Retard sur la vaccination : l’Europe a épuisé son stock d’excuses... et toujours pas su déployer la rapidité nécessaire pour enrayer la pandémie<!-- --> | Atlantico.fr
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Une personne se fait vacciner contre le Covid-19.
Une personne se fait vacciner contre le Covid-19.
©Jeff J Mitchell / POOL / AFP

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Le pourcentage de personnes ayant reçu une première dose de vaccin s’établit à moins de 7 % dans l’Union européenne, contre 28.57 % au Royaume-Uni, 20.41 % aux Etats-Unis et 91.55 % en Israël.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : L'Europe, en particulier la France et l'Allemagne, accuse toujours un sérieux retard en termes de taux de population vaccinée. Pourtant, le problème de stock semble avoir été réglé. Comment l'expliquer ?

Charles Reviens : Je rappelle d’abord que je ne suis ni scientifique ni médecin mais observateur des différentes politiques publiques et de leurs résultats pendant cette séquence extraordinaire confrontant les écosystèmes publics et sanitaires nationaux à un événement mondial inédit.

Commençons d’abord par la « météo covid » et plus notamment cette fois la « météo vaccination ». Le pourcentage de personnes ayant reçu une première dose de vaccin s’établit à moins de 7 % dans l’Union européenne, contre 28.57 % au Royaume-Uni, 20.41 % aux Etats-Unis et 91.55 % en Israël. On peut d’ailleurs noter les pourcentages très bas de vaccination pour la Chine, la Russie ou le Japon.

On constate une certaine corrélation entre la situation de la pandémie mesurée au niveau des nouveaux cas détectés ou des décès par unité de population : la baisse est très forte sur ces deux indicateurs pour Israël, le Grande-Bretagne les Etats-Unis. Le niveau de déploiement des stratégies vaccinales n’est certes pas nécessairement la seule explication de ce redressement puisque l’Allemagne connait également une amélioration de ses indicateurs. En revanche on constate une dégradation importante de la situation relative de la France et dans une moindre mesure de l’Italie.

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Le retard des programmes de vaccination des pays de l’Union européenne est donc patent et on peut essayer de comprendre ce retard en regardant les différents segments d’un programme de vaccination : stratégie d’ensemble, conception des vaccins, achats, autorisations, production, approvisionnement (supply chain). La responsabilité de l’Union européenne ne peut en revanche être analysée pour l’aval (administration des vaccins) qui relève des autorités sanitaires nationales.

Concernant la stratégie, le choix fondamental a été fait au début de l’été 2020 de confier à l’Union européenne, et plus précisément à la Commission, la négociation avec les laboratoires pharmaceutiques et la gestion de l’approvisionnement en vaccins. Cela a été fait selon l’adage « l’union fait la force » mais c’était tout sauf évident : on a constitué de fait une « Europe de la santé » qui n’est absolument pas prévue dans les textes et on aurait pu tout à fait considérer qu’il était opportun d’appliquer le principe de subsidiarité qui lui est dans les traités. La crise sanitaire a indiscutablement été instrumentée pour aller dans de nouveaux domaines vers « une union toujours plus étroite ».

Cette stratégie commune s’est fixée pour objectif un taux de vaccination de 70 % des adultes à la fin de l’été (donc fin septembre). Cet objectif n’est pas atteignable au rythme actuel de vaccination dans l’UE mais rien n’interdit à date qu’une brutale accélération du programme permette de s’en rapprocher.

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Un point d’explication majeur du retard européen tient à ce qu’aucun membre de l’Union ne dispose à date d’une entreprise ayant développé puis industrialisé un vaccin opérationnel. BioNTech, associé à l’américain Pfizer, est certes une entreprise allemande mais ses partenaires ou investisseurs de premier rang sont mondiaux (Etats-Unis, Chine, Singapour) et le journal Die Welt pouvait ce fait récemment déplorer que « le fruit de la recherche allemande est largement disponible aux États-Unis mais demeure une denrée rare en Allemagne ». Concernant les entreprises françaises, le leader historique Sanofi a pris énormément de retard dans le développement de son propre vaccin et se trouve relégué au rôle de sous-traitant de Pfizer, tandis que l’entreprise nantaise Valneva qui développe un vaccin basé (technique virus entier inactivé) a à date reçu davantage de soutien et de commandes de la Grande-Bretagne que de l’UE.

Dans les faits la commission s’est avant tout comportée comme une centrale d’achat ayant préacheté, le plus souvent après les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, un total de 2.5 milliards de doses : AstraZeneca (août 2020) ; Sanofi (septembre), Johnson&Johnson (octobre) ; Pfizer-BioNTech (novembre), CureVac (novembre), Moderna (novembre), dont 1,5 milliard de doses pour les 3 vaccins autorisés à date (Pfizer/BioNTech, AstraZeneca et Moderna). Le PDG de Moderna Stéphane Bancel a mentionné dans le Monde la lenteur du processus décisionnel européen (six mois de négociations) par rapport aux autres pays acheteurs.

Mais les déboires les plus récents concernent le retard des approvisionnement effectifs du fait de difficultés de production ou logistiques. Pfizer n’avait été en mesure de livrer à mi-février 2021 que 23 des 33 millions de doses promise (un tiers en moins) tandis qu’AstraZeneca ne pourra finalement livrer sur le premier semestre que moins de la moitié des doses prévues (130 millions de doses sur 280) du fait d’un goulot d’étranglement industriel (un seul site homologué en Belgique). L’affaire AstraZeneca a été d’autant plus tendue que ce laboratoire anglo-suédois préservait ses niveaux de livraison au Royaume-Uni qui en outre paye les doses à un prix plus élevé. D’une certaine manière l’Union européenne constitue la variable d’ajustement des livraisons des laboratoires pharmaceutiques.

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Enfin, et c’est une raison principalement nationale, le retard actuel tient à ce que les programmes en Europe continentale ont été enclenchés avec environ un mois de retard sur le Royaume-Uni. Certaines analyses récentes font l’objet d’une capacité de résorption rapide du retard mais n’a pas empêché l’UE en général et la commission de recevoir sur ce dossier une volée de bois vert notamment en Allemagne mais également en France.

Emmanuel Macron, en dénigrant le vaccin AstraZenaca, a-t-il contribué à cette lenteur ?

Emmanuel Macron a effectivement fait part fin janvier de ses doutes sur l’efficacité du vaccin AstraZeneca pour les personnes âgées alors que ce vaccin était sur le point d’être agrée par l’agence européenne des médicaments. Cet événement, qui s’inscrit dans une communication parfois sans filtre du président français, n’a à mon sens que peu d’impact sur les raisons du retard européen expliquées plus haut, mais s’inscrit clairement dans le contexte de très forte tension alors avec le laboratoire anglo-suédois qui affichait (et affiche toujours d’ailleurs) des retards majeurs de livraisons à l’Union européenne.

Emmanuel Macron a quelques peu rétropédalé le 25 février dernier en assurant qu’il prendrait « bien évidemment » le vaccin à titre personnel. On note qu’Alain Fischer, le Monsieur vaccin du gouvernement avait regretté la veille le fait que le vaccin AstraZeneca ait « mauvaise presse », mauvaise presse pour partie sans doute causée par les propos présidentiels.

On note enfin que la chancelière Angela Merkel a indiqué qu’elle ne se ferait pas administrer le vaccin AstraZeneca pour des raisons liées à son âge.

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Sur quels points l'UE devrait-elle particulièrement s'améliorer ? La logistique ? La rigidité budgétaire ?

Il y a des leçons de court et de moyen terme à tirer du retard européen en matière de vaccination covid.

A court terme, il faut d’abord admettre que le temps perdu ne se rattrape jamais et que l’urgence consiste désormais à accommoder les restes pour éviter des difficultés socio-économiques plus grandes encore. Une étude faite par Euler Hermès et Allianz le 2 février dernier indique qu’il fallait multiplier par 6 le rythme actuel de vaccination pour atteindre l’objectif européen de 70 % de population adulte vaccinée.

Or selon cette étude, le succès de la vaccination est critique pour un retour au fonctionnement normale de l’économie et de la société. Le cout économique des restrictions est chiffré à 90 milliards d’euros (2 % du PIB) : chaque semaine supplémentaire de restrictions sanitaires coûte 0,4 de point de pourcentage de croissance de PIB trimestriel à l’UE et par exemple 3 milliards d’euros à la France. D’où l’intérêt majeur pour l’UE de sortir de l’enfer bureaucratique dans laquelle elle semble s’être laissée entrainer et de parvenir réellement à tenir ses objectifs de vaccination.

A plus long terme, la crise vaccinale n’est pas sans poser plusieurs questions existentielles pour le projet européen : faiblesse de la réactivité initiale, d’un gouvernement efficace et de combattivité face à une crise, limite d’un projet se limitant souvent au seul respect du droit et notamment du droit de la concurrence, approche systématique de type « l’union fait la force » sans respect du principe de subsidiarité, faible prise en compte des contraintes logistiques et opérationnelle qui coute au final très cher tant sur la plan économique que sur celui de l’image renvoyée du projet européen, que l’on apprécie ou que l’on combatte ce projet.

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