SOS démocraties en danger : vrai désir de leadership autoritaire ou seul moyen de se faire entendre des élites ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des partisans de Donald Trump lors d'un rassemblement le 10 février 2024 à Conway, en Caroline du Sud.
Des partisans de Donald Trump lors d'un rassemblement le 10 février 2024 à Conway, en Caroline du Sud.
©GAGNEZ MCNAMEE / Getty Images via AFP

Message dans les urnes

Les sondages et les enquêtes d'opinion révèlent que les citoyens du monde entier sont de plus en plus nombreux à souhaiter l'arrivée au pouvoir d'un régime autoritaire. Cette volonté d'une partie des électeurs ne cache-t-elle pas un message politique adressé aux dirigeants ?

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Alain Wallon

Alain Wallon

Alain Wallon a été chef d'unité à la DG Traduction de la Commission européenne, après avoir créé et dirigé le secteur des drogues synthétiques à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, agence de l'UE sise à Lisbonne. C'est aussi un ancien journaliste, chef dans les années 1980 du desk Etranger du quotidien Libération. Alain Wallon est diplômé en anthropologie sociale de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, VIème section devenue ultérieurement l'Ehess.

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Atlantico : Différentes enquêtes d’opinion, notamment aux Etats-Unis, témoignent d’une aspiration à un régime autoritaire chez les citoyens. Lorsque les électeurs expriment ce sentiment, qu’est-ce que cela traduit réellement ? Est-ce que cela ne s’apparente pas à un message adressé comme un avertissement aux élites politiques ?

Raoul Magni-Berton : Tout d'abord, l'aspiration à un régime autoritaire reste très minoritaire dans les sondages. Ce qu'il faut expliquer est pourquoi elle est en augmentation. Cela me semble essentiellement lié à l'idée qu'en suivant les règles légales du système certaines personnes ne gagneront jamais. Dans un article sorti récemment sur la montée des attitudes révolutionnaires dans les pays européens, nous montrons que celles-ci augmentent quand les gens soutiennent un parti qui non seulement a perdu les élections, mais que sa défaite lui enlève toute influence sur la vie politique et qu'il n'a pratiquement aucune chance de gagner la prochaine fois. Dans ces conditions, la promesse démocratiques qui consiste à dire que dans ce régime on peut gagner des batailles pacifiquement n'est pas crédible. L'envie de prendre les armes est la dernière envie possible chez la plupart des gens, et elle arrive quand les autres options sont fermées.

Naturellement, il y a un fossé entre l'envie d'un tournant non-démocratique et le fait d'y prendre part. Prendre part à un changement violent est une action très particulière, qui est le plus souvent le fait d'une minorité de personnes déjà habituée à la violence. Mais l'aspiration à un régime autoritaire peut permettre une tolérance à l'égard d'action violente qui est tout de même dangereuse pour la démocratie. C'est pourquoi quand une démocratie fonctionne mal - comme les Etats-Unis au niveau fédéral ou la France - elle se met en danger toute seule.

Alain Wallon : A partir du moment où le populisme apparaît comme proposant une solution ou une alternative possible pour les électeurs, cela contribue à fragiliser la confiance en la démocratie mais cela envoie aussi un message à la classe politique. De nouveaux défis apparaissent aujourd’hui aux yeux des électeurs, en particulier le retour de la guerre sur le territoire européen, défis dont ils ne mesurent pas toujours à quel point elle les concerne, sauf quand ils regardent leur portefeuille et leur pouvoir d'achat. Tout le monde en effet n'a pas la capacité d’avoir le recul historique ou une vision géopolitique qui permette de comprendre pourquoi l'invasion russe de l'Ukraine a des conséquences mondiales, d’abord et surtout en Europe. Les citoyens sont naturellement d’abord focalisés sur la fin du mois, leurs besoins immédiats, l'augmentation actuelle du prix du carburant, de l'électricité ou du gaz ainsi que des denrées alimentaires. Les partis populistes ou conservateurs ont l’avantage, par la simplicité de leur discours, de pouvoir instrumentaliser et surfer sur ces éléments-là en laissant entendre que les questions géopolitiques ont été mal comprises et que ce qui compte avant tout est une solution politique nationale. Cette aspiration à un régime autoritaire se radicalise depuis plusieurs années aux Etats-Unis autour de Donald Trump dont un éventuel nouveau terme à la présidence de son pays aurait de lourdes et probablement néfastes conséquences pour ses alliés en Europe, tant sur le plan militaire face aux ambitions russes que sur le plan politique intérieur sur tout notre vieux continent. Nous en avons déjà pour preuve la victoire de partis populistes en en Italie, en Hongrie ou en Slovaquie et leur progression dans d’autres pays de l’Union européenne comme la France, les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark et jusqu’en Suède. 

Est-ce que la démocratie n’est-elle pas en danger au regard d'un sondage aux Etats-Unis qui démontre que les Américains ne cachent pas leur volonté de repli et leur aspiration à un régime autoritaire, vers l'autocratie ?

Alain Wallon : Les Etats-Unis ne sont pas le seul pays concerné par cette tentation populiste des électeurs. Cela a aussi été le cas très récemment en Argentine et précédemment au Brésil. La menace réelle de ces sondages serait qu’ils finissent par dépasser la barre des 50 %. Cela pourrait  aboutir dans les urnes à l’élection d’un chef d'Etat soutenu par une majorité parlementaire en phase avec ces idées conservatrices et autoritaires. Aux Etats-Unis, la nouvelle candidature du président sortant Joe Biden laisse nombre d'électeurs démocrates dubitatifs sur sa capacité à affronter victorieusement Donald Trump.

La conjoncture en Europe est inquiétante, notamment sur le plan économique, et cela interroge sur la capacité de la plupart des pays démocratiques à trouver des systèmes de participation aux décisions qui permettent aux citoyens d’avoir pas uniquement l’impression mais la certitude que la réponse démocratique va améliorer leur vie quotidienne et leurs conditions de vie de tous les jours. Cette situation et cette inquiétude ont été exprimées très récemment via la mobilisation des agriculteurs en Belgique, en France, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Ce malaise et cette inquiétude contribuent à des mouvements électoraux qui peuvent pencher vers des solutions radicales afin d’adresser un message à la classe dirigeante, prolongeant des revendications concrètes exprimées dans la rue par des mouvements sociaux qui entendent dénoncer l’action et la politique menées par le pouvoir en place. Sur un  tel terrain, le discours populiste est très prégnant.

Les électeurs trumpistes aux Etats-Unis ou les Gilets jaunes qui sont capables de dire qu’ils aspirent à des régimes autoritaires sont les mêmes qui se méfient comme de la peste de tout ce qui apparaît comme du contrôle social. Les mêmes citoyens qui ne voulaient pas du QR code, du pass sanitaire veulent pourtant préserver leur pré carré de liberté personnelle. Il y a paradoxalement une demande de distanciation vis-à-vis de l’Etat et une demande de régime autoritaire, les deux en même temps. Cela ne démontre-t-il pas que le régime autoritaire n’est pas réellement et sincèrement souhaité par les citoyens ? Les citoyens mécontents ne souhaitent-ils pas plutôt un redressement et un moindre laxisme des régimes démocratiques ? Qu’est-ce que cela nous dit des véritables aspirations des citoyens ? Quel est le sens politique de ces contradictions ? Qu’est-ce que ces contradictions révèlent ?

Raoul Magni-Berton : Les Gilets Jaunes ont été l'un des mouvements les plus importants de l'histoire française, et pourtant ils n'ont rien obtenu. Pire encore, le Président contre qui ils se sont mobilisés, a été réélu et est encore à la tête du gouvernement, malgré une popularité faible dans les sondages. On peut parfaitement comprendre que se développe chez les gens l'idée que dans notre pays, ils n'auront jamais aucune influence sur la politique, qu'il y a un gouvernement illégitime, et que son élection ne correspond en rien à un processus démocratique ouvert. Dès lors, en effet, ils peuvent penser que toute ingérence de l'Etat dans leur vie est injustifiée, voir dangereuse, et, en même temps, que pour changer les choses les processus prévus par notre Constitution sont insuffisants, et qu'il n'y a pas le choix de passer par autre chose, par exemple un coup d'état. Les deux idées ont l'air contradictoires d'un point de vue idéologique, mais elles sont parfaitement compatibles si on se met dans la situation de beaucoup de gens. Ils n'aiment pas les régimes autoritaires en soi, mais ils pensent parfois qu'ils peuvent être une solution pour sortir leur pays d'une situation où ils seront toujours perdants. L'électorat de Trump, aux Etats-Unis, a vu se lever contre leur candidat une énorme machine médiatique, juridique, et politique, si bien qu'ils peuvent penser que leur système politique ne laissera plus de place pour les gens comme eux.

Alain Wallon : Les citoyens quand ils se mobilisent cherchent avant tout à adresser un message, un signal fort à la classe dirigeante. Quand les électeurs sont interrogés en profondeur, ils ne se prononcent pas majoritairement pour une solution extrémiste et autoritaire. Non, ils estiment seulement qu’en faisant peur au pouvoir en place, cela l'obligera à réagir, à changer de politique à leur profit. Les citoyens mécontents vont chercher à envoyer le signal le plus fort possible. Mais cela ne veut pas dire qu'ils adhèrent réellement aux thèses autoritaires ou qu’ils souhaitent changer de régime. La plupart ne connaissent même pas le programme du parti en question ni ses objectifs de long terme, ce qui par ailleurs peut les tromper sur sa véritable nature. C’est le cas actuellement en Argentine, avec des grèves nationales et des mouvements massifs de contestation alors que les électeurs ont voté il y a à peine trois mois pour le dirigeant populiste Javier Milei. Cela peut être le cas en France demain. La montée du parti d’extrême-droite AfD en Allemagne est également un fait préoccupant. Il est donc important d’aller au-delà des apparences des sondages afin de déceler et analyser plus finement les paradoxes au sein des aspirations des citoyens.

Au regard de l'importance de l’année 2024 sur le plan politique avec les élections en Russie, aux Etats-Unis et avec le scrutin européen, est-ce que les démocraties sont vraiment en danger ? Que faudrait-il faire pour y remédier ? Les élites politiques pourraient-elles se remettre en cause ?

Alain Wallon : Le cas du veto hongrois sur le soutien à l’Ukraine illustre la capacité de réaction européenne face à la tentation autoritaire. L'Union européenne a été jusqu'à brandir la menace du retrait de son droit de vote à un Etat membre en cas de violation de l'Etat de droit et pu ainsi faire plier Viktor Orban. Il y a donc des prises de conscience positives au sein de l'élite et de la classe dirigeante.

Reste la grande difficulté pour les pouvoir en place dans une démocratie de répondre de façon rapide et donc efficace à des besoins urgents qui ont pourtant été qualifiés comme étant prioritaires. Contrairement aux pouvoirs autoritaires, aux dictatures, les systèmes démocratiques supposent pour décider de passer par la construction forcément laborieuse de consensus, par des alliances souvent provisoires et donc fragiles. Les citoyens, eux, voient surtout que les actions concrètes mettent trop de temps à se réaliser dans les faits, malgré les nombreuses promesses.

S’il n'y a pas une prise de conscience du danger que cette aspiration à un régime autoritaire ou à l’élection de dirigeants populistes représente pour le système en place, les élites politiques risquent d’être chassées du pouvoir lors des prochains scrutins et mises à l’écart du banc politique. Il y a donc un vrai risque, à la fois conjoncturel et de plus long terme. La guerre en Ukraine peut alimenter insensiblement une méfiance puis un rejet de la politique menée même si la majorité des Français soutient l’effort de guerre face à l’agression russe, y compris concernant les livraisons d’armes et sur la volonté de l'Ukraine de retrouver sa souveraineté.

Il y a donc bien une tentation montante d'aller voter pour des partis populistes qui promettent le beurre et l'argent du beurre, même si une partie encore majoritaire de la population ne tombe pas dans ce piège. Car le pourcentage de personnes qui annoncent vouloir voter pour l'extrême-droite dans plusieurs pays progresse et cela peut parfois aboutir à des victoires électorales comme en Italie. Dans une telle situation à la fois tendue et complexe, les dirigeants doivent sans attendre répondre enfin concrètement aux attentes des citoyens afin de dissiper ces tentations et le risque de de la bascule vers des régimes autoritaires dont les populismes sont généralement l’antichambre.

Les citoyens qui indiquent dans un sondage qu’ils sont en faveur d’un régime autoritaire, qui admirent Vladimir Poutine, qui dénoncent l’Etat profond ou qui sont opposés au 49.3 ne seraient-ils pas les premiers à être épouvantés de devoir vivre dans un système autoritaire digne de Vladimir Poutine sur le plan institutionnel ?

Raoul Magni-Berton : Bien sûr, en France la très grande majorité des gens est attachée à la liberté. Les gens qui déclarent admirer Poutine ne vont pas pour autant vivre en Russie, ni ne considèrent la politique russe exemplaire. Simplement, ils ont quelque chose en commun avec Poutine: ils sont méprisés par les gouvernements des puissances occidentales. Pour le gouvernement et une large partie des médias américains, les soutiens de Trump sont les méchants, comme l'est Poutine. En France, nous avons la même chose avec les gilets jaunes, mais aussi les électeurs du Rassemblement National ou, plus récemment, ceux de la France Insoumise. Ce sont toutes des personnes qui peuvent très bien comprendre ce que signifie que d'être marginalisés et méprisés, et qui, de ce fait, comprennent la réaction de Poutine et, parfois, l'admirent, dans la mesure où il a su s'opposer à l'OTAN. Bref: personne ne veut vivre dans un système autoritaire, et le soutien à celui-ci n'est que le reflet que certaines personnes ne souhaitent pas non plus vivre dans un système comme le leur et souhaitent en sortir d'une manière ou d'une autre.

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