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Rétablir la confiance dans la vie démocratique : les 6 chantiers incontournables qui dépassent de très loin la moralisation de la vie politique
©Reuters

Au travail !

La moralisation de la vie politique ne pourra pas, seule, faire en sorte que les Français retrouvent confiance dans la vie démocratique.

Jean-Luc Touly

Jean-Luc Touly

Jean-Luc Touly est syndicaliste. Il est aujourd’hui chez Sud, après avoir été pendant près de 30 ans à la CGT, et également délégué syndical FO chez Veolia. Il est l’auteur de L’argent noir des syndicats (Fayard, 2008) et reste, par ailleurs, conseiller régional en Ile-de-France d’EELV.

Il a publié, en septembre 2013, le livre Syndicats: corruption, dérives, trahisons chez First Editions.

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Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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1. Reconstruire la possibilité de l'ascenseur social en ayant le courage d'affronter le bilan de 40 ans d'égalitarisme, qui ont notamment mené à une sociologie toujours plus homogène des élites

Pierre Duriot : Il est évident que l'école peut avoir sa part dans la moralisation de la vie politique et la restauration d'une certaine forme de démocratie, dont on a l'impression qu'elle n'a plus cours. D'autant que cette démocratie ne fonctionne vraiment que dans les pays de gens instruits. Dans les pays peu lettrés, où l'Occident a importé artificiellement la démocratie, elle est préemptée par les castes les plus instruites qui finissent par s'arroger le pouvoir permanent, moyennant des modifications de Constitution qui permettent de se représenter éternellement. En réalité, même s'il a été amoindri, érodé, l'ascenseur social par l'école fonctionne toujours et la possibilité reste, pour un très bon élève - lequel est souvent né, il est vrai, dans une famille porteuse - de prendre les quelques places qui restent, mais quand les multiples réseaux ont placé leurs gens.

Au-delà de l'école, c'est bien un système de promotion ne reposant pas sur le mérite qui préside à la reproduction des élites et à cet entre-soi insupportable qui vire à une forme de noblesse ne disant pas son nom. L'analyse des parcours de très nombreux politiciens arrivés au plus haut niveau montre bien que la réussite scolaire intervient bien moins que l'appartenance à des réseaux ou des familles déjà dans la place. Le phénomène est même perceptible pour l'accession à un simple emploi. Oui, l'école doit être repensée, cesser de donner dans la politique et l'idéologie, retrouver un rôle, à la fois de massification et d'excellence de l'instruction. Elle est l'un des leviers, mais à mon sens, pas le principal. Il faut regarder en premier lieu, du côté de ce que l'on pourrait appeler les modèles identificatoires de notre société. C'est-à-dire l'exemplarité de ceux qui nous gouvernent, la plupart du temps pris en défaut. Il me semble que l'exemplarité et la rigueur des personnes qui président aux destinées de la nation seraient les premières des mesures à mettre en place pour rendre crédible un quelconque début de moralisation et redonner à l'élève moyen et à ses parents une croyance dans les vertus du travail scolaire.

2. L'égalité devant l'impôt pour les particuliers comme pour les entreprises

Eric VerhaegheL'imposition des particuliers, en France, ressemble à la tarification aérienne. Aucun des passagers de l'avion ne paie le même tarif que son voisin pour le même voyage et la même classe de confort. Entre les abattements, les niches, les prises en compte complexe des situations familiales, l'impôt des particuliers est devenu une forêt tropicale où l'horizon est bouché et où le moindre mouvement peut conduire à de mauvaises surprises. Cette situation de morcellement est synonyme d'iniquité et de rejet de l'impôt. Les travailleurs indépendants sont probablement les plus enclins à la virulence, compte tenu des hauts exorbitants de pression fiscale qui pèsent sur eux. Le coin socio-fiscal d'un entrepreneur est de 85%, quand celui des salariés est bien moindre. Pour les entrepreneurs, la France de l'impôt est un chemin de croix. 

3. Renoncer à la culture de l'excuse et au laxisme 

Eric Verhaeghe : Faut-il appartenir à une minorité pour bénéficier de circonstances atténuantes? S'il y a bien un domaine où les Français perçoivent le deux poids deux mesures, c'est celui de la vie quotidienne, et de cette insupportable culture de l'excuse qui conduit à tolérer chez les uns ce qui est interdit chez les autres. Par exemple, la discrimination entre les hommes et les femmes est sévèrement réprimée dans les entreprises, mais elle est occultée dès qu'elle s'explique par une foi dans la religion musulmane. L'occupation des trottoirs dans le quartier Pajol à Paris, mais ailleurs aussi, en sont des signes. Mais d'autres exemples abondent. Le moindre propos à connotation ségrégationniste est combattu avec virulence lorsqu'il est tenu par un Blanc. En revanche, le fait que des groupes anticolonialistes organisent des réunions ou des rencontres interdites aux Blancs ne suscite que très peu de réactions des autorités. La colère contre ce type d'inégalité est d'autant plus lourde qu'elle est interdite d'expression, car suspectée d'être d'extrême droite. Le comble de la culture de l'excuse est, en effet, de transformer la recherche d'égalité en manifestation d'extrémisme. 

4. Mettre fin aux véritables rentes, celles des syndicats et des associations financées

Jean-Luc ToulyLes ressources des organisations syndicales ne reposent pas uniquement sur les cotisations. Elles peuvent également résulter d’activités diverses (publications, publicités, comités d'entreprise, événementiel) mais elles proviennent surtout des prélèvements qui sont faits sur la masse salariale qu'elles gèrent, en particulier en vue de la formation professionnelle.

Le rapport de 2011 du député Nicolas Perruchot estimait que la gestion des organismes paritaires rapportait 1 milliard d'euros pour les organisations patronales et 2 milliards d'euros pour les organisations syndicales, et leurs ressources issues des cotisations des salariés ne représenteraient que 3 à 4% de leurs dépenses : le financement syndical reste opaque. Au vu de ce constat alarmant et pas nouveau, des propositions doivent permettre de revitaliser le rôle des syndicats, notamment dans un dialogue social constructif :

- Mettre fin au monopole syndical au 1er tour des élections professionnelles, en donnant la possibilité à tous les salariés de se présenter. Le recours au référendum au moment de la négociation d'un accord collectif est le moyen de s'assurer de la participation de l'ensemble des salariés : 

Confier à la Cour des Comptes une mission pour évaluer le nombre de personnels mis à disposition par l'État et travaillant dans les syndicats de salariés

- Refonder le paritarisme de gestion ;

- Utilisation d'expertise économique et sociale indépendante de l'employeur et des syndicats ;

- Supprimer la taxe sur les salaires qui permet le financement opaque et non contrôlé des syndicats de salariés et organisations patronales ;

- Instaurer une déclaration de patrimoine obligatoire pour les dirigeants syndicaux ;

- Interdire le cumul des mandats de délégué du personnel, membre du comité d'entreprise, membre du CHSCT et délégué syndical afin qu'un même délégué ne soit pas permanent et qu'un renouvellement puisse s'opérer, y compris dans le temps (pas plus de 3 mandats successifs) ;

- Interdire les publicités dans les journaux syndicauxLes comités d'entreprise doivent être contrôlés et leurs comptes doivent être certifiés par des commissaires aux comptes, et en cas de dérives, des sanctions doivent être prononcées y compris en mettant en cause le secrétaire et le président de cette institution ;

- Contrôle des associations subventionnées par la collectivité.Une association qui demande une subvention à une collectivité territoriale doit permettre à cette dernière de pouvoir évaluer le projet faisant l’objet d’une telle aide. Par ailleurs, une association ayant reçu une subvention peut être soumise au contrôle de la collectivité la lui ayant accordée, qui peut alors lui réclamer communication de tout document justifiant de l’utilisation de l’aide accordée ;

- Un contrôle du suivi des objectifs des associations doit être réalisé. La collectivité qui octroie des subventions à une association doit être contrôlée notamment afin d'éviter tout favoritisme, clientélisme et conflit d'intérêts

5. L'égalité entre public et privé

Eric VerhaegheLes Français sont régulièrement exaspérés par les privilèges grandissants des fonctionnaires. Ceux-ci bénéficient historiquement de la sécurité de l'emploi, qui a longtemps été compensée par une rémunération moins élevée que dans le privé. Mais les années de crise ont changé la donne. Outre que les salariés du privé sont soumis à une pression grandissante sur la rentabilité et à une forme de précarité qui n'est pas neutre, leurs salaires ont progressé moins vite que ceux du secteur public. La situation est telle que les fonctionnaires, à responsabilité égale, sont dans l'écrasante majorité des cas payés 10% de plus que les salariés du privé. Encore ceux-ci doivent-ils remettre au pot pour équilibrer le régime de retraite des fonctionnaires, qui est beaucoup plus favorable que le régime général. Si l'on ajoute que le temps de travail est rarement calculé effectivement dans la fonction publique, la différence de traitement est ici majeure: d'un côté, des salariés du privé soumis à la pression et au risque de chômage, avec des rémunérations sous contrainte, de l'autre des fonctionnaires peu encadrés, sans exigence de performance véritable (il existe une exigence d'activité dans le secteur public, mais pas de réussite) et avec des rémunérations dont les Français seraient parfois stupéfaits de découvrir le niveau (je pense ici à des fonctionnaires sans responsabilité majeure qui perçoivent des rémunérations globales supérieures à 6 000 euros nets pour des emplois du temps très légers). Sans réforme de l'Etat, et notamment sans mise en place d'une culture du service public effectif au citoyen, les Français continueront à soupçonner les pouvoirs publics de rechercher des privilèges et non l'intérêt général.   

6. L'égalité entre les territoires en matière d'investissements

Pierre-François GouiffèsCe sujet crucial de la spécialisation territoriale a d’abord été mis en lumière par les travaux de Laurent Davezies (La République et ses Territoires, La crise qui vient, Le nouvel égoïsme territorial). Pendant de nombreuses décennies, les transferts des principales zones économiques ont financé une égalisation nationale des revenus par la localisation des fonctionnaires et des prestations sociales. Mais cela ne marche plus, la nouvelle tendance étant le refus des zones prospères à financer les zones plus pauvres, et donc la déchirure de la cohésion territoriale. Puis Christophe Guilluy (La France périphérique) a montré l’apparition d’une géographie des oubliés (rurale, périurbain, petites villes) qui ne bénéficie ni de l’attraction et la traction des métropoles, ni des bénéfices financiers et symboliques des quartiers urbains sensibles le plus souvent accolés aux métropoles. La France de Guilly apparaît bien dans les résultats du premier tour des élections présidentielles : Marine Le Pen a à peine plus d’un suffrage exprimé sur cinq mais est en tête dans une commune française sur deux, particulièrement à l’Est d’une ligne Lille-Marseille.

Que faire face à cette situation critique de déchirure territoriale ? C’est compliqué car de profondes forces économiques et sociétales sont à l'oeuvre, incluant notamment la liberté des gens de se déplacer. Cela peut passer par la réorganisation des politiques d’investissement public sur la seule base de la richesse fiscale des territoires. Mais la chose la plus importante, et de loin pour les territoires ruraux, les villes moyennes et les zones périphériques, consiste à tenter de mettre un terme à l’étiolement de l’économie productive française – industrielle et agroalimentaire par exemple  dont le déclin depuis quinze ans est beaucoup plus douloureux pour la France périphérique que pour les métropoles.

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