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Retard sur les tests: radioscopie d’un ratage français
©YANGZHOU

Covid 19

L’industrie française avait la possibilité de répondre rapidement aux demandes de masques, de respirateurs et de matériel médical... Tout le monde industriel est prêt, sauf quand on les oublie ou, en l’occurrence , quand on les méprise !

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Atlantico : Depuis le début de la pandémie, vous demandez à ce que l’on comprenne mieux l’industrie française et que l’on fasse appel à elle , qu’en est-il des tests ? 

Loïk Le Floch-Prigent : Comme cela apparait désormais dans tous les commentaires l’industrie française avait la possibilité de répondre rapidement aux demandes de masques, de respirateurs et de matériel médical. La véritable limitation était celle du nombre de lits de réanimation et du personnel dédié, mais on a vu que le secteur privé , les cliniques, pouvait aussi être mobilisé et qu’une bonne coopération médicale pouvait « encaisser » jusqu’à 10 000 patients en soins intensifs. Cela reste loin des chiffres allemands autour de 25 000, mais on voit qu’un peu plus d’anticipation, c’est-à-dire une mobilisation dès fin Janvier aurait pu optimiser notre réaction collective, et éviter l’improvisation de la politique de confinement . Pour les tests, comme on l’a beaucoup écrit il faut distinguer ceux qui détectent les personnes infectées, les » PRC », avec des écouvillons qui vont chercher le virus dans le nez, qui sont effectués sur un certain nombre de personnes aujourd’hui (les « coronadrives ») et ceux qui seront indispensables dès demain, ceux qui essaieront de déterminer si les personnes sont immunisées, tests dits « sérologiques ». Nous sommes encore très loin, en nombre de tests effectués, des performances de nos voisins allemands (6 fois moins), mais aussi espagnols, italiens et suisses . Rien ne permet de le justifier, nous avons une industrie biologique solide, un maillage du territoire en termes de traitement tout à fait exceptionnel, et encore une fois nous n’avons pas fait appel à ces compétences, c’est pourquoi j’ai demandé à Jean-Louis Hunault Président du Syndicat de l’Industrie du Médicament et du diagnostic Vétérinaires (SIMV) de venir répondre avec moi à vos questions. La biologie, la science du vivant , ne pose pas de barrières entre l’homme et l’animal, c’est pourquoi je m’étais élevé en son temps contre la vente par Sanofi de sa filiale animale Merial basée à Lyon à l’Allemand Boehringer(2015-2016), sans succès , ce qui démontrait déjà la méconnaissance profonde des politiques et des administrations des réalités industrielles. Mais Merial intégré dans Boehringer, B I animal , avec ses capacités de fabrication de vaccins reste à Lyon et Boehringer est avec MSD une des deux grandes entreprises qui restent engagées les deux secteurs humain et vétérinaire et Merial-BI participe donc à notre souveraineté sanitaire dont nous redécouvrons un peu tard la nécessité . L’industrie biologique est « tirée » par les exigences scientifiques, techniques et éthiques du secteur vétérinaire qui , par ailleurs, demande des rendements élevés et des prix bas. Quand on a un problème de tests, c’est donc d’abord à l’industrie du médicament vétérinaire à laquelle il faut faire appel, je laisse à Jean-Louis Hunault le soin de nous dire si cela a été le cas. 

Jean-Louis Hunault : Cette pandémie ne prospère qu’en l’absence de vaccin. La prévention, la vaccination c’est notre métier et la France est le leader mondial de la production de vaccins vétérinaires dans le monde alors que 60 % des maladies émergentes sont d’origine animale. Cette situation nous rappelle combien notre secteur industriel est stratégique dans le concept d’une seule santé. Nos 40 entreprises ont très vite pris des initiatives au-delà de garantir à la profession vétérinaire l’absence de ruptures dans l’exercice de la médecine d’urgence à laquelle elle se retrouvait cantonnée. Avec l’Agence Nationale du Médicament Vétérinaire au sein de l’ANSES et en coordination avec l’ANSM, nous avons produit et livré des anesthésiants qui faisait cruellement défaut aux hôpitaux. 

En tant que producteurs de réactifs de Kits PCR en santé animale ayant une bonne expérience sur le développement et la production de tests pour détection des coronavirus animaux (Bovins, Porcins, Félins et Aviaires), nous avons proposé dès le 13 Mars de produire des tests Spécifiques COVID-19 pour l’homme : 300 000 par semaine pour les tests PCR, plus d’un million par semaine par les tests sérologiques. Les appels des académies vétérinaires, des sciences et de médecine, les interpellations des médias et des élus ont conduit les autorités à réviser leurs positions et autoriser le 6 avril les laboratoires vétérinaires publics et privés à venir appuyer les laboratoires de biologie médicale pour la réalisation de ces analyses PCR. Plus de 50 de ces laboratoires sont mobilisables avec des capacités au total de près de 100 00 analyses par jour (20 000 en PCR 80 000 en sérologie)  Nous attendons toujours la même dérogation pour les tests sérologiques. 

On parle du 11 Mai pour commencer le déconfinement , comment voyez-vous le déroulement de cette période ? 

Loïk Le Floch-Prigent : Il faut faire appel à l’initiative et à la compétence des industriels de la biologie. Combien de tests PRC peut-on envisager, en particulier sur les populations à risque par exemple dans les EHPAD où ce sont des chiffres de 700 000 personnes confinées qui circulent. En dehors des tests de tous les personnels soignants, hôpitaux, cliniques, et centres médico-sociaux, on voit qu’une mobilisation importante va être requise, dans quelles conditions notre maillage technique biologique peut répondre, ce sont aux professionnels du secteur de répondre, et à l’administration de recueillir ces données. 

Les tests sérologiques posent une autre catégorie de problèmes. Nos connaissances sur ce virus et sur les anticorps sont encore très parcellaires. Un certain nombre d’experts médiatiques autoproclamés s’expriment tous les jours en donnant des chiffres fantaisistes et en affichant des certitudes sur la formation des anticorps, immunoglobulines M et G , et la durée de l’immunité, de la « séropositivité ». La vérité c’est que l’on tâtonne encore et que le test sérologique parfait qui garantirait l’immunité n’est pas là . Il va donc falloir « valider » au Centre National de Référence(CNR) à l’institut Pasteur un ou plusieurs tests parmi tous ceux qui sont présentés par les laboratoires qui vont être reproduits et faire l’objet de campagnes ciblées. Le CNR ne pourra garantir qu’une chose c’est qu’en l’état de nos connaissances ce sera le meilleur et que s’il existe une amélioration avec une autre technique, elle sera aussitôt mise sur mise  sur le marché, mais une garantie à 100% est impossible. De même la recherche d’un vaccin va prendre du temps, le fait d’avoir un test sérologique fiable étant d’ailleurs un point de passage essentiel puisque l’intérêt d’un vaccin est de savoir pour combien de temps il donne une immunité, ce qui nous oblige, par exemple, à une vaccination annuelle pour la grippe « ordinaire ». Mais, encore une fois, c’est toute l’industrie biologique nationale qui doit se mobiliser et l’industrie vétérinaire est essentielle, cela réjouira tous les militants du bien-être animal dont on pourrait espérer qu’ils vont soutenir les efforts du SIMV

Jean-Louis Hunault : Plusieurs pays Européens ont eu recours très tôt aux laboratoires d’analyses vétérinaires et à nos tests ouvrant en effet la possibilité de politique de détection à grande échelle et donc de perspectives de continuité d’activités économiques cruciales. En France nos entreprises ont déposé leurs dossiers pour recevoir l’agrément du Centre National de Référence de l’Institut Pasteur. Les évaluations sont en cours mais un premier test PCR a reçu son autorisation le 15 avril. Sa production est engagée.  C’est l’un des premiers kits fabriqués par une PME Française spécialisée en Biologie Vétérinaire et validée par un CNR pour le diagnostic en Biologie Humaine. Nos laboratoires viennent de préciser au Ministère de la Santé leurs capacités de production à mi-avril qui restent considérables pour les mois à venir. C’est une grande fierté pour nos équipes dans nos laboratoires de participer à cet effort de guerre sanitaire dans les deux médecines qui n’en font en fait qu’une.

Finalement ce déconfinement va être difficile...

Loïk Le Floch-Prigent : Lorsque l’on fait appel à toutes les compétences nationales, en temps et en heure, comme on l’a vu en Allemagne, le confinement se passe mieux, nous avons encore un petit mois pour nous mobiliser vraiment et je demande depuis Février à ce que l’on n’oublie pas l’industrie ! Faire appel au télétravail et au chômage partiel m’est apparu comme une demande déconnectée de la réalité , s’enorgueillir d’avoir 8 millions de fonctionnaires temporaires nouveaux me semble anachronique, je crois à l’esprit d’initiative , d’entreprise, je crois à la compétence scientifique, technique et industrielle des forces vives du pays , il y a un défi collectif à relever, on peut rattraper notre retard d’origine avec les gens de terrain, pas avec les bureaucrates.  

Jean-Louis Hunault : La profession vétérinaire n’est pas assez considérée comme une profession de santé et elle manque encore aujourd’hui de masques pour exercer son activité ! Nos entreprises, notre recherche qui produisent une innovation par mois, notre savoir-faire dans la prévention et la détection de ces maladies humaines d’origine animale, nos laboratoires d’analyse, en fait toute notre filière n’est pas encore assez intégrée dans la réponse aux défis que nous pose ce virus. Notre souveraineté sanitaire reposer sur nos 3 laboratoires français dans les 10 premiers mondiaux et sur nos producteurs de réactifs mobilisables. Si nous ne recevons pas des réponses opérationnelles rapidement, si les commandes n’arrivent pas vite, des tests produits en France partiront en Italie, en Espagne et en Allemagne…

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