privant ainsi de 85% des ressources en pétrole Khartoum), mais aussi la rébellion de la province occidentale du Darfour à compter de 2003 jusqu’à octobre 2020, la situation restant brûlante depuis.

Dans ce dernier cas aucun facteur religieux n’entre en ligne de cause, les populations concernées étant musulmanes, mais formées d’agriculteurs noirs en conflit avec une minorité arabe d’éleveurs soutenue par le pouvoir en place. Les milices arabes dites Janjawid (hordes ou démons à cheval selon la traduction), officieusement à ses ordres, se font alors tristement connaitre…L’O N U évalue à 300 000 morts le triste bilan de cette guerre civile ponctuée de viols et massacres de civils, malgré la présence de forces de maintiende la paix (mais est-ce une surprise ?), ce qui entrainera la Cour pénale internationale à émettre à l’encontre du Président Béchir un mandat d’arrêt international en mars 2009 et juillet 2010 pour crime de guerre, crime contre l’humanité et génocide.

Face aux manifestations populaires croissantes dans le pays, engendrées par la situation économique difficile, ce dernier est destitué par l’armée le 11 avril 2019 et remplacé par le Conseil militaire de transition, devenu le Conseil de souveraineté composé à parité de militaires et de civils.

De l’ébauche de transition démocratique au chaos

Dés lors l’espoir d’un printemps soudanais se fait jour. Des forces politiques issues des rangs de la société civile et de la classe politique (parti communiste, parti Umma) s’accordent avec les militaires menés par le général Abdel Fatta Al Burhan et Mohamed Hamdan Dogolo dit Hemati, commandant des forces de soutien rapides depuis 2013 sur l’institution du Conseilsouverain, chef d’Etat collectif, composé de 11 membres civils et militaires, placé sous la présidence d’Al Burhan pour 21 mois, le 20 août 2019.

L’objectif est le retour à la démocratie et au pouvoir civil. Un gouvernement de transition est nommé, dirigé par un économiste, Abdallah Hamdock.- Des élections législatives sont annoncées pour 2024.

Les attentes sont vite cruellement déçues. La foule manifeste son exigence de la mise en œuvre du processus en octobre 2021, ce qui entraine au contraire un coup d’Etat le 25octobre (décidément la technique de dévolution du pouvoir la plus usitée). Le général Al Burhan dissout le gouvernement, le Conseil souverain et proclame l’état d’urgence, réprimant sans états d’âme les manifestants dans les principales villes du pays. Les arrestations des leaders de l’opposition se multiplient.

Le 11 novembre un nouveau Conseil souverain est désigné par le général qui en demeure le président, secondé par « Hemati ». Sont nommés des personnalités dont certaines liés au dictateur El Béchir et à la mouvance islamiste. Ce dernier point n’est pas surprenant, l’armée étant largement pénétrée par celle-ci.

L’aide internationale est suspendue, parles USA mais aussi la Banque mondiale, entrainant la baisse de 40% des recettes du Soudan, qui est alors frappé par une inflation galopante (200% par mois en moyenne).

Le 5 décembre 2022 un accord cadre de transition vers un régime civil, avec une médiation internationale, est conclu entre les deux chefs Al Burhan et « Hemeti » outre des forces civiles, précédant l’accord final annoncé pour le 1° avril 2013. Malheureusement la signature est repoussée par deux fois, et le 13 avril le conflit éclate brutalement entre les forces armées et les paramilitaires des FSR.

Mais quelle est la nature des deux forces combattantes ? quels sont leurs soutiens internationaux ?

Le général Abdel Fattah Al Burhan est le chef de l’armée soudanaise, et le principal responsable du coup d’Etat de 2021.Formé en Egypte, il bénéficie de son aide, même si parmi ses alliés figurent les islamistes de l’époque Béchir (Il est d’ailleurs significatif que parmi les prisonniers libérés manu militari de la prison d’Omdourman figure le « gang de Kober », composé de criminels anciens responsables du régime Béchir et du parti du congrès national, islamiste). C’est pourquoi des avions et des forces spéciales égyptiennes sont présents dans les affrontements. Il représente pour Le Caire la stabilité. Ses rapports personnels avec Benyamin Netanyahou sont des meilleurs. En revanche les USA sont plus réticents et aucun des deux rivaux a priori n’a leur préférence.

Le Président Béchir institue en 2013 une force paramilitaire placée sous l’autorité des services de renseignement pour combattre les oppositions armées à son régime : les Forces de soutien rapide, avec à leur tête Mohamed Hamdane Dagalo dit « Hemetti ».Elles puisent leurs effectifs dans les milices Janjawid qui ont écumé le Darfour, « Hemetti » étant alors un de leurs chefs de guerre.

De façon très classique pour une dictature, El Béchir joue l’un contre l’autre ces deux organes, sans omettre l’ajout de la police et des services de renseignement (dont les FSR sont détachées en 2017), afin qu’ils se paralysent les uns les autres. Cela n’empêche pas son renversement par ses créatures en 2019, chacune s’émancipant l’une de l’autre. Un motif majeur de leur lutte fratricide réside dans les modalités d’intégration au sein de l’armée des FSR.

Mais quels sont les parrains des FSR ? L’Arabie saoudite et encore plus les Emirats arabes unis y figurent sans ambages. Des milliards de dollars d’or sont exportés sur Abou Dhabi chaque année, et « Hemetti » y a une large part car il contrôle des mines d’or, au Darfour notamment.

Et des combattants des FSR ont été se battre au Yémen au sein de la coalition menée par Ryad contre la rébellion chiite houthiste aidée par l’Iran.

La Russie est présente depuis quelques années au Soudan, intéressée par les ressources aurifères et la position stratégique sur la mer rouge de Port Soudan, envisagée comme lieu d’installation d’une base navale. En tant qu’Etat elle appelle au cessez le feu et à une entente entre les deux adversaires, mais cela ne saurait occulter l’intervention officieuse du fameux groupe Wagner.

Installé au Soudan depuis 2017, il a combattu aux côtés des FSR au Darfour et exploite des mines d’or. CNN affirme qu’il leur a livré des missiles sol air tout récemment. La Russie est donc officiellement et très discrètement bien présente au Soudan.

Cette guerre civile de conquête du pouvoir, car c’est bien de cela dont il s’agit, a des conséquences dramatiques pour le pays et son voisinage. Au moins 20 000 personnes ont fui au Tchad qui abrite déjà 400 000 réfugiés soudanais. L’on compte un million de déplacés et 300 000 réfugiés, d’après les chiffres des Nations-Unies. Tchad, Libye, Ethiopie sont susceptibles d’intervenir d’une façon ou d’une autre. L’ensemble du Soudan est impacté, et pas seulement la capitale, entrainant des mouvements d’exode des populations qui peuvent fuir.

L’évacuation des ressortissants étrangers de toutes nationalités, européens, chinois turcs, éthiopiens, égyptiens, souvent aidés par la France, a été massive. Le nombre des victimes civiles, plus de 1800 morts et des milliers de blessés, va malheureusement s’accroitre au fil des combats et malgré les cessez le feu tel celui du 22 mai.

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