Retraites : les désespérés, les inquiets et ceux qui pensent qu'ils passeront entre les gouttes... qui sont les Français qui y croient encore (et qui est prêt à faire des efforts) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Seulement 26% des Français sont confiants concernant le versement d'une pension de retraite jugée convenable.
Seulement 26% des Français sont confiants concernant le versement d'une pension de retraite jugée convenable.
©Reuters

Avenir sombre

Selon une étude Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, les Français restent attachés au système par répartition, mais ils sont de plus en plus pessimistes quant au montant de leurs futures pensions.

Atlantico : L'enquête qualitative menée par l'IFop pour la Fondation Jean-Jaurès (voir ici) révèle que seuls 26% des Français se montrent confiants concernant le versement d’une pension de retraite jugée convenable. Quels sont les principaux enseignements à en tirer ?

Jérôme Fourquet : L'enseignement majeur est que la perception positive de la retraite, qui était vue comme une période heureuse, un havre de paix bien mérité, est en train de se lézarder sous l'effet des réformes successives. Les personnes interrogées ont le sentiment que le niveau de vie des retraités baisse, que les pensions sont plus maigres que par le passé. Il y a aussi l'idée qu'il faudra travailler plus longtemps et que l'âge de départ à la retraite sera plus avancé.

Deuxième enseignement, les Français ont une connaissance relativement floue du mode de fonctionnement actuel. Le système par répartition est compris, mais la multiplication des réformes a introduit de la complexité. Dans l'esprit des personnes interrogées, il y a désormais une confusion entre l'âge de départ à la retraite et le nombre d'années de cotisations.

Philippe Crevel : Les résultats de l’enquête de la Fondation Jean-Jaurès confirme ceux de l’étude menée au printemps par le Cercle des Epargnants. Près des trois quarts des Français ne sont pas confiants en ce qui concerne l’avenir de retraite. 44 % sont même pas du tout confiants. Depuis de nombreuses années, l’inquiétude en matière des retraites se maintient à un niveau élevé. C’est assez logique. L’accumulation des déficits et des réformes est anxiogène. Les Français éprouvent les pires difficultés à appréhender le montant de leur future pension. Ils tombent vite dans l’excès en pensant que de toute façon ils n’auront plus de pension. Cette enquête souligne par ailleurs que l’absence de consensus sur les moyens à utiliser pour réduire le déficit des régimes vieillesse. La durée de cotisation comme l’augmentation des cotisations ne trouvent pas preneurs dans l’opinion publique. 89% des Français ne sont pas satisfaits de la réforme a minima de Jean-Marc Ayrault. Il y a même 60% qui ne sont pas du tout satisfaits.

L’enquête de la fondation Jean Jaurès démontre que les Français sont à la recherche de plus d’équité d’où l’approbation de l’instauration d’un compte individuel de pénibilité. Certes, sa mise en forme sera très compliquée. Il n’en demeure pas moins qu’il semble répondre aux attentes de nombreux concitoyens.

Comment le rapport des Français à la question a-t-il évolué ?

Philippe Crevel : Les Français sont très attachés au système de retraite par répartition. Nous espérons tous être à la retraite quand nous ne souhaitons pas être malades ou au chômage. De ce fait, le droit à une retraite est une priorité pour la totalité des Français.  La retraite est perçue comme une délivrance, un droit à une seconde vie. Cette idéalisation de la vie après le travail explique la difficulté rencontrée pour réformer le système de retraite. Au fil des réformes, les Français se bloquent de plus en plus. Bizarrement, l’enquête du mois de février du Cercle des Epargnants avait montré qu’une majorité des Français jugeait nécessaire le report de l’âge légal au-delà de 62 ans ce qui ne signifie pas qu’ils y étaient favorables.

Jérôme Fourquet : Les représentations positives de la retraite qui s'étaient installées à partir des années 1980 et de l'instauration de la retraite à 60 ans s'estompent. On est dans un mouvement inverse avec l'idée d'une dégradation de cette parenthèse dorée que constituait la retraite pour de nombreux français. 

Qui sont les Français les plus inquiets pour leur retraite ?

Philippe Crevel : Les jeunes actifs qui considèrent que le système ne tiendra pas jusqu’à leur cessation d’activité et les actifs confirmés qui ont entre 40 et 50 ans figurent parmi les plus inquiets. Au niveau des catégories socioprofessionnels, aucune n’échappe à l’inquiétude.

Selon l’enquête du Cercle, 35% des jeunes (18-24 ans) placent la question du financement des retraites en première priorité pour les prochaines années devant le logement (28%). Plus logiquement, les complémentaires « santé » et la dépendance arrivent loin derrière avec respectivement 3 et 4%. A titre individuel, les jeunes sont très légèrement plus inquiets que leurs aînés quand ils pensent à leur future retraite (68% d’entre eux pour une moyenne nationale à 67%) ; seulement 11% sont confiants. Ils sont même près d’un cinquième à se déclarer très inquiets. Cette angoisse est encore plus nette pour les jeunes actifs (25-34 ans), 77% d’entre eux se qualifient d’inquiets et à peine 6% d’entre eux avouent être confiants. Ils sont même 38% à être tout à fait inquiets pour une moyenne nationale de 25%.

Les femmes sont, en règle générale,  plus inquiètes que les hommes pour leur propre retraite. Toujours selon l’étude du Cercle, elles sont 70% à se déclarer inquiètes contre 64% chez les hommes. 28% des femmes se déclarent même très inquiètes contre 23% chez les hommes. Cette inquiétude peut s’expliquer par le fait que les retraites des femmes sont inférieures de 20% à celles des hommes et également que la réforme pourrait modifier le régime de réversion. Il en résulte que le financement de la retraite est une préoccupation majeure chez les femmes.

Jérôme Fourquet : Les moins de 35 ans sont les plus inquiets. Ils pensent que le système actuel va être tellement reformaté qu'ils n'en bénéficieront pas. Néanmoins, étant donné leur âge, la retraite n'est pas un sujet de préoccupation quotidien. A l'inverse, la tranche d'âge du dessus, les 35-49 ans, se penchent plus directement sur la question et s'interrogent vraiment sur l'issue des réformes.

Où se trouve la frontière entre ceux qui pensent qu'ils s'en sortiront et ceux qui pensent que le système des retraites est condamné ?

Jérôme Fourquet : Notre étude qualitative montre que les Français sont attachés au système par répartition et sont conscients qu'il faut faire des efforts pour le sauvegarder parce qu'on vit plus vieux et que le ratio cotisants/retraités a considérablement chuté. Ces 25 ou 30 dernières années, il y a une prise de conscience plus au moins résignée qu'il faut réformer. C'est d'ailleurs aujourd'hui, la gauche qui s'attaque à ce dossier alors qu'il y a trois ans, elle défilait avec les syndicats contre la réforme Woerth/Fillon. Cela ancre davantage dans l'esprit des Français qu'il n'y a pas d'alternative et cela ne les aide pas à se projeter dans l'avenir. Selon un sondage que nous avons effectué début septembre 2013 avant et après les annonces de Jean-Marc Ayrault pour le magazine Pèlerin, 82% des Français étaient inquiets pour le montant de leur retraite avant les annonces. Ce score était encore de 79% quelques jours après les annonces. Le niveau d'inquiétude n'a donc pas bougé d'un iota. Au regard de nos chiffres et de notre étude qualitative, l'inquiétude des Français quant à la pérennité de leur système n'a pas du tout été levée. Pour la grande majorité des Français, c'est donc un sentiment de résignation qui l'emporte. 

Philippe Crevel : Le fait de posséder un patrimoine et en particulier d’être propriétaire de sa résidence principale, le fait de pouvoir épargner en vue de la retraite changent le rapport à la retraite. Les employés sont plus inquiets que les cadres supérieurs ou les dirigeants d’entreprise. Les TNS, les jeunes mais aussi les femmes sont les plus sceptiques. En fait, au fond de nous même, nous avons peur que le système disparaisse tout en souhaitant qu’il survive.

Observe-t-on un clivage générationnel ? Existe-t-il d'autres clivages, socio-professionnel par exemple ?

Jérôme Fourquet :Il y a un clivage d'âge très marqué. Ceux qui ont plus de 50 ans et à fortiori ceux qui sont déjà à la retraite, pensent que le système va perdurer encore quelques années. Le gouvernement a fixé l'horizon 2025 pour une nouvelle augmentation du nombre des annuités. D'ici là, beaucoup de gens seront partis à la retraite. Inversement, pour les générations de moins de 35 ans, qui sont rentrés en moyenne à 23-24ans sur le marché du travail, leur retraite est d'ors et déjà programmée au minimum à 66-67 ans avec 43 annuités de cotisations.

Il existe un clivage socioprofessionnel sur les efforts à consentir pour préserver le système. Les professions libérales ne souffrent pas en général de la pénibilité au travail et ne se sentent pas usés par le travail. Elles sont donc davantage favorables à des mesures d'âge et à l'augmentation du nombre d'annuités. A l'inverse, les milieux populaires, qui connaissent pourtant des tensions sur leur pouvoir d'achat, sont davantage favorables à des hausses de cotisations. Ce paradoxe s'explique par un rapport au travail radicalement différent au quotidien. Dans les classes populaires on ressent davantage la pénibilité, l'usure physique et l'insécurité économique lié au chômage. Pour certaines des personnes interrogées, un nouveau recul de l'âge de départ à la retraite est insupportable psychologiquement et physiquement.

Philippe Crevel : L’angoisse de la retraite était rare chez les jeunes générations il y a vingt ans. Aujourd’hui, avec la multiplication des annonces alarmistes, les moins de 35 ans figurent parmi les plus inquiets. Or, en début d’activité professionnelle, penser à la retraite est un comble. La situation actuelle ne pousse pas à la prise de risques  les jeunes avec ce type de réaction deviennent vieux avant l’heure. Certes, ils n’ont pas tout à fait tort de considérer que les pouvoirs publics transfèrent une partie non négligeable du cout des retraites sur leurs épaules avec l’accumulation des déficits et en jouant sur la durée de cotisation. Sinon, il y a toujours eu un clivage professionnel entre les travailleurs indépendants toujours sceptiques face au système par répartition et les salariés. Ce qui est plus nouveau, c’est la montée de l’inquiétude chez les fonctionnaires. Le débat sur le calcul de leurs pensions et l’alignement de leur durée de cotisation sur celle du privé expliquent, sans nul doute, cette tendance.

Finalement, quel bon sens populaire sur l'enjeu des retraites se dégage de cette enquête ? Quelle pédagogie de la réforme peut en découler ?

Philippe Crevel : La partie n’est pas gagnée. Mais, il y a des enseignements positifs. Les Français comprennent de mieux en mieux que le "tout cotisation" a ses limites. Nous pouvons à terme espérer que l’entreprise retrouve des vertus dans la tête des Français, qu’elle soit considérée comme un centre de création de valeurs et non comme un centre d’injustices. Les Français sont, sans nul doute, moins fermés à l’idée d’un réforme plus structurelle qu’il n’y paraît. Ils souhaitent plus d’équité. L’harmonisation du non-régime de la fonction publique, l’égalité homme-femme, la pénibilité sont des combats à mener et qui reçoivent l’assentiment de nombreux Français.

Pour réussir une réforme, il faut fixer des objectifs clairs et ambitieux. Il est difficile de mobiliser l’opinion sur la réduction des déficits surtout que depuis des années cette bataille semble être perdue d’avance. Il faudrait tenter de mobiliser sur le thème de l’égalité de traitement, sur la simplification, sur le maintien d’un haut niveau de pension avec en contrepartie des choix clairs : report de l’âge de départ à la retraite, instauration de retraites calculées en fonction de l’espérance de vie, plafonnement des cotisations sociales…

Aujourd’hui, les pouvoirs publics choisissent l’appauvrissement sans le dire à travers une série de mécanismes peu lisibles avec un effet dilutif. La réforme au fil de l’eau, à force, crée de la frustration sans rien régler. Il faut changer de méthode et oser !

Jérôme Fourquet : Pour que les réformes puissent espérer aboutir, il y a un pré-requis : donner des gages de justice sociale. Exemples : introduire le paramètre de la pénibilité, rééquilibrer les retraites des femmes par rapport aux retraites des hommes, prendre en compte des dispositifs tel que les apprentissages et les stages, taxer davantage les gros salaires et bien sûr aligner le public sur le privé. Un certain nombre d'avantages dont bénéficient certains régimes comme la retraite des parlementaires doivent être arasés pour mettre tout le monde sur un pied d'égalité. Il y a une très forte demande de mise à équivalence stricte du public sur le privé sur la durée de cotisation, l'âge de départ, mais aussi le mode de calcul. 

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