Le mirage Berlusconi cache le désert de la vie politique italienne<!-- --> | Atlantico.fr
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Un proche conseiller de Silvio Berlusconi aurait évoqué la démission prochaine du Cavaliere.
Un proche conseiller de Silvio Berlusconi aurait évoqué la démission prochaine du Cavaliere.
©Reuters

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Le chef d'État italien est en "difficulté" après des défections au sein de son propre parti. Un conseiller, Giuliano Ferrara, aurait même évoqué une prochaine démission... démentie par le "Cavaliere". Mais si Silvio Berlusconi quitte le pouvoir, personne ne semble être en mesure de le remplacer.

Marc Lazar

Marc Lazar

Marc Lazar est professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po où il dirige le Centre d’Histoire. Il est aussi Président de la School of government de la Luiss (Rome). Avec IlvoDiamanti, il a publié récemment, Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties chez Gallimard. 

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Atlantico : Un proche conseiller de Silvio Berlusconi aurait évoqué la démission prochaine du Cavaliere. Bien que celle-ci ait été démentie, qui d’autre pourrait aujourd'hui le remplacer à la tête de l'Italie ?

Marc Lazar : C'est une question qui soulève un énorme point d’interrogation. Si Silvio Berlusconi tombe, et il tombera puisqu'il est désormais lâché par ses troupes, jusqu'à ses fidèles, je vois mal ce qui pourrait se passer. Plusieurs formules parlementaires sont envisageables : un nouveau gouvernement de centre droit dirigé par une autre personnalité, un gouvernement d’union nationale, un gouvernement de technocrates comme en 1993 à 1994 avec Carlo Azeglio Ciampi (ancien Gouverneur de la Banque d’Italie), ou des élections anticipées… Ce ne sont malheureusement que des hypothèses.

Reste qu'il n'y pas aujourd'hui de leader de substitution à Silvio Berlusconi, ni dans son camps ni dans l'opposition, et encore moins dans la société civile. L'Italie se trouve donc dans une situation paradoxale. Silvio Berlusconi a incarné pendant 17 ans la personnalisation de la vie politique italienne, il a répondu à l'attente et à la demande de leadership. Mais une fois ce dernier sortit de scène, personne ne voit qui pourrait occuper l'espace libéré. Son éminence grises, Gianni Letta, n’est pas assez charismatique. Dans l’opposition, il n’y a aucun leader d’envergure, aussi bien dans les partis politiques du centre que de la gauche. Dans la société civile, le patron de Ferrari, Luca di Montezemolo, essaie d’occuper cet espace pour se présenter en dernier recours, mais souffre de nombreux handicaps car il n’est pas issu du monde politique. Enfin, l’ancien Commissaire européen, Mario Monti, serait susceptible de rassurer les milieux économiques et financiers, mais ne jouit pas d'une envergure suffisante pour faire carrière en politique.

En définitive, Silvio Berlusconi a révolutionné la politique italienne, en introduisant l’importance de la télévision, du rôle de la communication, et de la position de leader politique. Si bien que les Italiens risqueraient d'être orphelins, alors qu'ils aimeraient disposer d’une autre personne de référence politique, aussi bien dans l’opposition que dans le camps du Cavaliere. En partant, il laisserait un grand vide en terme de leadership politique, et cela ne règlerait pas tous les problèmes italiens qui sont considérables, et supposent de repenser l’organisation politique, économique et sociale du pays.

Comment l’Italie en est-elle arrivée à une situation aussi désastreuse ?

A ce jour et depuis quelques semaines, le problème est essentiellement lié la crédibilité politique de Silvio Berlusconi. Le gouvernement a navigué à l’aveugle depuis cet été, faisant une série de propositions de rigueur, sans qu'une véritable ligne directrice puisse être dégagée. Cela révèle de graves problèmes de fond concernant l’Italie, impliquant à la fois ses finances publiques, la perte de sa compétitivité, et sa stagnation économique depuis plus d’une décennie. Son modèle de développement économique, lié aux petites entreprises manufacturières, arrive à une sorte de voie d’épuisement, et demande à être renouvelé. Car ces petites entreprises qui étaient sur des secteurs d’activité de type chaussures, textiles, habillements, se sont vues concurrencer par les économies dites émergentes de l’Inde et de la Chine.

A partir des années 1960 - 70, l’Italie a connu un creusement de sa dette et de son déficit public, parce que tous les gouvernements qui se sont succédé à cette époque ont voulu satisfaire les intérêts de différentes catégories sociales. La perte de compétitivité de l'économie italienne est aussi le résultat de plusieurs années de non décisions politiques, des partis politiques de centre droit ou de gauche, même s'il faut souligner les réformes entreprises par Romano Prodi entre 2001 et 2006 qui ont finalement été interrompues.

Il y a donc une responsabilité politique à la situation socio-économique actuelle. Le fait que Silvio Berlusconi ait promis beaucoup et finalement fait peu explique la déception d'une partie des Italiens à son égard. De plus, il y a eu une "politique de l’autruche" de la part du gouvernement de centre droit, qui a longtemps cherché à rassurer les Italiens en leur certifiant que l'Italie avait été épargnée par la crise. Le problème, c’est que je vois mal ce que ferait le centre gauche s’il arrivait au pouvoir.

Silvio Berlusconi monopolise la scène politique italienne depuis près de 20 ans. Comment expliquer une telle longévité ?

Depuis le début des années 1990, Silvio Berlusconi domine et obsède l’Italie. Si son gouvernement tombe, ce sera la fin d’un long cycle politique qui a commencé en 1994, soit 17 années de vie politique et publique où l'obsession pour Silvio Berlusconi aura primé.

Qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition, il a dominé l’Italie parce que ce pays a connu un bouleversement politique qui ne connaît aucun parallèle avec d’autres pays européens : l’effondrement complet du système des partis politiques, en raison notamment de la fameuse révélation des juges milanais, ou "opération mains propres" qui a décapité toute une classe politique.

Silvio Berlusconi est arrivé à se présenter comme un homme neuf, en rupture avec la tradition, révolutionnant la communication politique, utilisant ses chaines de télévision, et jouant de son conflit d’intérêt entre affaire publique et privée. De plus, il a été celui qui a réussi à unifier la droite italienne dans son parti PdL (le peuple de la liberté), et ce depuis le centre jusqu'aux confins de l’extrême droite, avec de multiples catégories sociales, écrasant et dominant tous ses adversaires sauf un, Romano Prodi qui l'a battu à deux reprises.

Comment interprétez-vous une telle obsession à son égard ?

Silvio Berlusconi est ce que j’ai appelé avec d’autres le "berlusconisme", un mélange d’hégémonie culturelle autour d’un certain nombre de valeurs contradictoires : modernité et tradition, sentiment national et Europe, protectionnisme et libéralisme. Il rassemblait un bloc social sur des catégories bien précises, petits chefs d’entreprises, professions libérales, Italiens dépolitisés et à faible niveau d’instruction, pratiquant catholique...

Il a révélé une Italie qui se reconnaissait en lui, qui considérait qu’il était porteur d’un certain nombre de valeurs susceptibles de défendre des catégories sociales particulières. Il était l’expression d’une partie de l’Italie, mais pas de toute l’Italie, puisque depuis 1994, près d’un Italien sur deux lui est opposé. Reste ceux qui pensaient que face à la déception de l’ancienne classe politique, il pouvait représenter un renouveau politique et économique.

Ces constats révèlent une Italie à la fois repliée sur elle-même, inquiète, qui se reconnaissait derrière l’efficacité supposée de l'entrepreneur à succès Silvio Berlusconi. Le meilleur exemple de ce désenchantement italien, c’est l'évolution des considérations d'une partie du petit patronat à l'égard du Cavaliere. Ces derniers pensaient que lui seul pourrait développer et moderniser l’Italie, ce sont finalement les grands déçus du "berlusconisme".

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