Russie, Etat islamique, budgets, attentats… quelle est la menace numéro 1 pour la sécurité de la France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Une prise d'otages de masse à Paris est un scénario pris au sérieux".
"Une prise d'otages de masse à Paris est un scénario pris au sérieux".
©Reuters

"C'est pas ma guerre"

Prise d'otages de masse à Paris, manque de leadership en matière de sécurité nationale, visions politiques court-termistes... Nombreux sont les dangers potentiels dont la France doit se protéger, alors que la rentrée approche pour le gouvernement.

Michel Goya

Michel Goya

Officier des troupes de marine et docteur en histoire contemporaine, Michel Goya, en parallèle de sa carrière opérationnelle, a enseigné l’innovation militaire à Sciences-Po et à l’École pratique des hautes études. Très visible dans les cercles militaires et désormais dans les médias, il est notamment l’auteur de Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, Les Vainqueurs et, chez Perrin, S’adapter pour vaincre (tempus, 2023). Michel Goya a publié avec Jean Lopez « L’ours et le renard Histoire immédiate de la guerre en Ukraine aux éditions Perrin (2023).

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Yves Trotignon

Yves Trotignon

Yves Trotignon est analyste senior, spécialiste de la menace terroriste. Ancien analyste de la DGSE, il travaille désormais dans le privé.

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Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Mikaa Mered

Mikaa Mered

Mikaa Mered est professeur de géopolitique des pôles Arctique et Antarctique à l’Institut Libre d’Étude des Relations Internationales (ILERI) à Paris. Son ouvrage Les Mondes polaires (PUF, 2019) sortira en librairie le 16 octobre.

 

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Yves Trotignon, spécialiste de la menace terroriste : "Une prise d'otages de masse à Paris est un scénario pris au sérieux"

La plus grande menace terroriste, c’est une opération de type Westgate dans Paris : une prise d’otages de masse dans un grand magasin ou un aéroport, avec des attaquants décidés à tenir le plus longtemps possible avant de mourir à la fin. C’est le scénario redouté par tous les services européens : les Anglais à Londres, les Allemands à Berlin, Bonn ou Cologne. C’est ce que nous redoutons depuis l’attaque de Bombay, en Inde, en 2008. C’est à cela que les services se préparaient lorsque l’attaque de Charlie Hebdo a débuté en janvier dernier. C’est une menace prise au sérieux, aussi bien par les forces de sécurité que par les politiques. Mais elle reste presque imprévisible, à moins d’avoir une source en interne.

D’un point de vue géopolitique, une crise majeure en Arabie Saoudite serait très dangereuse. On pense à des attentats beaucoup plus importants que ce qui se passe maintenant, un peu comme on l’a vu à partir de 2003. Plus que jamais, on se demande comment l’Etat islamique est né de l’idéologie développée par le pouvoir. Or les Saoudiens se rendent compte que cela leur échappe de plus en plus, les amenant à calmer le ton sur les chiites, notamment. Un scénario catastrophique envisage la dislocation du pays suite à une crise interne. Les conséquences seraient multiples : crise financière majeure, conséquences sur le marché des hydrocarbures, partenariats avec la France ou le Liban qui nous concernent directement, présence de deux des trois lieux saints de l’islam...

Michel Goya, ancien militaire et consultant en stratégie : "Bercy est une menace plus grave que le terrorisme"

La menace, c’est évidemment Bercy... Bien plus que tous les groupes jihadistes de la terre ! Il n’y a pas de menace vitale, existentielle, pour notre pays… même s’il y a des risques d’attentats terroristes, principalement au Sahel, voir sur le territoire métropolitain. Ce qui pose problème à notre défense, ce sont les problématiques financières. A tel point que l’Etat islamique et Al Qaeda sont presque devenus nos meilleurs alliés contre Bercy. Sans eux, notre outil de défense aurait déjà atteint un seuil critique. Depuis dix ans, les politiques de finances publiques et de désendettement ont supprimé plus de militaires français que le Viêt Minh et le FLN réunis. La pression sur le budget de la défense est constante. On a divisé par deux notre effort depuis vingt-cinq ans. En dessous de 2% du PIB, nous sommes  à présent en dessous d’un seuil qui implique la dégradation de notre outil de défense. C’est une spirale infernale. Dans les états-majors, on consacre infiniment plus d’énergie pour savoir comment on va se restructurer, comment on va gérer la misère, plutôt que de savoir comment on va combattre Al-Mourabitoune ou l’Etat islamique.

Emmanuel Dupuy, président de l’IPSE : "En matière de sécurité nationale, il y a un manque de leadership"

Si l’on prend la question par le haut, la principale menace, c’est l’indécision, l’absence de prise de position claire. C’est, par exemple, le fait de légiférer à tout va afin de diminuer la responsabilité de l’exécutif sur un certain nombre de sujets : la question migratoire, la menace terroriste, l'opération Sentinelle, les grands dossiers internationaux comme la Syrie, l'Iran, la Libye… Ces lois ou ces projets de lois n’apportent aucune réponse, ni judiciaire, ni policière, ni lorsqu’il le faut, militaire. Ce gouvernement me semble incapable de choisir une option prioritaire. C’est propre à tous les gouvernements mais c’est exacerbé par celui-ci : il y a une dichotomie qui se crée entre les instances de régulation en matière de sécurité, de défense et de protection. Les ministères de l’Intérieur, de la Défense, des Affaires étrangères ainsi que l’Elysée n’ont jamais été au diapason sur aucun dossier. Il y a un manque de leadership et une véritable désincarnation de la politique étrangère de la France. Laurent Fabius est affaibli politiquement du fait de sa mauvaise gestion du dossier iranien et du fait d’une mauvaise appréhension de la COP21, qui va lui échapper au profit de Ségolène Royal.

D’un point de vue tactique et opérationnel, ce qui me semble être le principal dossier pour la rentrée est la gestion de la politique migratoire. Comment juguler des flux incessants de migrations ? Ce n’est pas tellement que les migrations obèrent des vies humaines, mais qu’elles prouvent notre faiblesse : comment se fait-il qu’une structure institutionnelle aussi établie que l'Union européenne, regroupant 28 nations, 600 millions d’habitants, 25% du commerce mondial... n’arrive pas à trouver des solutions à une fuite en avant qui mets en péril sa propre sécurité ? 4000 morts, 40 000 migrants arrivés sur le territoire européen… et une véritable léthargie qui ne voit émerger aucune réponse claire.

Mikå Mered, expert des risques politiques en zones polaires : "Le débat est confisqué par des enjeux politiques de très court terme"

Sans aucune hésitation, la menace stratégique numéro un pour la France est son incapacité désormais structurelle à faire face à une surprise stratégique. Elle ne sait pas plus faire face à ce que les Anglo-Saxons appelent un "black swan" (une surprise stratégique dont les conséquences auraient pu être anticipées avec suffisamment de travail en amont) d’envergure mondiale en 2015 qu’en mai 1940. La France possède l'un des tous meilleurs outils de défense, de sécurité et de projection stratégique au monde mais elle se complaît dans la sous-exploitation de celui-ci. Les menaces subies (djihadisme, migrations, finance, environnement...) sont le fruit d’une négligence que l’on peut résumer ainsi : la logique de “fin de l’Histoire”, très présente en France, a transformé les questions stratégiques en des variables de gestion politico-administratives. Le débat stratégique est confisqué tantôt par quelques cerveaux, tantôt par des enjeux politiques de très court terme.

Des thématiques entières sont hors du champ du débat : les relations franco-russes, le nucléaire, les Terres Australes et Antarctiques Françaises, l’Union européenne, l'actionnariat stratégique international, l'Arctique... Les menaces d'aujourd'hui comme de demain proviennent de l'appauvrissement des budgets, du débat, et des capacités d'anticipation et de réponse stratégique. Contrairement à celles de 1669, les ordonnances d'août 2015 ne rentreront jamais dans l’Histoire. Et c'est bien cela, la menace numéro un.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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