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Salauds de bobos… ou pas : l’étude qui montre que la gentrification ne fonctionne pas comme le pensent les urbanistes “bienpensants”
©REUTERS/Thomas Peter

Embourgeoisement dangereux ?

La gentrification, ou l'embourgeoisement d'un quartier, est souvent mal-perçue. Hausse des loyers et du niveau de vie, elle contribuerait à faire fuir les populations les plus modestes, déjà installées. Une étude menée à Philadelphie, aux Etats-Unis, entre 2002 et 2014 prouve le contraire : en réalité, les personnes aux revenus limités ne déménagent pas plus que la normale quand elles vivent dans un quartier "gentrifié".

Atlantico : L'étude menée à Philadelphie montre que les populations pauvres ne quittent pas forcément  leur quartier quand des habitants plus aisés arrivent dans le processus de gentrification. Du moins leur mobilité n'est pas plus grande que quand les quartiers ne subissent pas la gentrification. Comment peut-on l'expliquer ce phénomène qui va à l'encontre des idées reçues ?

Laurent Chalard : Tout d’abord, il convient de noter que nous avons affaire à une étude de cas, ce qui sous-entend que le modèle de Philadelphie n’est pas extrapolable à l’ensemble des quartiers connaissant un processus de gentrification aux Etats-Unis.

Cependant, selon cette étude réalisée par la banque régionale de Philadelphie, reposant sur une comparaison de l’évolution du peuplement entre 2002 et 2014 en fonction de l’évolution sociologique des quartiers de la ville de Philadelphie, regroupés en trois types (riche, pauvre, en gentrification), le départ des populations pauvres des quartiers en gentrification n’apparaît guère plus important que dans des quartiers qui ne le sont pas et surtout, élément particulièrement remarquable, ces départs concernent plutôt des populations déjà présentes en phase d’ascension sociale, qui déménagent vers des quartiers plus riches de la ville ou de sa banlieue, que les pauvres. Le cas de Philadelphie semble donc aller à l’encontre de l’idée reçue d’inspiration marxiste, qui voit la gentrification uniquement comme un processus d’expulsion des pauvres remplacés par des plus riches. Ce phénomène s’explique simplement par le fait que la gentrification à Philadelphie concerne essentiellement les nouveaux logements construits et non les logements déjà existants, ce qui veut dire que les populations plus aisées ne viennent pas remplacer des populations plus pauvres dans leur logement, mais qu’elles viennent s’y ajouter à proximité.

Cette étude américaine montre aussi que les populations les moins aisées profiteraient de la gentrification. Par quels biais ?

En effet, selon cette étude, les populations pauvres résidentes connaissent une élévation de leur situation face au crédit, critère utilisé pour déterminer le niveau de vie réel des habitants aux Etats-Unis, suite à l’arrivée de nouvelles populations aisées, qui peut s’expliquer par une revalorisation des biens immobiliers des ménages propriétaires. Cependant, ce constat est à relativiser car les populations pauvres qui quittent le quartier, en l’occurrence les locataires, voient leur situation se dégrader, puisqu’elles sont obligées de déménager vers des quartiers moins aisés. Donc, contrairement à ce qu’affirment les journalistes de bloomberg qui font état de cette étude, le résultat apparaît mitigé, la gentrification apportant un bénéfice essentiellement pour les ménages à faibles revenus qui sont propriétaires de leur logement.

En France, la gentrification est bien souvent définie comme l'expulsion des populations pauvres par les plus riches. L'étude de Philadelphie est-elle applicable chez nous ?

Non, elle n’est pas applicable car le contexte français apparaît sensiblement différent, dans le sens que la gentrification à Philadelphie se fait essentiellement par la construction de logements neufs sur des terrains vacants des quartiers paupérisés, en nombre considérable dans le cœur des grandes villes américaines, alors qu’en France, la gentrification se fait beaucoup plus par transformation d’un habitat dégradé, mais habité, en habitat plus haut de gamme, du fait du changement de propriétaires. Cette différence majeure signifie qu’aux Etats-Unis, la population des quartiers en cours de gentrification augmente fortement, du fait de l’arrivée de nouvelles populations plus aisées dans des quartiers désertés qui viennent s’ajouter à celles plus pauvres déjà présentes, alors qu’en France, la population augmente beaucoup plus légèrement, ce qui sous-entend que les populations aisées ont tendance à remplacer des populations plus pauvres lorsqu’elles s’installent dans ce type de quartier. En effet, en France, la construction neuve est beaucoup moins importante dans les quartiers en cours de gentrification, qui se caractérisent par une forte densité de population, les terrains disponibles étant limités, en règle générale correspondant à des friches industrielles.

Quelles conditions respecter pour ne pas faire fuir ces populations pauvres déjà installées ?

En France, le seul moyen pour limiter le départ des populations pauvres des quartiers en cours de gentrification est le maintien d’un parc locatif social important, sous réserve qu’il soit préexistant, ou alors une construction neuve uniquement orientée vers le logement social, lorsque le parc privé a vocation à se gentrifier complètement à terme. Sans maintien d’un parc de logement social, il est difficile de maintenir la mixité sociale à long terme car le renchérissement de l’immobilier conduit au fur et à mesure du temps à la disparition des ménages les plus pauvres dans le parc privé.

Quelles villes sont les modèles de la gentrification réussie en France ? Et, au contraire, celles où le processus n'a pas fonctionné ?

On ne peut pas vraiment parler de modèles de gentrification réussie, dans le sens que c’est souvent un processus en cours, dont on ne connaît pas encore les limites. La commune de Montreuil en Seine-Saint-Denis est souvent citée en exemple car la gentrification d’une partie du territoire communal, en l’occurrence le Bas-Montreuil, a permis de créer une véritable mixité sociale par le haut, avec l’arrivée de catégories aisées dans une ville qui avait un profil essentiellement populaire, le haut de la ville conservant un profil très populaire. La gentrification y apparaît donc globalement comme un phénomène positif, les riches payant pour les pauvres. A contrario, certains quartiers de l’est parisien comme le Marais, précurseur de la gentrification, ou le Faubourg Saint Antoine, auxquels on peut ajouter la Croix Rousse à Lyon, ont connu un processus de gentrification qui a quasiment éliminé les catégories populaires, et donc la mixité sociale, correspondant au schéma dénoncé par certains géographes et sociologues marxistes, comme Anne Clerval.

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