Sabotage des gazoducs Nord Stream : la guerre de l’énergie est dévoilée<!-- --> | Atlantico.fr
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Fabien Bouglé publie « Guerre de l'énergie Au coeur du nouveau conflit mondial » aux éditions du Rocher.
Fabien Bouglé publie « Guerre de l'énergie Au coeur du nouveau conflit mondial » aux éditions du Rocher.
©John MACDOUGALL / AFP

Bonnes feuilles

Fabien Bouglé publie « Guerre de l'énergie Au coeur du nouveau conflit mondial » aux éditions du Rocher. La Troisième Guerre mondiale a commencé. C'est une guerre de l'énergie. Elle a éclaté le 26 septembre 2022 avec le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 qui reliaient la Russie et l'Allemagne par la mer Baltique. Extrait 1/2.

Fabien Bouglé

Fabien Bouglé

Fabien Bouglé est un expert sur les questions énergétiques. Il est l'auteur de "Guerre de l’Energie au cœur du nouveau conflit mondial" (2023), "Nucléaire : les vérités cachées" (2021) et "Eoliennes : la face noire de la transition écologique" (2019), publiés aux éditions du Rocher.

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Le 26 septembre 2022, les gazoducs Nord Stream 1 et 2 qui relient Vyborg au nord-ouest de la Russie à Lubmin, au nord de l’Allemagne, en passant par les fonds de la mer Baltique, connaissaient des fuites de gaz très importantes. Rapidement, les autorités gouvernementales européennes se rendent à l’évidence: il s’agit d’un sabotage terroriste avec utilisation de TNT à trois endroits différents des gazoducs situés au large de l’île danoise de Bornholm, laissant visibles des bouillonnements de gaz dans la mer de 200 m à 1 km de diamètre. L’événement est majeur, ces deux seuls gazoducs parallèles de 1200 km chacun représentent une distribution en Europe de 110 milliards de m3 de gaz russe par an, soit en tout 25 % de la consommation annuelle en gaz naturel des pays de l’Union européenne.

Si Nordstream 1 est en fonctionnement depuis 2012 et assure la distribution en Europe de 55 milliards de m3 de gaz russe, Nord Stream 2 est sur le point d’être opérationnel à la veille de la guerre en Ukraine. Son invasion par la Russie en février 2022 a en effet conduit l’Allemagne à retarder sa mise en service à la suite d’importantes pressions politiques venues des ÉtatsUnis – très hostiles depuis des années à la construction de ce nouveau gazoduc – mais aussi de pays européens comme l’Ukraine ou la Pologne, également voies de passage de gazoducs concurrents.

Pour bien comprendre l’importance stratégique de ces deux gazoducs reliant l’Allemagne à la Russie, il faut revenir à la politique allemande d’Energiewende entamée par Gerhard Schröder alors chancelier à la fin des années 90 et au début des années 2000. Comme nous l’avons déjà expliqué dans le chapitre précédant, l’objectif de l’Allemagne est de se désengager du nucléaire tout en sortant progressivement de sa dépendance au charbon, en développant les énergies intermittentes comme les éoliennes. La seule énergie fossile capable d’être facilement mobilisable en complément des énergies intermittentes et en grande quantité en Europe, tout en assurant l’approvisionnement pour le chauffage et l’industrie, est bien le gaz, qui a en plus le mérite d’être deux fois moins émetteur de gaz à effet de serre que le charbon et d’être disponible en très grande quantité à proximité en Russie. L’industrie chimique, et en particulier la plus grande entreprise chimique au monde, l’Allemande BASF, a un besoin vital d’un approvisionnement en gaz en quantité et fiable. Un accès direct par la mer Baltique entre la Russie et l’Allemagne, très gros consommateur de cette source d’énergie, a créé les conditions d’un intérêt commun entre les deux pays d’Europe qui voyaient dans cette liaison directe un moyen d’échapper également à des redevances de passage d’autres pays européens.

C’est à la fin de son mandat de chancelier en 2005 que Gerhard Schröder troque ses habits politiques pour prendre ceux d’« ambassadeur » ou d’agent de liaison de la promotion du modèle allemand. Pour ce faire, il promeut un pacte entre l’Allemagne et la Russie en s’appuyant sur le modèle d’Energiewende, qui encourage d’une part le développement des renouvelables et d’autre part celui de la création de voies d’approvisionnement directes en gaz entre la Russie et l’Allemagne. Leur objectif commun est de contourner les lignes gazières préexistantes qui passaient par les pays de l’est et en particulier la Pologne ou l’Ukraine que la Russie accuse à plusieurs reprises de détourner son gaz en transit vers l’Europe.

Très vite, l’ancien chancelier allemand prend du galon en Russie et devient un véritable agent d’influence des intérêts énergétiques russes en Europe, négociant avec les pays de passage des gazoducs et n’hésitant pas à recruter d’anciens dirigeants politiques européens au service de Gazprom, l’entreprise publique devenue le bras armé du gaz du Kremlin. Il est successivement nommé le 30 mars 2006, par Gazprom, président du consortium chargé de la construction de Nord Stream 1, nommé en 2017 à la tête du géant pétrolier Russe Rosnef et en 2022, en pleine crise en Ukraine, il est pressenti comme président du conseil d’administration de Gazprom avant de démissionner de toutes ses fonctions, suite à une décision du Bundestag allemand de le priver de certains de ses avantages d’ex-chancelier, et à cause du vote d’une résolution par le Parlement européen, lui demandant nommément de démissionner de ses différents postes en Russie.

Né d’un projet de 1997, la construction du premier gazoduc Nord Stream 1 débute en 2005 et s’achève en 2011. Il s’agit d’un véritable partenariat européen avec la Russie puisque, parmi les actionnaires, on trouve la société russe Gazprom à hauteur de 51 %, les Allemands BASF (au travers de leur filiale Wintershal Dea) et E.ON à hauteur de 15,5 % chacun, le Hollandais Nederlandse Gasunie à hauteur de 9 % et le Français ENGIE à hauteur de 9 %. Sur la photographie de l’inauguration du 8 novembre 2011, le président russe de l’époque, Dmitri Medvedev, Angela Merkel, Gerhard Schröder et les Premiers ministres français et néerlandais François Fillon et Mark Rutte sont rassemblés, hilares, derrière un robinet factice. Lors de l’inauguration, le président russe précise:

« Pour la première fois, le gaz russe sera livré directement aux pays de l’UE. L’énergie produite à partir de ce gaz contribuera à assurer un approvisionnement fiable en électricité des consommateurs européens, renforcera ainsi la sécurité énergétique et améliorera la vie de tant de personnes. »

C’était surtout un jour historique pour la Russie qui voyait – par cette inauguration – sa zone d’influence économique et géopolitique se développer vers l’ouest et l’Union européenne, tout en bénéficiant de la manne financière considérable de la fourniture du gaz à l’Europe. De son côté, l’Allemagne y voyait un triple intérêt: coupler les éoliennes avec des centrales à gaz permettait de diminuer les émissions de gaz à effet de serre de l’Allemagne en baissant la consommation de charbon deux fois plus polluant que le gaz (bilan carbone: charbon 1000 gCO2 eq/kWh et gaz 500 gCO2 eq/kWh – N.d.A.); resserrer les liens diplomatiques avec la Russie qui existaient antérieurement avec l’Allemagne de l’Est avant la réunification; s’assurer surtout le contrôle de la distribution de gaz russe en devenant le hub central de sa distribution en Europe. L’Allemagne confortait également par ce moyen la promotion et le développement de son modèle d’Energiewende, principalement éolien/ gaz, en étant le premier constructeur d’éoliennes, tout en contrôlant la distribution du gaz russe en Europe. Cette situation donnait à l’Allemagne – comme nous le verrons plus tard – un avantage énergétique et politique considérable au sein des institutions de l’UE.

Extrait du livre de Fabien Bouglé, « Guerre de l'énergie: Au coeur du nouveau conflit mondial », publié aux éditions du Rocher

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