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S’il n’y avait que Notre-Dame-des-Landes… Chronique du lent affaissement de l’Etat de droit en France
©LOIC VENANCE / AFP

Perdants

L'abandon du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes montre qu'un groupe de pression de quelques centaines d'individus peut imposer sa loi à un pays de 67 millions d'habitants.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Avec la décision d'abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes, on vient d'apprendre qu'un groupe de pression de quelques centaines d'individus pouvait imposer sa loi à un pays de 67 millions d'habitants. Peu importe les arguments des uns et des autres, le fait est là. Un projet porté par l'Etat à la demande d'une Région, pouvoir local élu, à propos duquel un référendum populaire a été organisé et y a été très majoritairement favorable, validé encore par plus de 180 décisions de justice, malgré mille recours. Tout cela a été balayé!

Le rejet de l'Aéroport, présenté comme un combat populaire et de gauche dont la décision irait dans son sens et donc implicitement dans celui du bien, n'est rien d'autre qu'un renoncement au respect de l'Etat de droit, de la démocratie, et met donc à mal ceux qui en sont les dépositaires, les citoyens, le peuple. La démocratie, rappelons-le, signifie, le pouvoir au peuple. Autrement dit, la liberté pour le peuple, c'est lorsqu'il s'érige en corps politique souverain, comme seule source du pouvoir politique, tel que cela est inscrit dans nos institutions (Ve République). Il est même écrit dans notre Constitution, qu'aucune partie du peuple ne peut s'y substituer (Art. 3). Reconnaître ainsi à un groupe quelconque ce pouvoir, c'est bafouer le peuple et notre Constitution, c'est organiser le désordre. D'autant plus que cela ne manquera pas de faire jurisprudence en créant des vocations. 

On a connu des précédents divers, concernant des combats menés par des groupes de pression, relayés par les médias qui aiment appuyer l'émotion et les sentiments qui inspirent des idées simplistes, facilement colportable, jusqu'à la psychose collective, pour un maximum d'audimat et donc, de pouvoir d'influence. Cela a été le cas avec Jacqueline Sauvage,  graciée par le Président de la République alors que les juges s'y étaient opposés, sous la pression de soutiens qui voulaient la voir libérée parce que n'ayant, selon eux, qu'exercer "la légitime défense" vis-à-vis d'un mari violent. Dans un climat exacerbé de lutte contre les violences faites aux femmes, surcroît d'émotion et groupe de pression étaient là, pour nous faire oublier qu'elle avait en fait été condamnée pour lui avoir tiré dans le dos, et sur l'affirmation de violences qui n'ont pa pu être pleinement matérialisées lors de ces circonstances. 

Il y a eu le cas Nicolas Bonnemaison, ancien urgentiste, qui s'est cru en droit de pratiquer l'euthanasie, de donner la mort sans en  référer à quiconque au nom du bien du patient, soutenu par un groupe de pression le présentant comme un véritable héros. Après avoir été acquitté en 2014 en première instance, il avait été déclaré coupable pour l'un des patients concernés, à l'issue de son procès en appel et condamné à deux ans de prison avec sursis... Il avait été acquitté pour les six autres patients pour lesquels il était jugé.

Sur un autre plan, le "Non" majoritaire au référendum de mai 2005 sur le Traité constitutionnel européen, devait être balayé par le Traité de Lisbonne de 2007 reprenant les éléments principaux du précédent, ratifié par le Parlement réuni en congrès, et faire ainsi rentrer par la fenêtre ce que le peuple avait fait sortir par la porte. Le peuple était ainsi floué, relégué à un rang second au regard d'une représentation nationale pensant pouvoir s'y substituer, pour atteindre un but politique consensuel entre les grands partis politiques, soulignant la fracture croissante entre les citoyens et leurs représentants. Le peuple exerce sa souveraineté par l'entremise de ses représentants dit-on. Mais alors, que cela vaut-il vraiment ?

Il y a eu, depuis les premiers "faucheurs volontaires" anti-OGM en appelant à la "désobéissance civile", qui ont été jusqu'à détruire des champs d'OGM de l'INRA utile à la recherche médicale, jamais sérieusement condamnés, des militants de Greenpeace investissant des centrales nucléaires illégalement quitte à créer des risques que personne ne mesure vraiment s'ils n'avaient pas été empêchés d'atteindre des organes essentiels de celles-ci, jusqu'à l'affaire de l'Aéroport de NDDL, une impunité laissée à des groupes de pression divers. Ceci, pour imposer leurs sentiments, opinions, convictions, minoritaires, sinon ultra-minoritaires, à la justice et à l'Etat de droit, au grand nombre, et donc contre la règle commune et l'intérêt général, contre la volonté générale,  et ce, depuis un bon moment. Mais nous sommes avec cette dernière affaire face à un nouveau tournant.

C'est un déni de démocratie qui appelle à ne plus rien respecter, et il en existe des groupes, y compris simplement de marginaux dans leur bulle qui sont près à passer à l'action violente, dans l'idée d'obtenir des concessions et des accommodements. Des intégristes de la défense de la cause animale aux groupes anti-avortement, en passant par les communautaristes, qui font des procès permanent à l'Etat, ici comme jamais affaibli, pour tenter d'imposer des divisions sociales sur le fondement d'un droit à la différence se traduisant par une différence des droits, chacun ne se référant qu'à sa culture d'origine ou à sa religion et plus à la règle commune. 

La règle de droit est abstraite et générale, elle s'applique à tous indifféremment, elle est obligatoire et sanctionnée, car sans le moyen de faire respecter la loi, nombreux seraient ceux qui ne la respecteraient pas et pour lesquels l'Etat c'est l'ennemi. Nous ne ferions vite plus société. Ce serait le retour de "la guerre de tous contre tous", vis-à-vis de laquelle nous met en garde Thomas Hobbes, si l'Etat est faible.

L'Etat est l'expression de la Nation, de l'intérêt général qui n'a rien à voir avec les groupes de pression divers qui ont parfaitement le droit de manifester, mais certainement pas d'être laissés libre d'agir à leur guise y compris en ayant recours à la violence, à l'intimidation, pour contrecarrer des projets collectifs qui concernent l'ensemble des citoyens, a fortiori s'ils sont consultés. On entendait sur France info juste avant la décision, un certain José Bové expliquer que, si on maintenait le projet on prenait le risque qu'il y ait des morts, montrant très bien comment opèrent ces groupes de pression en prenant en otage par la violence les populations et nos institutions. Mais ils ne le peuvent que grâce à un Etat qui ne cesse de renoncer à jouer réellement son rôle.

La démocratie est en chute libre comme système crédible auprès de bien des citoyens dont les taux d'abstention élevés aux élections en sont le reflet. Des votes qui se font de plus en plus par défaut, avec une crise profonde de la représentation politique. C'est dans ce constat que les extrêmes puisent dangereusement leur force, la justification des régimes autoritaires.

Dans un contexte de crise des repères, nous avons besoin de confiance dans la capacité de l'Etat a représenter des valeurs communes claires, des institutions respectées, une cohésion sociale qu'il garantisse, déjà par trop fracturée, ce contrat social qui nous fait tenir ensemble, en faisant société.

Ceux qui viennent de prendre cette décision ne peuvent plus incarner l'Etat, représenter le peuple. En toute bonne logique, il devrait être démis, ce qui n'arrivera malheureusement pas. Mais attention, la surenchère de violence est au rendez-vous de cette gravissime reculade, et demain, il risque bien d'y avoir des morts, parce que cela va donner des ailles aux plus radicaux de tous bords, à tous les intérêts privés, en justifiant aussi que ceux qui entendent y résister à ne plus faire confiance à l'Etat, se vengent eux-mêmes, avec le risque de combien de fractures. 

Par delà le déni d'un Président qui a fait sa campagne sur l'engagement de faire cet aéroport, c'est l'encouragement à une remise en cause de l'Etat et de son rôle qui risque d'être payé très cher. Mais les grands perdants dans tout cela, sont encore comme toujours, les citoyens et donc le peuple. Et par voie de conséquence cette démocratie, qu'à faire chanceler dangereusement, on finisse par faire perdre l'équilibre.

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