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Santé mentale en danger : les ravages de la "vie d’artiste" des stars sur le plan psychique
©Mike Lawrie / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Victor Blanc a publié "Pop & psy, comment la pop culture nous aide à mieux comprendre les troubles psychiques" aux éditions Plon. La représentation des troubles mentaux est généralement erronée et paradoxale. Fréquemment abordée, la maladie mentale reste pourtant mal comprise. Extrait 2/2.

Jean-Victor Blanc

Jean-Victor Blanc

Médecin psychiatre à l'hôpital Saint Antoine à Paris, Jean-Victor Blanc s'y occupe (entre autres) des addictions de la génération millennials et des patients atteints de troubles bipolaires. Passionné de Pop culture, il en a fait un sujet de conférences " Culture Pop et Psychiatrie " visant à diminuer le stigma entourant les troubles psychiques.

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For the Record est un documentaire de MTV sur Britney Spears, tourné en 2008, durant la conception et la promotion de son album Circus. On y suit la popstar lors de tournages de clips, remises de prix et moments en famille. Si cette incursion intime dans son monde hors normes est à visée promotionnelle, il s’en dégage, comme le soulignait Télérama, un certain malaise. On sent la chanteuse mal remise de son annus horribilis (2007), dont l’acmé fut cette séquence, filmée et reprise dans le monde entier, où elle se rasa le crâne dans un salon de coiffure. Ex-star de Disney, incarnation d’une Amérique puritaine et healthy, Britney Spears tente d’expliquer dans For the Record comment elle a perdu le contrôle de sa vie. Placée sous protection judiciaire (une tutelle paternelle), elle dresse à ce moment précis un constat assez sombre de son quotidien. « Il y a des jours avec et des jours sans. Mais, en général, il n’y a plus d’excitation, ni de passion. Lorsqu’on vous met en prison, vous savez que vous en sortirez un jour. Mais là, c’est comme si rien ne se terminait jamais. C’est comme le film Un jour sans fin, mais en boucle », confie-t-elle, le regard embué de larmes.

Et Dieu créa… la santé mentale

Les liens entre processus créatif et troubles psychiques sont connus depuis l’Antiquité. Comme l’atteste la punchline d’Aristote : « Il n’y a point de génie sans folie. » Deux mille ans et des poussières plus tard, de nombreuses études s’efforcent de prouver de manière scientifique l’intuition du philosophe grec. Sans y parvenir vraiment… La première difficulté consiste à circonscrire la créativité. On peut en donner une première définition : à savoir l’habileté à transformer les idées neuves et pleines d’imagination en réalité. Mais s’il s’avère que si la créativité est nécessaire aux artistes, elle est tout aussi essentielle dans les disciplines telles que les sciences, la politique ou les affaires. En outre, tous les artistes n’ont pas le même mode de fonctionnement : comment comparer un écrivain à un musicien ? Le succès n’est pas non plus forcément proportionnel à la créativité, un rapide coup d’œil aux singles les plus vendus l’atteste. Pour toutes ces raisons, il s’avère complexe de répondre scientifiquement à cette question : les artistes risquent-ils vraiment plus de présenter des troubles psychiques, ou est-ce un effet de loupe médiatique qui le laisse accroire ? Une étude a cependant investigué les liens entre créativité, profession et succès en interrogeant un millier de personnalités américaines. Il en ressort qu’exercer un métier artistique (comme musicien, écrivain, architecte ou designer) entraînerait deux fois plus de risques pour une personne de présenter un trouble psychique, et ce plus tôt dans la vie, et pendant plus longtemps que si elle exerce une autre profession (athlète, homme d’affaires, militaire, scientifique, etc.). Dans le panel des troubles décrits, les troubles dépressifs sont les plus fréquents, suivis de ceux liés à la consommation d’alcool et de drogues, puis les troubles anxieux. Pourtant, il faut rappeler que la majorité des artistes, même les plus à risque (poètes, comédiens), ne présente PAS de trouble mental. Il ne s’agit donc pas de dire que tous les artistes sont malades – ni les malades systématiquement dotés de créativité. Sur les échelles d’évaluation de gravité des troubles, les artistes affichent des scores à mi-chemin entre les personnes indemnes et les patients atteints. Leurs symptômes seraient donc moins sévères, mais surtout ils se distingueraient par leur capacité à tirer bénéfice de la maladie en se servant de leur décalage de perception avec la réalité pour créer. Lady Gaga, et de nombreux artistes avant elle, évoque dans son documentaire Five Foot Two (2017) cette nécessité de sublimer sa douleur dans l’écriture de ses chansons, en veillant à ne pas se laisser submerger par elle. Dans un autre registre, ce recul nécessaire face aux événements est fascinant dans l’œuvre de la plasticienne Sophie Calle. Elle utilise précisément des éléments de sa vie intime (deuils, ruptures…) comme support à la création. Lorsqu’elle évoque le processus qui l’a amenée à transformer une lettre de rupture en œuvre d’art, elle le fait avec une distance impressionnante vis-à-vis de sa souffrance. Ce recul face à la détresse, à la douleur, est souvent impossible pour une personne traversant, par exemple, un épisode dépressif.

L’hérédité aurait-elle son importance ? C’est ce que les statistiques mettent en évidence. On trouve plus de personnes exerçant une profession artistique chez les apparentés au premier degré (parent/enfant/frère/ sœur) de patients atteints de trouble bipolaire ou de schizophrénie. 

Enfin, la pratique d’une activité artistique peut aussi être un soin, on parle alors d’art-thérapie. À une différence notable près : le but poursuivi par les patients en art-thérapie est d’aller mieux, pas de réaliser un chef-d’œuvre. Résultat : les patients atteints de troubles psychiques ne sont pas inhibés par cette pratique et en retirent généralement une expérience positive, bénéfique pour l’estime de soi.

Conditions de travail :  You want a piece of me

« Est-ce que je suis consciente que ma vie est bizarre ? Non, pour moi, elle n’est pas bizarre, puisque c’est la seule vie que je connaisse ! Il faut bien que je m’y adapte. […] Avant, j’étais une fille cool, mais j’ai l’impression que les paparazzis m’ont enlevé ça, genre, ma vie d’avant. J’étais une fille cool, mais je ne le suis plus du tout » (Britney Spears, For the Record, 2008). 

Les professions artistiques attirent-elles davantage les personnes fragiles et vulnérables ? La question mérite d’être posée. On peut se demander aussi si les conditions de travail de certains artistes ne sont pas un facteur de stress, ce qui contribuerait à l’aggravation des troubles. La grande différence avec les autres milieux socioprofessionnels, c’est que le milieu artistique autorise, voire encourage l’évolution des troubles psychiques. Les musiciens ont ainsi davantage recours aux substances psychoactives, au motif que cela les aiderait à gérer leur stress et boosterait leur créativité. Le mythe « sex, drugs & rock’n’roll », toujours répandu, fait que la consommation de substances, qui aggrave la plupart des maladies mentales, est banalisée. Si une personnalité politique ou un sportif de haut niveau présente un syndrome dépressif, on peut espérer que l’entourage ne les encouragera pas à augmenter leur consommation d’alcool ou de cocaïne, sous prétexte que c’est « cool ». C’est pourtant ce qui semble arriver à beaucoup des stars de l’entertainment. Le DJ suédois Avicii l’évoquait très bien dans le documentaire Avicii : True Stories (2017). D’un tempérament anxieux, la jeune star confie au journaliste qui l’interviewe qu’il a besoin d’une dose d’alcool pour avoir le courage de monter chaque soir sur scène. Quelques séquences plus tard, il est hospitalisé pour une pancréatite aiguë, une affection grave due à sa consommation excessive d’alcool. Ce qui n’empêche nullement son entourage, explique-t-il, de l’inciter à prendre des opiacés (antidouleur pouvant entraîner une dépendance, voir chapitre 10, p. 139) afin de reprendre au plus vite sa tournée. Au vu de son décès par suicide dans une chambre d’hôtel un an plus tard, à l’âge de 28 ans, ces propos font rétrospectivement froid dans le dos. 

Les représentations culturelles des artistes eux-mêmes sur leur profession peuvent aussi avoir un effet délétère. 

Extrait du livre de Jean-Victor Blanc, "Pop & psy, comment la pop culture nous aide à mieux comprendre les troubles psychiques", publié aux éditions Plon

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