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Retraites : le jeu des 7 erreurs
©Thomas SAMSON / POOL / AFP

Clownerie généralisée

De l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par le PS, LREM ou LR, les idées fausses sur les retraites entendues ces derniers jours sont légion.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Le débat sur les retraites ne comporte pratiquement que des clowneries, et je garde le « l » pour rester poli. En vrac, à gauche puis à droite et à l’extrême-centre :

1/ « le système par répartition est moins fort (étant donné le vieillissement) mais plus juste que le système par capitalisation » : pas du tout. Les deux systèmes sont presque équivalents face à la démographie, car si on voit bien les limites de la répartition il ne faut pas oublier que la capitalisation a elle aussi besoin de croissance (via la bonne santé des classes d’actifs sur les marchés) ; il n’y a pas de système miracle quand les travailleurs se font plus rares face aux pensionnés, par contre la capitalisation est plus incitative pour l’épargne de la Nation, ce qui compterait s’il y avait des raisonnements économiques de long terme dans notre débat (au lieu du sempiternel triangle comptable d’impossibilité que l’on entend désormais partout entre durée de cotisation, montant des retraites et des cotisations). 

Bravo au passage à tous nos courageux opposants à la capitalisation (ils ne sont que 68 millions dans ce pays). Ces authentiques dissidents qui n’ont que la solidarité à la bouche (même si de méchantes langues affirment que leurs arrières sont assurés) mènent un combat contre le MAL (mouvement des anarchistes libertariens) ; alors pensez bien et votez bien, luttez contre le mal, soutenez le combat isolé de Julien Aubert contre la pensée anglo-saxonne vendue au grand Kapital.    

2/ « il faut que le système sois juste, redistributif » : oui, et la fiscalité aussi, l’école aussi, la santé aussi, la politique monétaire aussi, tout devrait être solidaire, mais juste quelques petites questions : si nous superposons plusieurs couches de solidarité, budgétaires et territoriales, thématiques et intergénérationnelles, c’est pour atteindre quel niveau de redistribution, au fait ? ah bon, on ne sait pas bien quelle est la fonction de bien être sociale que l’on maximise ? et on s’étonne à la fin d’un système fiscalo-social toujours plus illisible, non-réformable, vecteur de suspicions et de désincitations ? ne serait-il pas plus logique et plus démocratique de faire les choses proprement (des impôts forfaitaires ou proportionnels, un régime de retraite universel,…) puis de consacrer des moyens importants, du coté de la dépense publique et des services publics, à l’aide aux moins favorisés, dans la transparence ? De nos jours, on fait de la redistribution sectorialisée, au petit bonheur la chance, un peu partout sans aucune stratégie d’ensemble, à la Piketty, coté dépense ET coté recettes, sans choix conscients et votés, et donc sans aucune évaluation possible. Je ne veux pas d’un système de retraite juste, je veux un système efficace, incitatif et lisible, qui aidera à financer les dépenses sociales fortes indispensables à un pays archipellisé, proche du nervous breakdown, condamné comme Sisyphe à soutenir par son Etat une population anciennement industrielle pilonnée par l’euro trop cher. 

3/ « il faut tenir compte de la pénibilité » : une foutaise totale, car tout le monde prétendra avoir un travail pénible, même moi. J’ai un article en 2007 sur ce sujet pour la revue Sociétal et (désolé, je m’envoie des fleurs) il n’a pas pris une ride. Encore une idée de la CFDT qui a l’air raisonnable mais qui va automatiquement dériver, puis nous coûter très cher (la CFDT est spécialisée dans ce genre de choses, souvenez-vous des 35 heures, et jadis de la co-gestion). En attendant, c’est un coin croissant dans l’idée d’universalité (une machine à recréer des régimes spéciaux), un encouragement aux surenchères victimaires (d’autant que les droits ouverts sur cette base ne risquent pas d’être abolis), et un non-sens stratégique sur le plan social si vous avez lu le 2e point de ce billet contre l’effet arlequin. 

4/ « il y avait urgence à agir pour que les gens se disent que les pensions seront un jour payées » : c’est ce qu’ose dire le gouvernement (par exemple, la misérable Sibeth Ndiaye entre deux bourdes), mais sur quelle base ? Qu’est-ce qui permet de dire que les cotisations n’aboutiront pas à des versements ? Un pays en faillite ? C’est l’argument de la peur, à la fois logique pour un pouvoir qui ne repose depuis le tout début que sur la peur du chaos (Le Pen) et consternant sur le fond pour un pays de l’OCDE qui consacre 14% de son PIB chaque année aux retraites. 

Si un économiste raisonnable devait tenter un « top 10 » des réformes urgentes et importantes en France, il est probable que la retraite par points assortie de mesures vexatoires contre les plus jeunes ne ferait pas partie de la liste : il y aurait d’abord une remise à plat de la gouvernance sur la monnaie, puis une libéralisation du foncier (la fin des restrictions à la construction), la participation, une remise des dettes, etc. Alors pourquoi nos dirigeants mal élus et mal aimés ont-ils investis autant de ce capital politique qui leur manque dans un domaine aucunement prioritaire ? Parce que la retraite est, avec la fiche d’imposition, une expérience vécue, un sujet qui parle à tout le monde, un bon truc de politicien budgétariste (alors que la cible d’inflation de la BCE pour mettre fin à la japonisation du continent européen…). Se pointer, en 2022, avec le scalp des régimes spéciaux, voilà qui peut rapporter gros pour continuer l’OPA sur le vote de centre-droit chez les plus de 60 ans (curieusement, la cible politique de Macron) : sur le thème « Fillon et Juppé en avaient rêvé, je l’ai fait, nananère ». Pendant ce temps, les vraies réformes sont enterrées, et la plupart des promesses délirantes de Macron oubliées (Europe fédérale, pas un SDF dans la rue, équilibre budgétaire, transition énergétique,…), on n’a même pas entendu le scandale des résultats de l’éducation nationale dans l’enquête PISA.          

5/ « il est curieux que ce gouvernement d’énarques fasse preuve d’autant d’amateurisme » : si vous aviez un peu lu du Atlantico ou votre serviteur depuis 3 ans, vous ne seriez guère étonnés…

Variante : « derrière Macron, il y a les méchants de Blackrock » : si seulement c’était vrai ! il y aurait au moins des adultes dans la pièce ! On peut dire ce que l’on veut de Blackrock, mais ce sont des gens sérieux, pas de gens qui après deux ans et demi dans la direction d’une banque prétendent ré-inventer le capitalisme. Avec une société de gestion spécialisée en produits collectifs et industrialisés à la tête du pays, nous aurions une réforme de droite des retraites (éléments de capitalisation et/ou provisionnement du système par répartition), avec ses avantages et ses inconvénients, pas un projet techno qui vire vite au gloubi-boulga.   

6/ « il faut éviter un système à deux vitesses, hein » : pauvre tache, il y en a déjà des dizaines ! Officiellement, il n’y a pas de fonds de pension (mais il y a l’assurance-vie). Officiellement, il n’y a pas de capitalisation (sauf pour les cadres et les fonctionnaires, cf la Préfon). Officiellement, les français ne surinvestissent pas dans l’immobilier à des fins d’épargne retraite (pas du tout). C’est bien la débrouille à tous les niveaux, et certains sont plus égaux que d’autres, avec des élites très bien servies en matière de palette de choix de solutions de retraite (il est rare que les élites s’interdisent des choses enrichissantes dans ce pays, par contre elles aiment bien les interdire aux autres). Une sortie par le haut serait la voie distributiste, la participation, je l’ai déjà dit maintes fois dans ces colonnes, on pourrait même financer l’amorce de cette ambition par des mesures de politique monétaire comme la monnaie hélicoptère, mais on se heurte là à tous les conservatismes de gauche, de droite et d’outre-Rhin.

J’aurais pu trouver une 7e erreur mais il est tard et puis, natif de 1976 (à croire que Manu l’a fait exprès), je dois ménager mes efforts si je veux tenir le rythme jusqu’à ma retraite.

Conclusion. Dans le contexte général gris grisaille, le régime universel par points n’était pas du tout une idée illégitime (du moins en cas de gouvernement légitime pour le porter), mais j’en parle déjà au passé car nos saboteurs en chef (ToutanMakron, son grand Vizir Edouard du Havre) ont trouvé le moyen de le fragiliser et de le pervertir en trois semaines : ré-introduction incongrue d’éléments « paramétriques » pour se fâcher avec le seul allié syndical possible, pédagogie anxiogène, concessions anti-universalistes à la pelle et en urgence pour faire passer la pilule ; et pourquoi pas un « grand débat national » sur les retraites, à la fin, animé par Jacques Attali et sponsorisé par Dunlopilo et Tranxen 200 (après l’âge légal et l’âge pivot, l’âge pavot ??)...     

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