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Scandale en Méditerranée : Frontex accuse certaines ONG de secours aux migrants de collusion avec les trafiquants d’êtres humains
©Reuters

THE DAILY BEAST

L'agence européenne en charge des frontières accuse certains associations de collaborer avec des passeurs de migrants, selon des rapports confidentiels obtenus par le "Financial Times".

Barbie Latza Nadeau

Barbie Latza Nadeau

Barbie Latza Nadeau, est chef du bureau de Rome pour The Daily Beast.

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The Daily Beast par Barbie Latza Nadeau

ROME- Ce n’est un secret pour personne : Frontex, qui protège les frontières de l’Union européenne, est en total désaccord avec les pratiques d’assistance aux migrants et réfugiés en mer. Depuis des années, le garde-frontière de l'Europe dit que les efforts pour sauver la vie des migrants abandonnés sur des bateaux et navires qui coulent "créent un facteur d'attraction" qui incite les gens à tenter ce dangereux voyage.


Le problème a commencé avec le programme humanitaire italien Mare Nostrum, et aujourd'hui il y a des dizaines de groupes, de Save the Children à Médecins Sans Frontières, en passant par d'autres organisations privées moins connues comme MOAS (Migrant Offshore Aid Station), qui interviennent en haute mer pour éviter des noyades massives.

Depuis janvier 2016, près de 360 000 personnes ont risqué cette dangereuse traversée vers Europe, principalement vers l’Italie, selon les statistiques de l'UNHCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.


Et 4 770 personnes sont mortes en essayant de faire la traversée en 2016. Ce chiffre serait probablement beaucoup plus élevé si des sauveteurs ne risquaient pas leur propre vie pour sauver les autres.  


Comment faire la différence entre l’attirance provoquée par le sauvetage en mer et la poussée au départ provoquée par la guerre, la famine ou simplement la pauvreté qui attire les réfugiés et les migrants vers les côtes européennes ? La situation est rendue encore plus compliquée par les trafiquants cyniques qui profitent de la vulnérabilité d'un nombre croissant de personnes désespérées en exploitant toutes les possibilités pour gagner de l’argent sur leur dos.

Désormais, Frontex va plus loin dans les accusations portées contre les secouristes. Selon des rapports confidentiels obtenus par le Financial Times et publiés jeudi avant un sommet crucial de l'Union européenne qui traite de la migration, les responsables de Frontex accusent "les organismes de bienfaisance opérant dans la Méditerranée de collusion avec les passeurs."

Selon le Financial Times, Frontex a rédigé plusieurs rapports dans lesquels elle soutient que les passeurs avaient "des indications claires avant le départ sur la direction précise à suivre pour atteindre les bateaux des ONG." Cela, couplé avec la baisse des appels de détresse des bateaux transportant des migrants "doit certainement signifier que les ONG sont de mèche avec les trafiquants".

Les sauveteurs, dont beaucoup le sont sur une base volontaire, sont majoritairement en désaccord avec cette analyse. Save the Children et Médecins Sans Frontières nient catégoriquement ces allégations. C’est aussi le cas des garde-côtes italiens et de la Marine italienne, dont le porte-parole a déclaré à The Daily Beast, "L'Union européenne cherche un bouc émissaire pour justifier sa mauvaise gestion de la crise des migrants."

Antonino Parisi, le directeur de MOAS n’est pas d’accord non plus. "MOAS nie les accusations mentionnées dans l'article publié par le Financial Times. Nos activités ont toujours été menées en coordination avec le Centre de coordination de sauvetage maritime italien à Rome, ainsi qu'avec toutes les unités de la marine présentes dans la région. MOAS a été créé et continue de fonctionner d'une manière légale et transparente dans le cadre du droit maritime international, et de la Convention sur la sécurité de la vie humaine en mer (SOLAS). Le but principal de MOAS a toujours été de diminuer les pertes de vies humaines en mer".

The Daily Beast a également été en contact avec un navigateur embarqué sur un navire de sauvetage actuellement amarré en Sicile après avoir débarqué des centaines de personnes secourues la semaine dernière. Il dit que la plupart des organismes d'assistance ont des contacts locaux sur le terrain, en Afrique du Nord, qui les avertissent lorsque de grosses embarcations prennent la mer. Cet homme, qui n’a pas voulu  que son nom soit mentionné par crainte que son organisation soit sanctionnée, explique:  "Ils nous donnent une direction afin que nous puissions essayer de sauver les gens."

Dans un récent rapport lu par le Financial Times, Frontex dit aussi avoir constaté le "premier cas où des réseaux criminels ont directement fait passer des migrants sur un navire d’une organisation non gouvernementale."


Les groupes, qui réalisent des sauvetages en mer, soutiennent qu'ils sont faciles à trouver, soit en appelant les numéros d'assistance téléphonique publiés sur leurs sites Web et sur les dépliants qui sont distribués dans les camps de réfugiés, ou en recherchant les navires sur les sites montrant le trafic maritime, en affichant leurs positions.

Les trafiquants, les passeurs, ne se soucient pas de la sécurité, mais, dans de nombreux cas, ils ont aussi des complices à bord des navires; ils souhaitent donc que les sauvetages réussissent.

Mercredi, un tribunal de Catane, en Italie, a condamné un contrebandier tunisien, Mohammed Ali Malek, à 18 ans de prison pour homicide involontaire après que le navire en bois, qu’il conduisait en avril 2015, se soit fracassé contre un cargo qui essayait de sauver les passagers. Le bateau chargé de migrants a coulé, entraînant la mort de plus de 700 personnes dans ce qui a été la plus grande catastrophe connue à ce jour.

Ce navire a été ramené à terre l'été dernier et utilisé comme preuve contre Malek et son compagnon syrien, Mahmoud Bikhit, qui a été condamné à cinq ans de prison pour son rôle dans la catastrophe.

Malek avait appelé la Garde côtière italienne (sur un téléphone par satellite avec le numéro préprogrammé), qui a envoyé le navire le plus proche dans cette zone, un navire portugais

Quant à la baisse des appels de détresse qui passent par la salle de contrôle de la Garde côtière italienne, un fonctionnaire basé à Rome pense que le grand nombre de bateaux surveillant les zones concernées fait que les embarcations sont souvent repérées avant qu’elles n’aient envoyé un appel aux secours.

Selon le Financial Times, Frontex conteste également l'utilisation des projecteurs des navires de sauvetage, la nuit, qui deviennent des "phares pour les bateaux de migrants".

Gemma Gillie, de Médecins sans frontières, a déclaré au Financial Times qu'ils recherchent activement les bateaux en détresse, précisant que "Nous les repérons plus tôt. Le problème n’est pas de savoir s'il y a collusion entre les ONG et les passeurs : la vraie question est de savoir pourquoi tant de gens meurent. C’est sur ce point que Frontex devrait concentrer son attention. Ils devraient se pencher sur leur propre efficacité". 

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