Qu'il bascule ou non, la démocratie a besoin d'une réforme profonde du Sénat<!-- --> | Atlantico.fr
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A quoi sert cet hémicycle tant décrié ?
A quoi sert cet hémicycle tant décrié ?
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Ce dimanche ont lieu les élections sénatoriales. Mais quel que soit le résultat, le Sénat ne pourra pas faire l'économie d'une réforme profonde pour consolider sa légitimité démocratique

Frédéric de Gorsse

Frédéric de Gorsse

Frédéric de Gorsse est le pseudonyme d'un consultant en poste auprès du gouvernement.

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Six mois avant la présidentielle, une lutte politique intense se joue en coulisses, et pour l’essentiel au plus près de la France des terroirs : la bataille pour élire la moitié des 348 sénateurs. Car pour la première fois, sous la Ve République, le Sénat pourrait basculer à gauche. Pour autant, la « Haute Assemblée », comme elle se désigne elle-même, n’a pas bonne presse. Les Français, dont l’éducation politique hésite entre républicanisme et bonapartisme, n’aiment pas le bicamérisme qui filtre la volonté du peuple. Une assemblée unique semblerait leur suffire, pour ne rien dire de leur faiblesse pour le mirage du pouvoir d’un seul. Et cependant, il n’est pas de démocratie réellement libérale, à commencer bien sûr par l’exemple américain, sans l’institution de deux chambres pour former un parlement…

Mais qui connaît le sénat français ? Contrairement à sa mauvaise réputation, le sénat sert honorablement notre république qui légifère de plus en plus dans la précipitation et sous le coup de l’émotion. Et, bien souvent, le regard que la seconde chambre porte sur un texte de loi permet à l’exécutif de se sortir d’une mauvaise passe et à l’assemblée nationale de corriger ses propres élans électoralistes, voire populistes. Rappelons, dans l’actualité récente, le renoncement à la déchéance de nationalité. La sagesse du sénat, il est vrai, sert de prétexte à l’exécutif sur le thème du : « On était pour, les sénateurs n’ont pas voulu ». Pourtant, en cas de désaccord, le dernier mot revient toujours à l’assemblée nationale... qui vote ce que le gouvernement demande. 

Le Sénat a pour lui d'être moins prisonnier du clivage droite-gauche que l’Assemblée nationale. Il échappe davantage à la mise en scène artificielle ou caricaturale de l’affrontement entre majorité et opposition. Les débats législatifs peuvent y paraître plus ennuyeux, ils sont en général plus instructifs et plus profonds. Car délibérer, c’est accepter la discussion et le compromis, la conciliation d’une diversité de points de vue, ce que notre représentation excessivement volontariste de la politique incite à ne pas comprendre.

En quoi alors - pour reprendre une formule restée célèbre de Lionel Jospin - le Sénat serait-il une « anomalie parmi les démocraties » ? Le poids des mentalités démocratiques n’est sans doute pas étranger à ce soupçon. Le terme même de sénateur comporte une connotation patricienne, héritée de la république romaine et confirmée par l’histoire des grandes démocraties européennes. Les chambres « hautes » furent les héritières des assemblées aristocratiques ou de dignitaires nommés ou élus à vie, à l’instar de la Chambre des Lords anglaise aujourd’hui encore… Sans doute le cas français est compliqué par le fait, qu’au côté patricien, s’est adjointe une dimension provinciale ou pour mieux dire communale. C’est un délicat concentré de France d’en haut et de notabilités rurales. Là réside la raison de sa capacité de résistance aux assauts qui l’ont visé, de De Gaulle à Jospin.

Le bicamérisme s’accompagne, sauf pour l’Italie, d’une distinction et d’une inégalité entre les deux chambres. Pour autant, sans renoncer à sa spécificité, le Sénat français doit encore évoluer. Les demi-réformes de 2003 entérinant la réduction du mandat de 9 à 6 ans et instaurant un renouvellement par moitié des sénateurs ont paradoxalement renforcé la complexité et l’opacité d’un mode d’élection qui dessert la cause de la haute assemblée. Qui connaît son sénateur ? Et qui parmi les 150 000 grands électeurs, connaît ceux qui élisent les sénateurs de son département, en particulier dans les grandes villes ? Enfin, de quels territoires le Sénat est-il  réellement censé assurer la représentation ? Ce qui est en cause, ce n’est pas tant l’élection au suffrage universel indirect des sénateurs, mais les inégalités territoriales persistantes qui biaisent la représentation au profit des communes rurales. Ce qui est en cause, c’est aussi un mode d’élection qui change d’un département à l’autre tandis que dans les grandes villes, l’opacité est renforcée par la désignation de « délégués » pour compléter le corps électoral des conseillers municipaux.

Bref, tant que le Sénat restera le lieu par excellence des calculs et des combinaisons politiciennes; et qu’il s’enfermera dans des privilèges d’Ancien régime, il n’apparaîtra pas au regard des citoyens comme la grande chambre qu’il peut être. Le temps du Sénat, à la fois pouvoir et contre-pouvoir, chambre représentative et chambre de réflexion, indispensable dans notre démocratie, viendra à condition d’une véritable réforme qui renforcerait sa légitimité sans altérer sa raison d’être. Tel est l’enjeu de ces élections. Et ce, quelle que soit l’issue partisane du scrutin.

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