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Ruptures conventionnelles collectives : ces 5 arguments à méditer avant de céder à la panique généralisée
©NobMouse

Emplois

Alors que les différents projets de ruptures conventionnelles collectives ​en cours (PSA, le Figaro, Pimkie - dont le projet est désormais abandonné) rappellent le gouvernement au débat sur la loi travail, certains faits concernant le marché de l'emploi en France nécessitent d'être développés.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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1- La corrélation entre niveau de régulation du marché du travail et taux de chômage

​Eric Verhaeghe : De fait, une part substantielle du chômage en France est due aux rigidités du marché du travail, dont l'excès de réglementation est l'une des causes. Celle-ci augmente la prise de risque en cas de recrutement: l'employeur s'expose en effet à des coûts importants en cas d'échec de son recrutement. C'est la fameuse histoire des indemnités de licenciement qui sont devenues, au fil du temps, une loterie en cas de saisine des prudhommes. On se souvient ici des affaires célèbres où les juges pouvaient prendre des décisions totalement aléatoire. Le comble avait été atteint par un coiffeur qui avait écarté un salarié jugé trop "pédé" et qui n'avait pas été condamné pour homophobie. Pour une décision de ce genre favorable à un employeur, on ne compte plus le nombre de décisions défavorables qui ont permis à des salariés de percevoir des indemnités d'un montant si important qu'il mettait la survie de l'entreprise en danger. Face à ce risque, la réglementation favorise le non-recrutement. Un employeur qui a une perspective d'augmentation de son activité minimise le risque et retarde le plus longtemps possible le passage à l'acte en matière de recrutement.

Michel Ruimy : Regardons ce que les théories et études nous enseignent sur ce plan. Selon le modèle microéconomique traditionnel, les institutions (salaire minimum, allocations chômage…) constituent des obstacles au bon fonctionnement du marché du travail et peuvent générer du chômage. Pour le diminuer, il faut notamment rétablir la concurrence sur ce marché en supprimant les entraves réglementaires. Autrement dit, afin de stimuler l’offre de travail qui émane des agents économiques et réduire le « chômage volontaire », il convient de rendre le travail plus rentable par rapport au chômage ou à l’inactivité (« make work pay »).

Dans les approches plus contemporaines, l’idée selon laquelle les institutions influencent le niveau du chômage structurel, demeure. Le salaire et le taux de chômage d’équilibre augmenteraient du fait de l’existence de cotisations sociales portant sur les salaires, d’un salaire minimum, du pouvoir des syndicats, de la protection de l’emploi, d’allocations chômage généreuses, de prestations sociales... C’est cette représentation du marché du travail, qui a conduit l’OCDE à recommander, du début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, une dérégulation de ce marché dans ses préconisations de politique économique.

Toutefois, cette vision rencontre d’importantes limites. Tout d’abord, les études empiriques peinent à mettre en évidence un impact négatif de certaines institutions sur le chômage. Même dans le cas du salaire minimum, il apparaît difficile de démontrer une relation négative. En effet, les exemples récents d’instauration puis d’augmentation d’un salaire minimum au Royaume-Uni entre 1998 et 2007 semblent plutôt favorables. Ensuite, au travers des trajectoires des pays dans les années 1990, l’existence de plusieurs voies de réduction du chômage apparaît clairement. Même si le cas du Royaume-Uni ou de l’Irlande constituent, jusqu’en 2007, des exemples d’institutions libérales s’accompagnant de bonnes performances du marché du travail, un niveau élevé de régulation des marchés du travail comme dans les pays du Nord de l’Europe conduit également à des résultats favorables. Ainsi, aujourd’hui, il semble bien établi qu’il n’existe pas de modèle unique de lutte contre le chômage et que plusieurs voies permettent d’obtenir de bonnes performances du marché du travail.

Par ailleurs, l’idée selon laquelle les institutions seraient la cause du chômage est de moins en moins avancée car la plupart des économistes préfèrent raisonner à partir d’une hypothèse d’interaction entre chocs et institutions. Par exemple, plus de la moitié de la hausse du chômage européen entre les années 1960 et 1990 s’expliquerait par les seuls changements institutionnels, allant, en moyenne, dans le sens d’un renforcement des contraintes sur les entreprises et / ou des protections pour les travailleurs. Ceci serait plus particulièrement le cas de la France et de l’Italie que celui de l’Allemagne. Cependant, d’autres études montrent que les institutions n’expliqueraient qu’une part très modeste des différences de taux de chômage entre pays.

Enfin, certains auteurs considèrent que les institutions ne sont pas l’explication ultime. Certains facteurs (degré de conflictualité des relations sociales, climat de confiance des citoyens…) expliqueraient les différences de performance du marché du travail.

En définitive, les causes du dysfonctionnement ou de la fluidité du marché du travail seraient diverses et multiples. Par exemple, les engagements européens de la France jouent aussi un rôle important dans sa démarche politique vers un moindre chômage.

2- La prise en compte dans le débat français relatif à l'emploi des problématiques macroéconomiques européennes.

​Eric Verhaeghe : D'une manière générale, la France ne s'est pas positionnée clairement sur le sujet de la compétitivité du travail. Elle a bien tenté des "manoeuvres" sur les plus bas salaires avec une politique de baisse des cotisations au-dessous de 1,6 SMIC pour limiter le recours à des emplois étrangers, notamment des détachés. Mais cette stratégie reste fragmentaire et limitée. On le voit bien sur la question du détachement: la France préconise une augmentation massive du coût du travail chez ses voisins, au lieu d'une baisse du coût du travail chez elle. Prenons le cas emblématique des transporteurs routiers: un chauffeur de camion polonais est plus compétitif qu'un chauffeur de camion français parce qu'il travaille plus et que son salaire n'est pas alourdi par le coût de la santé des retraités polonais qu'il faut financer. Autrement dit, la France n'a pas anticipé ce que signifiait la création d'un marché unique ni d'une zone monétaire unique. À de nombreux égards, la France continue à refuser obstinément les conséquences de cette ouverture à la concurrence directe de ses voisins. ​

Michel Ruimy : En effet, alors que l’Union européenne (UE) n’a jamais suscité autant de mécontentements et d’oppositions, la capacité des systèmes politiques européens à traiter les enjeux de la question sociale est pour le moins problématique. Les marques de défiance et, pire peut-être, de désintérêt des citoyens à l’égard de la vie politique nationale ou européenne n’ont cessé de progresser. Les partis communistes sont discrédités, le mouvement ouvrier s’est effondré, l’évolution idéologique des formations sociales-démocrates en Europe a évolué - elles parlent dorénavant au nom des pauvres et des exclus ou des perdants de la mondialisation – etc. Le projet de construction européenne est, en conséquence, la principale victime de cet environnement, subissant de plein fouet un climat d’hostilité qui rend difficile, dans le contexte actuel, la perspective de son développement politique.

C’est, pourtant, dans ce contexte que M. Macron, pro-européen, a été élu. Or, les fondements de l’UE sont d’inspiration libérale c’est à dire que l’Union s’est engagée dans une démarche visant à généraliser les règles de fonctionnement de l’économie de marché. En d’autres termes, ce sont les entraves à la libre concurrence qui nuisent au développement économique et notamment au dynamisme du marché du travail, en faisant obstacle à la mobilité des salariés, en freinant l’émulation entre ces derniers et en incitant même parfois à l’inactivité. Dans cette perspective, les limites actuelles des politiques de l’emploi tiendraient à l’insuffisance des réformes mises en œuvre et à la persistance des rigidités au niveau national. Cette posture l’amène, dès lors, à mettre en cause les emplois à statuts protégés, les monopoles d’État et, dans certains cas, le principe des missions de service public.

C’est pourquoi du fait du respect des engagements européens de la France et de ses convictions que le président de la République a initié une réforme du droit du travail et, notamment, la rupture collective conventionnelle, entrée en vigueur le 1er janvier. Ces actions visent à créer plus de souplesse en permettant aux entreprises de s’adapter à l’évolution du marché du travail ou de la concurrence mais aussi en incitant le plus grand nombre d’individus, en particulier les jeunes, les femmes, les chômeurs…, à (re)trouver un emploi via leur employabilité.

Tout ceci devrait, à terme, réduire le chômage et permettre d’envisager une croissance plus solide, créatrice d’emplois. 

3- L'incapacité du débat politique français à articuler une vision cohérente prenant en compte entre "réformes structurelles" et politique macroéconomique européenne

Michel Ruimy : Depuis maintenant plus de 40 ans, la précarisation des conditions de travail et la persistance du chômage de masse dans l’UE constituent un des enjeux économiques et politiques majeurs des gouvernements. Les nombreuses réformes du marché du travail introduites depuis la crise sont souvent analysées à travers le seul prisme des conséquences de cette crise. Or, les marchés du travail européens étaient, dès avant la crise, marqués par des évolutions profondes résultant de bouleversements économiques, sociaux et financiers majeurs : ralentissement de la croissance, financiarisation et tertiarisation des économies, concurrence accrue du fait de la mondialisation, changements démographiques et augmentation de la part des femmes dans l’emploi, poids des innovations technologiques et accélération du renouvellement des compétences demandées sur le marché du travail, évolution de la demande adressée aux entreprises et des modes de production, contrainte budgétaire…. Toutes ces évolutions, qui nécessitent une réduction des coûts, impliquent un besoin accru de souplesse et d’individualisation dans l’organisation de la production.

Pendant plusieurs années, la France a essayé de trouver une voie originale en s’inspirant des deux types de régulation du marché du travail qui prévalaient dans l’UE : la première, via la négociation collective (en gros l’Europe du Nord, l’Allemagne et l’Autriche) et la seconde, via le marché (Royaume-Uni). Aujourd’hui, elle se trouve confrontée, de manière plus aiguë à la nécessité de réformer les institutions du marché du travail. Si l’on se fie à l’expérience européenne, son choix se résumerait soit à se rapprocher du modèle bipartite de négociation collective de type nordique, soit à évoluer vers le modèle libéral.

En élisant M. Macron, les Français ont opté, dans une certaine mesure, pour la seconde solution.

4- La meilleure protection de l'emploi est le plein emploi et non une régulation protectrice

​Eric Verhaeghe : La France se heurte au dilemme habituel qu'on retrouve dans le débat sur les lois Hartz en Allemagne. On se souvient que ces lois ont permis de diminuer fortement les rigidités du marché du travail. Elles reposaient sur l'idée que le plein emploi valait mieux que le chômage de masse. La France a fait un choix inverse pour une raison idéologique simple: les Français considèrent qu'il vaut mieux un chômeur bien indemnisé qu'un travailleur pauvre. L'idée que l'emploi puisse être rémunéré faiblement horripile les Français. D'où les critiques nourries contre l'Allemagne qui aurait résolu le problème du chômage en se ralliant à la massification des travailleurs pauvres. Cette idée absurde et fausse est dans toutes les conversations. Elle est infirmée par toutes les statistiques. Néanmoins, elle continue d'être répétée en boucle dans toutes les conversations. Vous pouvez faire le test vous-même: dites "Allemagne", et votre interlocuteur répond automatiquement que le taux de pauvreté a augmenté en Allemagne en même temps que le plein emploi. Bien entendu, aucun de ses interlocuteurs ne prend par exemple soin de dire quel est le montant du salaire moyen en Allemagne. Il est très supérieur au salaire français. 

Michel Ruimy : Il me semble toutefois, que la principale réforme à engager est d’ordre culturel. Les « Trente glorieuses » font définitivement partie d’un autre temps en France. L’idée que chaque individu exercerait un même métier durant toute sa vie active et trouverait ainsi sa place dans la collectivité est aujourd’hui révolue, au profit d’une vision beaucoup plus incertaine, compétitive et mobile de l’activité professionnelle. En l’espace d’une génération, l’un des principaux modes d’inscription des individus dans la société (le travail) a donc été bouleversé, affectant la situation des marchés du travail et les politiques sociales mises en œuvre, mais aussi les attentes et les comportements politiques.

Il convient donc de réaliser une rupture radicale des mentalités même si une grande partie des Français restent persuadés que le maintien du système existant est, pour eux, une garantie de sécurité et même s’il y a un début de prise de conscience que le système français est à bout de souffle. Il s’agit de donner à chacun l’opportunité de montrer ce dont il est capable de faire et la chance de développer ses capacités par le travail. Ceci pourrait passer par plus d’initiatives individuelle et se concrétiser, à terme, par une réduction du taux de chômage.

En outre, si la réussite d’une véritable politique de retour au « plein emploi » suppose, à la fois, une meilleure compréhension des mécanismes économiques de la part des politiciens et de l’opinion publique, elle nécessite aussi un ensemble cohérent de décisions. Ce qu’il faut rechercher, c’est non pas la cohérence entre les réformes et le « modèle social français » mais la cohérence entre les différentes réformes afin d’éviter des décisions contradictoires qui ne permettraient pas de résoudre le problème du chômage et qui créeraient le doute dans l’opinion à l’égard des réformes à faire.

Enfin, une politique cohérente de rupture avec le modèle actuel ne peut évidemment pas avoir d’effets immédiats. On sait bien que les transitions sont toujours difficiles et que les réformes peuvent transitoirement mettre en cause des avantages acquis. Il faut donc que les politiciens soient armés de courage et de conviction pour maintenir le cap en dépit des difficultés éventuelles du court terme.

Toutefois, des résultats positifs doivent aussi pouvoir être enregistrés relativement rapidement afin de renforcer la confiance dans les réformes engagées.

5- La nécessité de prise en compte des personnes perdant leur emploi et ayant peu de chance d'en retrouver un. 

​Eric Verhaeghe : Je serais volontiers plus pessimiste que vous. D'une manière générale, je dirais que la Français compte 3,5 millions de chômeurs avoués, mais beaucoup moins de candidats à un emploi, et encore infiniment moins de candidats réalistes à un emploi. De ce point de vue, il existe si j'ose dire trois niveaux dans la trappe à chômage française. Le premier niveau est celui de la désincitation à la recherche effective de travail par une indemnisation trop favorable. Le deuxième niveau est celui d'un manque de compétences de beaucoup de demandeurs d'emploi qui ne sont pas capables d'exercer les métiers disponibles sur le marché. La caricature se trouve dans les métiers de l'informatique, où la pénurie de main-d'oeuvre pénalise les capacités de reprise de l'industrie française. Le troisième niveau tient au manque d'adaptation de la main-d'oeuvre, spécialement des jeunes, par rapport aux exigences de l'entreprise. Combien de jeunes au chômage, qui disposent d'un diplôme moyen, expliquent dans un entretien de recrutement à quelles conditions hallucinantes ils sont prêts à travailler? Ce serait intéressant de faire un sondage pour le savoir. Ce ventre mou d'un chômage consenti est un tabou. Il est pourtant majeur chez les demandeurs d'emploi. 

Michel Ruimy : Une des caractéristiques du chômage français est qu’il touche plus fréquemment les non ou les moins qualifiés que les autres. Rappelons ce que l’on appelle « qualifications ». Il s’agit des savoirs et savoir-faire acquis par la formation initiale et / ou un travail et qui rendent le travailleur apte à occuper un emploi. Ces savoirs sont souvent identifiés dans les statistiques par le niveau et le type de diplôme.

Pour mieux saisir la réalité, intéressons-nous au « risque d’être au chômage selon le niveau de diplôme » : en France, en moyenne, en 2014, le risque d’être au chômage était 2,5 fois plus élevé pour les personnes sans diplôme, ou ayant au maximum le brevet des collèges, que pour celles ayant un diplôme supérieur à bac + 3. Il apparaît donc que le risque d'être au chômage avec un risque fort d’exclusion du marché du travail est bien plus élevé chez les actifs ayant un bas niveau de formation et / ou occupant un emploi peu qualifié.

Par conséquent, une politique de l’emploi, passant par la formation, ciblée vers ces populations défavorisées en termes de qualification, apparaît comme une condition nécessaire à la réduction du nombre de chômeurs en permettant à certaines catégories d’individus d’intégrer la société par le travail. Il ne faut pas oublier que ces efforts de formation bénéficient aussi aux firmes : une main d’œuvre qualifiée est plus efficace et permet des gains de productivité, ce qui accroît la compétitivité des entreprises.

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