Retraites : où sont les vraies marges de manœuvre ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’avenir à court et moyen terme de nos retraites par répartition dépend largement de l’activité économique et de l’emploi.
L’avenir à court et moyen terme de nos retraites par répartition dépend largement de l’activité économique et de l’emploi.
©Reuters

Dédale

Jean-Marc Ayrault recevait hier lundi les différents partenaires sociaux afin de préparer l'épineuse question de la réforme des retraites. Pressés par les prévisions alarmantes du Conseil d'Orientation des Retraites, le gouvernement serait ainsi prêt à réformer aussi vite que possible. Reste à savoir quelles sont aujourd'hui les pistes envisageables.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Jean Marc Ayrault recevait hier lundi les différents partenaires sociaux afin de préparer la grande conférence de juin qui abordera l'épineuse question de la réforme des retraites. Le gouvernement serait visiblement prêt à passer outre les recommandations des syndicats pour agir rapidement sur la question mais la France dispose-t-elle encore de réelles marges de manœuvre financières ?

Jacques Bichot : Les syndicats ont raison sur un point : l’avenir à court et moyen terme de nos retraites par répartition dépend largement de l’activité économique et de l’emploi. 1 % de personnes employées en plus, cela apporterait 6 ou 7 milliards de recettes annuelles supplémentaires. En comparaison, une sous-indexation de 1 point du montant par rapport à l’inflation (pensions revalorisées de 0,6 % seulement si les prix augmentent de 1,6 %) économiserait seulement 2,6 milliards.

Cela signifie que l’action la plus efficace en faveur des retraites, c’est de libérer l’activité. Par exemple, un récent rapport a montré combien l’accumulation de normes techniques imposées par l’administration (environ 400 000) décourage collectivités, associations, entreprises et particuliers d’élargir leurs activités ou de démarrer des travaux. Les normes imposées par Bruxelles font partie du problème à résoudre : en obligeant nos éleveurs de poulets à augmenter la taille des cages où sont élevés les volatiles, la réglementation européenne a sinistré la filière avicole française, très prospère jusqu’il y a quelques années. La chute brutale de notre production d’œufs et de volailles, ce sont des milliers d’emplois en moins. De même, le drame de notre industrie automobile pourrait être soulagé en réduisant les brimades en tous genre infligées aux automobilistes (rétrécissements de chaussées, suppressions de places de parking gratuit, multiplication des dos d’ânes artificiels, etc). Des dizaines de mesures de ce genre, destinées à moins « emm… » les Français, pourraient fournir des milliers de créations d’emplois… et réduire d’autant le déficit des retraites.

De plus, le relèvement de l’âge de départ en retraite, qui fait évidemment partie des réformes « paramétriques » envisageables, n’aura aucun sens si l’accroissement de l’offre de travail qui en résultera ne s’accompagne pas d’une augmentation de la demande de travail. Or, celle-ci est actuellement découragée par la réglementation. Il faudrait premièrement éviter de créer de nouvelles obligations aux entreprises, comme par exemple une assurance maladie complémentaire organisée au niveau de chaque branche ; et deuxièmement élaguer le plus vite possible le stock démentiel de réglementations existantes. Les travailleurs allemands ne sont pas livrés pieds et poings liés à des employeurs qui les exploitent ! Et pourtant le code du travail allemand est cinq fois moins volumineux que son homologue français. Quant au code suisse, c’est plutôt vingt fois moins. Que le gouvernement ait le courage de simplifier vraiment (en supprimant des obligations, et pas seulement en substituant aux déclarations papier des déclarations par internet qui simplifient surtout le travail … de l’administration !) et l’emploi ira moins mal, ainsi que les finances des régimes de retraites.

En ce qui concerne les ajustements paramétriques à réaliser sur les retraites elles-mêmes, nous ne couperons ni au relèvement des âges légaux, ni à l’augmentation de la durée d’assurance requise pour arriver au taux plein, ni à la sous-indexation des pensions. Comment, par exemple, justifier que la valeur du point d’indice des fonctionnaires soit bloquée en valeur nominale depuis des années, mais que les pensions des fonctionnaires retraités soient indexées à 100 % ? Comment imaginer que le régime général ne pratique pas une sous-indexation analogue à celle que viennent de décider l’ARRCO et l’AGIRC ? Nous n’avons pas de marge de manœuvre, il faut faire feu de tout bois.

Une remarque supplémentaire montre l’énormité de l’erreur commise depuis vingt ans en refusant de préparer une réforme structurelle : il serait normal de conserver l’indexation des pensions sur les prix pour les retraités qui ont des revenus très modestes. Par exemple, on indexerait les pensions jusqu’à 800 € par mois, et pas au-delà. Une telle mesure est simple à prendre en Suède ou aux États-Unis, pays où il existe un seul régime par répartition. Mais en France, avec nos trois douzaines de régimes, comment faire ? Traiter un par un 15 millions de dossiers comportant chacun le plus souvent 3 pensions (et parfois une douzaine) versées par différentes caisses est impossible dans un laps de temps raisonnable. Donc nous ne sommes pas capables de faire une économie socialement équitable. Ce qui montre, si besoin était, qu’il faut absolument ne pas se limiter au court terme, comme on le fait d’habitude, mais engager rapidement les travaux préparatoires pour une réforme structurelle comportant, entre autres choses, le passage à un régime par répartition unique « pour tous ».

Avons-nous vraiment tout envisagé sur la question ? Y'a t-il d'autres options, non évoquées par le gouvernement actuel, qui pourraient être salutaires ? Comment pourraient-elles être adaptables en France ? 

La France est très loin d’avoir tout envisagé ! Les pouvoirs publics se sont obstinément refusés depuis 1983 à préparer une réforme structurelle intelligente (la réforme de 1982 était structurelle, mais difficile de faire plus bête que, premièrement, d’abaisser fortement l’âge de la retraite et, deuxièmement, d’introduire une décote fonction à la fois, et inséparablement, de la durée d’assurance et de l’âge, ce qui rend impossible l’instauration d’une retraite à la carte avec neutralité actuarielle comme le permettait, si on l’avait voulu, le système antérieur). Or, à long terme, c’est de là que viendra le salut. Il faut, bien entendu, abandonner la prise en compte de la durée d’assurance, qui joue un rôle central dans les régimes de base, pour passer à un décompte des droits à pension sous forme de points, comme dans nos régimes complémentaires. Mais ce n’est là qu’un élément de la réforme à préparer. Nous devons aussi et surtout abandonner l’idée, totalement fausse, que nos cotisations préparent nos futures pensions : elles sont versées aux retraités actuelles, et pour les actifs c’est terminé, il n’y a rien à en tirer. Il faut nous inspirer du théorème de Sauvy, qui s’énonce : « nous préparons nos retraites, non par nos cotisations, mais par nos enfants ». L’oubli de cette réalité est à l’origine d’une grande partie des mésaventures de nos retraites par répartition. Le jour où la formation initiale, financée aujourd’hui par des impôts qui, pour ceux qui les versent, ne donnent droit à rien, alors même qu’ils servent à réaliser un investissement hautement productif, sera financée par une cotisation jeunesse productrice de points de retraite, nous aurons accompli une révolution copernicienne qui nous fera faire des progrès gigantesques. Nous devrions jouer la carte de l’innovation en matière de retraites par répartition, c’est une forme d’innovation qui peut apporter beaucoup à la compétitivité de l’entreprise France.

Nous devrions aussi modifier le mix répartition/capitalisation au profit de cette dernière. Outre-Rhin, l’assurance vieillesse n’arrête pas de prévenir les assurés sociaux : utilisez les formules d’épargne en vue de la retraite, car avec la natalité que nous avons les retraites par répartition deviendront forcément moins généreuses. Et l’épargne Riester, comme l’appellent les Allemands, comporte un mécanisme de subventionnement très social et familial, instauré par le gouvernement social-démocrate dont Riester était ministre du travail, qu’un gouvernement socialiste français pourrait imiter sans renier ses idéaux.

Comment les relayer politiquement ? Quelle stratégie adopter pour s'assurer que la réforme aille (enfin) au bout ?

Le temps nécessaire pour préparer une réforme structurelle se compte en années. En commençant cette préparation maintenant, les projets pourraient faire partie des programmes des candidats à la prochaine présidentielle et aux législatives qui suivront. La mise en place, qui prend facilement deux ans, pourrait aboutir en 2019, et en 2020 la France serait dotée d’un « régime pour tous » de bonne qualité.

Pour en arriver là, il est nécessaire que soient mises en place des équipes (disons une pour la majorité et une pour l’opposition) suffisamment nombreuses et compétentes, composées principalement de spécialistes, qui dialogueraient régulièrement avec les politiques et les partenaires sociaux. Le financement public de ces travaux, de l’ordre de 15 millions par an pour chaque équipe, constituerait un investissement extrêmement rentable. Le passage à un « régime pour tous » économiserait en effet, en frais de gestion, 2,5 à 3 milliards d’euros par an. Ce montant, résultat d’un calcul de coin de table que j’avais effectué il y a quelques années, a été récemment corroboré par une étude du cabinet Accenture.

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