Signaux envoyés à l’extrême-droite : Emmanuel Macron ou la double pensée de Big Brother pour les nuls<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron opposition langage discours stratégie extrême droite Marion Maréchal Bruno Roger-Petit
Emmanuel Macron opposition langage discours stratégie extrême droite Marion Maréchal Bruno Roger-Petit
©LUDOVIC MARIN / AFP

"1984"

La stratégie et le discours d'Emmanuel Macron ainsi que la rencontre entre Bruno Roger-Petit et Marion Maréchal invitent à se replonger dans la célèbre oeuvre de George Orwell, "1984". Le chef de l'Etat est-il un adepte de la Doublepensée, un terme inventé par George Orwell pour suggérer la capacité à accepter simultanément deux points de vue opposés ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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"Le débat c'est moi'. 

Etre à l'origine de tous les discours et ne plus débattre qu'avec des clones de ses avis successifs? 

"Je ne suis jamais en retard puisque rien ne commence sans moi"

On prête à Emmanuel Macron cette réponse, un jour où il était une nouvelle fois en retard et avait joué excessivement avec les nerfs de ses invités: "Je ne suis jamais en retard puisque rien ne peut commencer sans moi !". Sans doute la formule se voulait-elle plaisante mais elle apparaît grinçante tant elle est entre bien dans la psychologie du personnage que les Français ont fait entrer à l'Elysée en 2017. Une des principales difficultés que le président aura à se représenter devant les Français pour briguer à nouveau leurs suffrages, c'est qu'il devra leur donner l'impression qu'ils existent encore dans son champ de conscience. L'élection de 2017 a eu lieu sur un malentendu: Emmanuel Macron semblait aller dans le sens du tiers des électeurs français qui sont les gagnants de la mondialisation. Il pouvait ignorer les autres, il avait en l'occurrence un socle solide. Mais le président s'est méthodiquement éloigné de ce socle. La libéralisation de l'économie ne peut se résumer à une réforme du code du travail qui est en partie une complexification. Au lieu de libérer les initiatives, le président a centralisé la décision politique comme jamais. L'Institut Montaigne, l'une des sources d'inspiration de la campagne d'Emmanuel Macron en 2016-17, défend depuis de longues années l'idée d'une "société de la confiance". Or jamais la défiance propre à la société française n'a été aussi grande qu'après trois années de quinquennat Macron. Le pays est plus divisé que jamais; or le président semble de moins en moins s'intéresser aux Français, même ceux qu'il n'ignorait pas d'emblée. 

La logique auto-destructrice du "en même temps"

Le Président ne semble pas s'émouvoir de la distance croissante qui existe entre lui et la quasi-totalité des Français. Ce n'est pas seulement que Narcisse prenne toujours plaisir à se regarder au miroir des sondages, qui semblent encore très favorables. Il est convaincu d'avoir l'arme rhétorique infaillible. Il s'agit du fameux "en même temps", dont on dirait qu'il est porté au rang d'un art si l'on ne devait pas se rappeler aussitôt qu'il s'agit de la bonne vieille dialectique hégélienne ou marxiste recyclée façon "sciences po". Il est vrai que l'on a rarement vu un diplômé de Sciences Po, ancien élève de l'ENA, doté d'une telle volonté de puissance. Le décalage devient de plus en plus visible avec le temps, entre cette volonté de puissance d'une part, et le manque de complexité du logiciel, d'autre part, qui préside à la décision politique. Qu'à cela ne tienne, pour pallier le fossé qui se creuse, Emmanuel Macron fait un usage toujours plus marqué, frénétique, pourrait-on dire, du "en même temps". En témoigne l'entretien accordé à l'Express pour Noël 2020. Le président ne veut pas qu'on le compare à VGE, ancien président récemment décédé, mais il veut comme son prédécesseur, continuer à gouverner au centre et refuse le clivage droite/gauche. Il n'aime pas que l'on dise que la France moyenne mais cette pose gaullienne ne l'empêche pas de refuser de parler de "souveraineté française": la souveraineté est européenne ou elle n'est pas, pour la France, désormais.   Le président voudrait continuer à pouvoir dire à la fois qu'il n'y a pas de culture française et qu'il est essentiel de défendre un sentiment de continuité historique; il voudrait pourvoir continuer à faire plaisir à tous les "décoloniaux" de France et du monde tout en prétendant mener une politique française en Afrique etc....

"Je voulais vérifier si Marion Maréchal était en phase avec l'opinion. Ce n'est pas le cas". 

Pour réveiller le monde médiatique de sa torpeur juste après Noël, Bruno Roger-Petit a laissé fuiter qu'il avait déjeuné, voici quelques semaines, avec Marion Maréchal. La fausse confidence est signée Macron. Marion Maréchal tisse patiemment sa toile, à droite. Tout observateur politique sensé sait qu'Emmanuel Macron pourrait être battu soit par un rassemblement des droites soit par une union des gauches. C'est parce que Marine Le Pen se refuse à accepter cette évidence qu'elle stagne dans les sondages. Le danger, pour Emmanuel Macron, s'appelle Anne Hidalgo à gauche et Marion Maréchal à droite. Cette dernière, officiellement, n'a pas l'intention d'être candidate, mais comment ne pas voir son assiduité au travail, au sein du Centre d'Analyse et de Prospective récemment fondé, et la hauteur de vue qu'elle déploie, émission après émission? Alors Narcisse voudrait bien donner l'impression qu'il maîtrise la situation: avec Anne Hidalgo, c'est difficile puisqu'il a été incapable de la faire battre à la Mairie de Paris; il reste la droite, qu'il faut absolument tenir, en tout cas le centre-droit. Marion Maréchal est dangereuse parce que - les sondages confidentiels commandés le disent - elle rassemble jusqu'à une partie de l'électorat centriste. Il s'agit donc de montrer, par une gesticulation, que l'on n'a pas peu d'elle, que l'on laisse même déjeuner un de ses conseillers avec elle. On pourrait bien lui prendre quelques idées. 

Bruno Roger-Petit est bien la voix de son maître. Il a eu, dans le Figaro, cette remarque, puérile et arrogante à la fois: "Je voulais voir si [Marion Maréchal] était en phase avec l'opinion - ce n'est pas le cas". Comment dire mieux que le président prétend être à l'origine de tous les discours? Le "en même temps" devient permanent et crée l'illusion chez Narcisse, puisqu'il est capable de reprendre tous les points de vue successivement voire simultanément, qu'il est celui qui crée ces discours. Même le discours de Marion Maréchal devrait pouvoir être assimilé et reproduit. Ce faisant, Emmanuel Macron pense pouvoir éliminer ses adversaires les uns après les autres: un jour on promet un référendum sur l'écologie, le lendemain on promet la fermeté sur l'immigration, on fait voter une loi sur le "séparatisme" (rebaptisé "laïcité") et puis, bientôt, le grand thème sera le revenu universel.  A force de se démultiplier, le double langage voudrait se substituer au débat démocratique. Narcisse prétend devenir le seul à débattre, avec lui-même ou avec des clones de ses moi successifs. C'est bien là que Mesdames Hidalgo et Maréchal devraient lui donner du fil à retordre dans les mois qui viennent. La première parce qu'elle a une volonté de puissance au moins égale à celle du président et une capacité de survie politique sans doute supérieure. La seconde parce que le temps est son allié, parce qu'elle est celle qui sent le mieux l'opinion française depuis Nicolas Sarkozy et parce qu'elle rassemble avec le même naturel qu'Emmanuel Macron divise.  

Le multiple langage et les avis contradictoires défendus simultanément permettront sans doute au président de passer l'année 2021. Le faire réélire, c'est une autre histoire.   

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