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Sorry Mrs May, internet n'est pas un repaire à terroristes quoique vous en pensiez
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Conclusion hâtive

Chaque grande attaque terroriste qui frappe le sol occidental suscite des critiques violentes d’Internet. Dernier exemple en date, la déclaration de Theresa May à l’ONU, à la suite de celles qu’elle avait faites lors des attentats de Londres en juillet 2017, selon laquelle Internet serait, avec la complicité des géants du Web, un paradis pour les terroristes.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Disons-le tout net : une telle vision du net, fondée sur le sensationnalisme d’affaires récentes, aussi tragiques soient-elles, est fausse. Elle appréhende de manière caricaturale le cyberespace, rendez-vous de tous les malfaisants (pédophiles, terroristes, trafiquants). Or, faut-il le rappeler, tous les sites ne sont pas des supermarchés de l’interdit comme le défunt silk road. L’existence d’un dark web (criminel) ne peut être contestée mais elle est souvent confondue avec celle du deep web (ensemble des sites non-accessibles par des moteurs de recherche). Du cyberespace comme vecteur de liberté lors des Printemps arabes au cyberespace lieu des organisations criminelles, il n’y a que quelques années d’écart.

Au-delà de cette vision noire, le cyberespace est également – c’est sa fonction première – un réseau de réseaux servant à connecter les Hommes. Avant celui-ci aurait-on pensé à la possibilité pour n’importe qui, où qu’il soit, d’assister à un cours en ligne des plus grandes universités ? Où peut-on trouver une telle compilation de connaissances, avec les plus grandes bibliothèques du monde mettant en accès libre leurs fonds anciens comme le Gallica de la BNF ? La réponse est simple : nulle part. Relier les Hommes, sans filtre, c’est aussi ouvrir la possibilité que ces derniers, c’est dans leur nature – hobbesienne ou freudienne c’est selon – ne s’en serve parfois pour des usages violents et potentiellement criminels.

Est-il également permis de rappeler que le terrorisme n’est pas né avec Internet ?Le 11 septembre a eu lieu sans Internet – souvenons-nous d’Al Qaeda époque Ben Laden avec ses cassettes audio – de même que la plupart des grandes vagues terroristes depuis la fin de la Seconde guerre mondiale (extrême gauche européenne des années 70-80, Palestiniens (OLP, Hamas) des années 70-90, Hezbollah libanais, etc.). Pour les terroristes, Internet est simplement un canal de communication servant au recrutement et à la propagande. Le médiologue canadien Marshall McLuhan faisait au siècle dernier un constat simple : le terrorisme nait, vit et meurt par l’image. Il faut donc imposer le black-out communicationnel pour le vaincre. Cette solution appliquée à l’Internet actuel s’avèrerait totalement contreproductive. Daesh, comme hier les Brigades rouges qui avaient mis en place la « stratégie de la tension » consistant à frapper en tous lieux, chercher à propager la peur. Daech ne vise pas autre chose et la mise en œuvre d’une législation d’exception sur le net, forcément restrictive, aboutira à l’effet recherché par les terroristes. La modération à l’excès, le contrôle de la parole induits par ce type de règlementation aboutiraient à la victoire -symbolique – des terroristes islamistes. Toute concession sur notre mode de vie est en effet leur victoire, celle qui précipite la fin de notre civilisation.

Est-ce à dire qu’il ne faut rien faire sur Internet ? Bien évidemment non. Par exemple, les grandes entreprises du Net ont fait progresser significativement les mécanismes de retrait des contenus sur signalement, ce qui permet de conserver un modèle ouvert et la démocratisation des moyens d’expression. Mais ce modèle ouvert est fragile et on peut rapidement tomber dans la censure pure et simple. L’exemple turc, avec la criminalisation de la consultation de certains sites depuis 2014 n’a pas réglé les problèmes d’Ankara, loin de là. Couper l’accès aux sites – en mettant l’accent sur les entreprises – c’est refuser de s’intéresser à la question des accès (ou des tuyaux) qui est du ressort des Etats eux-mêmes. Au-delà même de cette question qui ne serait aussi qu’un pis-aller, il faut s’intéresser au contenu des sites jihadistes, combattre le fond par le fond, la propagande par l’information. Une lutte efficace contre le terrorisme implique de le traiter avec sérieux et méthode, en mettant en œuvre des actions de renseignement – pour identifier les auteurs – et de contre-discours ciblé, selon les valeurs des différents individus (recrue potentielle, membre engagé, recruteur, idéologue, etc.).

En définitive, le cyberespace est un amplificateur, une chambre d’écho géante de nos sociétés, dans ce qu’elles ont de pire comme de meilleur. L’accès à la connaissance et à la science y côtoie ainsi le pire. Casser cette logique de la liberté d’accès à la connaissance reviendrait au fond à détruire l’essence d’Internet. Et sacrifier la liberté d’expression sur internet ne peut pas être un substitut à la responsabilité des politiques en matière de lutte contre le terrorisme.Il faut donc collaborer plus que contraindre, une vision bien dans l’esprit « web » au fond.

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