Sécheresse : vers un été 2023 tragique pour le bassin méditerranéen<!-- --> | Atlantico.fr
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Les agriculteurs seront contraints à faire des choix drastiques
Les agriculteurs seront contraints à faire des choix drastiques
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Catastrophe en vue

La sécheresse annoncée pour l'état 2023 pourrait s'avérer dramatique pour la France comme le reste du bassin méditerranéen. Elle ne sera pas sans engendrer, d'ailleurs, d'importantes tensions politiques...

Eddy Fougier WikiAgri

Eddy Fougier WikiAgri

Eddy Fougier est politologue, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Spécialiste des mouvements de contestation de la mondialisation, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur ces thèmes : Dictionnaire analytique de l’altermondialisme (Ellipses, 2006), L’Altermondialisme (Le Cavalier bleu, 2008).

Plus récemment, il a publié Thèmes essentiels d’actualité en QCM (2000 QCM) aux éditions Ellipses (2012) ou encore Parlons mondialisation (La Documentation française, 2012)

Eddy Fougier est chargé d’enseignement dans plusieurs écoles, notamment Audencia Nantes – Ecole de management, l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, l’Institut européen des hautes études internationales (IEHEI, Nice) et l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

WikiAgri est un pôle multimédia agricole composé d’un magazine trimestriel et d’un site internet avec sa newsletter d’information. Il a pour philosophie de partager, avec les agriculteurs, les informations et les réflexions sur l’agriculture. Les articles partagés sur Atlantico sont accessibles au grand public, d'autres informations plus spécialisées figurent sur wikiagri.fr

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Serge Zaka

Serge Zaka

Docteur en agroclimatologie chez ITK, administrateur d’Infoclimat et chercheur-modélisateur, Serge Zaka étudie l’impact du changement climatique sur l’agriculture.

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Atlantico : Dans quelle mesure est-ce que les sécheresses climatiques se succédant d'année en année peuvent-elles, selon vous, engendrer une instabilité politique en France ?

Eddy Fougier : Avant d'en venir à la question de la sécheresse, la question de l'eau est absolument primordiale. L'accès à l'eau, l'assainissement de l'eau, l'accès à l'eau potable font désormais partie des droits de l'Homme et font même partie des objectifs de développement durable. C'est donc vraiment un enjeu essentiel. 

Maintenant il est évident qu’on n’aurait certainement pas eu toutes ces tensions à propos de Sainte-Soline au mois d'octobre et de mars dernier s'il n'y avait pas eu les épisodes de sécheresse très importants que l'on a eu tout au long de l'année 2022. Cela aboutit à mettre à l'agenda la question de l'accès à l'eau, l'action des conflits d'usage aussi entre les différents secteurs, et à partir du moment où l'agriculture représente quelque 65% des usages de l'eau, on s'aperçoit que potentiellement, ce sont des sujets tendus. Si vient le cas d’une sécheresse importante -et ça l’est déjà- dans une grande partie du territoire, il est évident que l’on aura des tensions.

Les défenseurs de Sainte-Soline le font parce qu’ils ne veulent pas -à tort ou à raison- que les constructions de ces réserves d'eau deviennent un symbole et entraînent la construction de centaines d'autres réserves d'eau de ce type. Le fait est que les groupes aujourd’hui présents aient déjà impliqués ailleurs, comme la Confédération paysanne ou Les soulèvement de terre que l’on a notamment vu à Notre-Dame-des-Landes, illustre bien que le contexte pourrait s’aggraver.

Est-ce que, si une telle situation de sécheresse perdure et que les crises climatiques se succèdent, il faut craindre des conflits potentiellement violents en France ?

Eddy Fougier : Tout dépend ce qu'on appelle violent, parce qu'il y en a déjà eu, bien sûr. Mais il faut s'attendre à ce que ça se « démocratise ». Il y a eu un autre symbole très fort qui s'est passé il y a 6 ans, dans la Garenne, où il y avait un projet de retenue d'eau - que certains opposants qualifiaient d’ailleurs de barrage. Cela avait généré pas mal de tensions entre les agriculteurs, pour qui l’eau est une denrée qui peut être rare dans les saisons sèches, et les opposants de l'autre qui avaient mis en place une ZAD. Il y a eu des affrontements même plus violents qu’à Notre-Dame-des-Landes, qui s'étaient malheureusement traduits par le décès d’un étudiant en botanique, Rémi Fraisse. Ce tragique évènement avait, entre autres, mené à la suspension du projet qui est toujours à l'étude. 

Le risque de tensions, d'affrontements qui se généralisent c'est une réalité. En témoignent les récents évènements qui sont des signes à avant-coureur. 

Je pense qu’on peut s'attendre à ce que ce type de conflits se généralisent à la fois sur une base locale, entre des riverains et des collectifs citoyens opposés à tel ou tel projet… Mais aussi à l'échelle nationale, parce qu'on le voit bien -il y a une intervention du président de la République à ce sujet-, c'est aujourd'hui un sujet explosif. Tout cela s’explique par le fait que ce sujet porte à la fois sur un bien commun, soulève la question de son accaparement par des acteurs privés Rappelons d’ailleurs qu’il y a même des États qui ont mis dans leur Constitution le fait que l'eau était un bien commun non privatisable. 

Où en est-on de la situation de sécheresse des sols là, à l'heure actuelle, au 20 avril ?

Serge Zaka : À l'heure actuelle, on a un écart qui se creuse de plus en plus entre Nord et Sud. Au Nord, il continue de pleuvoir et, même si ça c'est un peu calmé, il y a quand même de la pluie qui est attendue dans les prochains jours. La sécheresse sur les sols agricoles a donc disparu ce qui est une très, très bonne nouvelle pour le blé, pour l'orge, pour le colza, pour le forage, pour la prairie, pour les écosystèmes ainsi que pour les risques de feux de forêt. Dans le nord de la France, on assiste à une très belle pause de la sécheresse agricole. Par contre, en profondeur, les nappes phréatiques ne vont pas se recharger puisque les végétaux se sont réveillés et maintenant que 80% de l'eau qui tombe du ciel va aller dans les racines. 

L'un des avantages est que l'on n'a pas besoin d'irriguer puisqu'il y a de l'eau en surface, donc on n'a pas besoin de prendre de l'eau des nappes phréatiques. 

En revanche, pour le Sud de la France, c'est beaucoup plus compliqué parce qu'en mars comme en avril, il n'y a pas forcément eu beaucoup de pluie et il n'y a eu aucune amélioration par rapport à l'hiver dernier. On a à la fois une sécheresse agricole et une sécheresse hydro-géologique. C’est une situation particulièrement inquiétante puisque dans ce cas de figure, nous n’aurons pas l’eau nécessaire pour faire pousser les cultures de printemps telles que le tournesol, les pêches ou le maïs. Et toutes les récoltes survenant un peu plus tard dans la saison n'auront, elles non plus, pas suffisamment d'eau. 

L'inquiétude est toujours extrêmement présente dans les États de la mer Méditerranée. Pour donner un chiffre, on est en dessous des 150 millimètres sur un an glissant. Ce type de climat que l'on remarque à la frontière entre l'Auvergne et les Pyrénées Orientales, correspond habituellement à un climat qu'on observe plutôt en Syrie ou en Jordanie. C'est ponctuel, sur un an, mais ça veut juste dire que le changement climatique a repoussé les limites du possible en France. C'est ça qui est perturbant, c'est qu'avant, ce n'était pas possible. 

C'est disparate suivant les régions et c'est donc à surveiller pour le Sud de la France. Et ça ne veut pas forcément dire qu'on est sortis d'affaires dans le Nord.

Faut-il nécessairement craindre une catastrophe dans le sud du pays, où peut-on encore espérer que la situation s’améliore ?

Serge Zaka : On a déjà des dégâts sur les végétaux. La situation est tendue. Une fois mort, les végétaux ne peuvent plus renaître, mais si la pluie revenait. Il y a de nombreuses espèces qui souffrent énormément et de très nombreuses morts végétales sont constatées. Ce qui est inquiétant aussi, ce sont les feux de forêt. A ce moment-là, le manque d’eau va se faire sentir, d’abord parce que la sécheresse des bois facilite la propagation de l’incendie mais aussi parce qu’on manquera peut-être d’eau pour la combattre. Par contre, la demande va exploser à partir des jours où il fait beau et le blé comme l’orge vont monter.

Ça veut dire que les épis vont monter et qu'il y aura besoin d'eau. Ensuite, on aura besoin de remplir les grains et là, il y aura encore plus besoin d'eau et les sols, qui sont déjà en stress hydrique, ne pourront pas subvenir aux besoins des plantes. Ce n'est pas parce que l'herbe est verte actuellement que c'est bon. 

Ensuite, on a d'autres problématiques qui sont d'autant plus inquiétantes. Sur les autres cultures qui arrivent plus tard telles que la vigne, le maraîchage, là on a des problématiques de choix cruciaux pour les agriculteurs. Ils n'ont pas la garantie d'avoir suffisamment d'eau pour finir la saison donc pour éviter une perte économique sèche, c'est-à-dire de faire des semis, d'avoir de la main d'œuvre pour rien… C’est pourquoi certains ne sèment plus parce qu'ils ne peuvent pas irriguer, ils sont déjà en restriction d'irrigation.

Les arboriculteurs, de leur côté, sont d’ores et déjà contraints de faire des arbitrages parmi les plus dramatiques, notamment pour les produits que l’on récolte un peu plus tard, par exemple les cerises. En l'occurrence, se pose la question de retirer quelques fleurs des arbres pour éviter de les surcharger, parce qu'il n'y aura pas assez d'eau pour toutes les tenir.

Tous les agriculteurs font face à un choix drastique : privilégier l’irrigation de toutes leurs parcelles, mais celle-ci devra être deux fois moins importantes, ou bien n’en irriguer que certaines et abandonner plusieurs de leurs vergers. 

Si on a des morts d'arbres en cours, ce n'est pas comme le blé, le maïs, il faut plusieurs années avant qu'il retrouve sa taille. C'est une vraie perte économique sur le long terme, on est vraiment dans une situation assez inédite en France.

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