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Réformes des retraites : vraie révolution ou énième réforme comptable pour décaler le moment où nous allons heurter le mur ?
©AFP

Deux voies, un choix

L’unification des régimes de retraite est un gigantesque chantier qui peut potentiellement concerner tous les actifs travaillant en France, soit plus de 30 millions de personnes.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Alors que le débat relatif à l'ambition réformatrice d'Emmanuel Macron sur la question des retraites s'est animé ces derniers jours autour de la question des pensions de réversion, que penser de la logique du système envisagé par Emmanuel Macron, reposant notamment sur l'idée «d'un euro cotisé donnant les mêmes droits pour tous» ? Faut-il y voir une révolution réelle ou une nouvelle réforme comptable repoussant les difficultés à plus tard ? Quelles en sont les difficultés politiques ?

Philippe Crevel : Lors de la sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait promis « qu’un système universel avec des règles communes de calcul des pensions sera progressivement mis en place. Il a émis le principe qu’un euro cotisé doit donner lieu aux mêmes droits de retraite. Toujours, dans son programme figurait l’idée de la suppression des régimes sociaux. Il est depuis plus discret sur ce sujet. En revanche, Emmanuel Macron a réaffirmé son intention de réformer les régimes de retraite en ne touchant « pas à l’âge de départ à la retraite » qui devrait rester fixer à 62 ans, « ni au niveau des pensions ».

Si cette réforme était menée à son terme, ce serait la première fois depuis 1945 que la France s’engage dans une réforme systémique de ses régimes de retraite. Depuis 1993, les gouvernements ont opté pour des mesures de nature paramétrique. Ils ont joué sur la quasi-totalité des curseurs des régimes par répartition sans pour autant remettre en cause leurs grands principes. Ainsi, les pouvoirs publics ont agi sur la durée de cotisation, l’âge légal de départ à la retraite, les règles d’indexation, etc. Une convergence entre les différents régimes de base a été entreprise mais sans pour autant aboutir à une unification et un alignement de toutes les règles. L’instauration d’un régime unique des retraites est, depuis la fin des années 80, régulièrement soulevée mais tous les gouvernements ont refusé jusqu’à maintenant de s’y engager. La loi portant réforme des retraites de 2010 qui a reporté l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans prévoyait que la création d’un régime unique par points soit étudiée à compter de 2013. Ce projet d’étude ne vit pas le jour. Sept ans plus tard, la question refait surface.

L’unification des régimes de retraite est un gigantesque chantier qui peut potentiellement concerner tous les actifs travaillant en France, plus de 30 millions de personnes. Les 16 millions de retraités pourraient échapper à la réforme en restant soumis aux règles actuelles pour leurs pensions.

Cette unification, en fonction des modalités qui seront retenues, créera des gagnants et des perdants qu’il conviendra de traiter. Il faudra également instituer un dispositif de lissage pour éviter que les actifs se situant à quelques années de leur départ à la retraite ne soient pénalisés. La réforme systémique pose également la question du mode de gouvernance qui est actuellement de nature paritaire. Que deviendront les caisses de retraite, les institutions de retraite paritaires, les salariés qui y travaillent ?

Pour le régime unique, il n’y a pas de solution unique et encore moins de méthode unique pour atteindre l’objectif fixé par le nouveau Président de la République. En effet, le champ de la réforme peut être plus ou moins large, les modalités de calcul des pensions sont multiples et enfin la période de passage de l’ancien régime au niveau régime peut être plus ou moins longue. De nombreux points techniques devront être tranchés. Des regroupements et des réorganisations seront nécessaires.

Par ailleurs, la réforme supposera le règlement d’un certain nombre de problèmes juridiques. Les régimes de retraite sont gérés par des caisses ayant leur propre personnalité morale. Il faudra gérer les problèmes de personnels, de statuts mais aussi les problèmes informatiques et de reconstitution de carrière.

La réforme est censée concerner les 42 régimes de base. Elle toucherait donc la retraite des fonctionnaires, à l’exception de celles des militaires, les régimes spéciaux, le régime général et ceux des indépendants. Le Gouvernement se montre très discret sur le devenir des complémentaires mais la logique veut qu’ils soient intégrés dans le périmètre de la réforme. Compte tenu de leurs réserves financières atteignant plus de 5 % du PIB, cette intégration n’est pas sans incidence sur la mise en œuvre de la réforme.

Le nouveau régime unique devrait prendre la forme d’un système par points qui offre de nombreux avantages en matière de pilotage. Les actifs accumulent sur un compte retraite des points qui sont fonction de leurs cotisations. Au moment de la liquidation, les points accumulés sont convertis en rente en prenant en compte la valeur de rachat du point. Ce système remplacera le système par annuités en cours au sein de nombreux régimes de base. L’ensemble de la carrière sera pris en compte quand aujourd’hui, pour calculer la pension de base, seules les 25 meilleures années sont retenues. Pour l’attribution des points, deux options sont possibles. Dans la première, les cotisations servent à acheter des points selon un tarif fixé par avance. Dans la seconde, l’attribution des points et le montant des cotisations sont disjoints. Les cotisations visent à payer les pensions des actuels retraités. Les points pourraient être attribués selon d’autres critères, montant du salaire annuel, pénibilité, etc.

Le Gouvernement devra fixer les règles de transition d’un système à un autre. Trois options sont envisageables. Si pour les actuels retraités, le basculement ne devrait pas avoir d’incidences, tel ne serait pas le cas pour les actifs. Il est admis que les actifs qui se situent de 5 à 10 ans de l’âge ne seraient pas concernés par la réforme. En revanche, pour tous les autres, le transfert suppose l’adoption d’un dispositif leur permettant de garantir un certain montant de pension compte tenu de la carrière professionnelle passée.

La première option consisterait à réserver le nouveau système aux nouveaux entrants dans la vie active. Cette solution n’a guère de chance d’être retenue car la transition durerait plus de 40 ans.

La deuxième option repose sur la méthode du maintien des « droits acquis ». Elle consiste à calculer la pension acquise dans l’ancien régime à la date de transformation et à la convertir en nombre de points ou en capital virtuel initial. Cette méthode est particulièrement appropriée dans le cas de la transition immédiate. Elle pose néanmoins des difficultés d’estimation puisqu’elle nécessite de faire des hypothèses sur les conditions de liquidation dans le régime en annuités (salaire de référence, durée d’assurance, âge de départ à la retraite…) alors que la carrière n’est pas achevée.

La dernière option repose sur la méthode de la valorisation des cotisations passées. Elle consiste à accorder des droits dans le nouveau régime (un capital virtuel ou un nombre de points) en fonction des cotisations correspondant à la période d’activité passée dans l’ancien régime. Cette méthode est particulièrement appropriée dans le cas de la transition progressive avec affiliation simultanée. Elle nécessite de disposer d’un historique des cotisations ou rémunérations individuelles ou, à défaut, d’utiliser des proxies (reconstitutions approximatives) pour calculer le capital virtuel initial ou le nombre de points sur la base de carrières individuelles approchées. Lorsque le taux de cotisation a beaucoup augmenté dans le passé, cette méthode peut conduire à attribuer de faibles pensions aux salariés les plus âgés ; un taux de cotisation plus élevé (par exemple celui du nouveau régime en points ou en comptes notionnels), combiné à l’historique des rémunérations passées, peut alors être retenu pour appliquer la méthode.

La formule « un euro cotisé donnera les mêmes droits à la retraite » est-elle atteignable

Un euro cotisé permettra-t-il d’obtenir les mêmes droits ? Comment apprécier la notion de droits, droits annuels, droits tout au cours de la retraite ? En effet, un ouvrier a une espérance de vie inférieure à celle d’un cadre supérieur. Faut-il prendre en compte les espérances de vie par catégorie sociale ? Une telle option serait complexe. Des majorations de points pourraient être prévues.

Le système de retraite par répartition actuel garantit près de 80 % du dernier salaire pour les actifs se situant à proximité du SMIC quand ce taux est de 50 % pour les cadres. Le changement de système garantira, sans nul doute, le montant des pensions versées aux salariés les plus modestes.

Plusieurs dispositifs sociaux ou de solidarité existant dans le système actuel devront être reconduits dans le nouveau régime universel. Les congés maternité donneront droit à l’attribution de points. Les périodes de chômage, d’invalidité et maladie devront être également sources de points. Le dispositif de majoration de durée d’assurance pour enfant devra être également revu.

Les assurés qui n’auront pas suffisamment cotisé bénéficieront-ils comme aujourd’hui d’un minimum contributif ?

Par ailleurs, le passage du système par points supposera également la refonte de la réversion qui assure une part non négligeable des retraitées femmes. L’unification des règles de réversion qui diffèrent aujourd’hui selon les régimes de retraite, sera sans nul doute une source de simplification à moins que l’Etat ne décide de les supprimer pour l’avenir comme cela a été annoncé. Malgré tout, le montant hors réversion des pensions des femmes est de 39 % inférieur à celui des hommes, avec réversion, l’écart est réduit à 25 %. Même si les pensions des femmes augmentent plus vite que celle des hommes, il faudra attendre la fin du siècle pour que l’écart soit inférieur à 10 %.

La réforme des retraites est également un tour de passe passe comptable

Le big bang des retraites offre l’avantage de remettre certains compteurs à zéro, de prélever les réserves constituées par certains et de transférer certaines charges. Un système par points permet de gérer très facilement l’équilibre comptable en jouant notamment sur deux variables, la valeur d’achat du point et sa valeur de liquidation. En augmentant la première et en diminuant la seconde, l’équilibre peut se réaliser très vite.

Le Président de la République a pesé comme principe de ne pas accroître l’effort de la nation en faveur des retraités qui est aujourd’hui de 14 % du PIB et cela malgré le fait que le nombre de retraités devrait passer de 16 à 25 millions d’ici 2070.

Le régime universel permet à l’Etat de transférer sur l’ensemble des actifs la charge des pensions des fonctionnaires. Or, celles-ci sont amenées à fortement augmenter dans les prochaines années en raison de la pyramide des âges. De ce fait, pour faire face à ses engagements, l’Etat est censé soit de réaliser des économies ou d’augmenter les impôts. Dans le cadre du jeu de bonneteau du régime universel, il fera payer les pensions du secteur public par l’ensemble des actifs et des entreprises. Cela devrait amener à une baisse du rendement des retraites du privé. Il en est de même avec les régimes spéciaux qui sont actuellement financés par les impôts. Nul n’imagine un nivellement par le bas des pensions de ces régimes.

Jacques Bichot : Ce qui est en préparation pourrait bien être un changement important, mais nous ignorons encore dans quelle mesure. S’il y a réellement fusion de nos trois douzaines de régimes en un seul, disons France retraites, auquel chacun cotisera de la même façon, et en particulier au même taux ; si les droits sont mesurés par des points, comme à l’ARRCO-AGIRC, et non plus par un système ubuesque d’annuités et de 25 meilleures années ; si la neutralité actuarielle, nécessaire pour que chacun puisse décider librement du timing de sa cessation d’activité, est mise en place ; et si des régimes par capitalisation sont créés pour compléter les régimes par répartition : alors oui, nous aurons fait un grand pas en avant.

Cependant, ce ne sera que la moitié du chemin à parcourir. Car une telle réforme ne modifierait pas l’absurdité économique du principe même du système de répartition tel qu’il fonctionne actuellement, à savoir une attribution de droits à pension au prorata des cotisations versées en faveur des retraités. Il faudra bien qu’un jour le législateur finisse par réaliser que ces « cotisations vieillesse » ne font qu’apurer la dette que les travailleurs ont envers leurs aînés, qui les ont mis au monde, éduqués, qui ont financé leur formation initiale et leurs soins médicaux jusqu’à ce qu’ils soient capables de voler de leurs propres ailes. Quand nous remboursons un emprunt immobilier, les sommes versées ne sont pas inscrites au crédit d’un compte d’épargne ! Or les retraites par répartition, actuellement, font l’équivalent de cette chose absolument absurde.

La retraite systémique ne sera donc achevée que le jour où les points représentatifs des droits à pension seront attribués, premièrement pour les enfants que nous élevons, et deuxièmement pour les sommes que nous versons dans le but qu’ils soient correctement préparés, notamment par le système scolaire, à prendre une place active dans l’économie. Actuellement, il ne semble pas que le Haut-commissariat à la réforme des retraites ait pris conscience de la nécessité de cette seconde étape. Espérons qu’un jour viendra où ses membres comprendront comment fonctionne réellement la répartition et diront au président de la République et au Parlement qu’après la première moitié de réforme, unification et passage aux points, une seconde moitié sera nécessaire : un changement radical des modes d’attribution des points.

Un mot concernant les pensions de réversion, problème délicat. Les dispositifs actuels, dont certains sont très discutables, devront évidemment être remplacés. Les méthodes de « splitting » en vigueur dans quelques pays donnent une piste très intéressante à explorer : mise en commun des points acquis durant le mariage, répartition moitié-moitié de ce patrimoine commun en cas de divorce, et en cas de décès attribution au survivant d’un peu plus de la moitié des points mis en commun.

Au regard de ce qui peut être envisagé actuellement, comment mesurer ceux qui seront les perdants et les gagnants d'une telle réforme ? A quels types d'oppositions l’exécutif doit-il se préparer ?

Jacques Bichot : Si la réforme est bien conçue, il n’y aura pas de perdants ni de gagnants pour les droits déjà acquis le jour du big-bang, c’est-à-dire du basculement d’un système dans l’autre. En revanche, comme ensuite tout le monde gagnera des points exactement de la même manière (par exemple, 100 € de cotisation versée donneront droit à un point), certains qui ont aujourd’hui un régime de faveur y perdront, et d’autres qui sont actuellement défavorisés y gagneront.

Pour les régimes particulièrement généreux, il sera possible de mettre en place des compléments sous forme de fonds de pension. Prenons l’exemple de nos soldats : quand ils sont sur un théâtre d’opération, la règle actuelle consiste à leur attribuer deux annuités au lieu d’une pour chacune de ces années de service dangereux et usant. La solution est simple : que l’Etat cotise pour eux à un fonds de pension ! Cela aurait un avantage subsidiaire non négligeable : respecter enfin l’exigence constitutionnelle, actuellement bafouée, selon laquelle les dépenses doivent être rapportées à l’exercice durant lequel elles sont engagées. En effet, le versement des primes à ce fonds de pension figurera en dépenses de l’année N passée au Mali ou en Syrie, et non plus dans les budgets d’années N +20 à N + 50 comme c’est le cas avec les règles actuelles.    

Philippe Crevel : En l’état actuel de la réforme, il est difficile de sérier les gagnants et les perdants. Malgré tout, un régime par points qui prend en compte l’ensemble de la carrière professionnelle pénalise ceux dont les rémunérations sont ascendantes. Il pénalise ceux qui ont des périodes d’inactivité ou de faible activité (temps partiel, intérim). Ainsi, les femmes dont le taux d’activité est plus faible que les hommes seraient potentiellement désavantagées. Aujourd’hui, en retenant les 25 meilleures années pour le régime général ou les 6 derniers mois dans la fonction publique, le système neutralise les périodes de faible rémunération.

Contrairement à quelques idées reçues, tous les fonctionnaires ne seraient pas pénalisés par cette réforme. En effet, aujourd’hui, leur retraite de base est calculée sur leurs traitements sans primes. Or, ces dernières peuvent représenter jusqu’à plus de 40 % de leur rémunération. Certes, depuis 2004, les fonctionnaires peuvent cotiser sur leurs primes à travers le Régime additionnel de la Fonction Publique mais cela ne compense pas le manque à gagner. Si dans le cadre de la réforme, les primes étaient retenues, les fonctionnaires qui en sont attributaires pourraient être gagnants.

Dans les sondages, les Français, au nom de l’équité, plébiscitent le principe de la réforme. Mais, quand elle sera dévoilée, quand seront connus les perdants, l’opinion pourrait se retourner. En règle générale, les gagnants se taisent quand les perdants hurlent et défilent.

La fonction publique et les régimes spéciaux seront donc très réticents à accepter une évolution de leurs régimes. Le prix des concessions à réaliser par le Gouvernement sera élevé. Les indépendants n’accepteront qu’avec difficulté de cotiser autant que les salariés. Il en sera de même pour les agriculteurs. Les actifs qui se trouveront à l’âge limite de la bascule dans le nouveau système seront également les plus sujets à des pertes pour leurs futures pensions. Les cadres moyens pourraient être également pénalisés. Il convient de souligner qu’ils le sont déjà avec les évolutions de l’AGIRC-ARRCO.

Au niveau politique, le Gouvernement pourrait se sentir assez seul. L’extrême gauche et l’extrême droite pourraient être rejointes par les Républicains dont l’électorat est, selon les études d’opinion, assez réticent à accepter un changement de système. Cela peut apparaître étonnant car François Fillon était plutôt sur la ligne de la réforme systémique.

Quels sont les risques de voir une telle réforme aboutir à une version édulcorée ne réglant que partiellement les réelles difficultés posées par le système actuel ? La fusion des régimes de retraites nécessitera un effort important en matière de logistique notamment informatique. Il faudra reconstituer des carrières, calculer les nouveaux droits, transférer les anciens. En Suède, la période de transition a duré 17 ans, en Italie, elle s’étale sur près de 40 ans.

Philippe Crevel : La réforme amènera par ailleurs à la fusion d’un grand nombre de structures. Le régime unique devra gérer des personnels issus des différentes caisses existantes. Il y aura donc un défi ressources humaines de première importance.

Le risque d’enlisement n’est pas nul. Modifier les règles pour 42 régimes, pour une centaine de régimes complémentaires, toucher aux structures juridiques, de gouvernance, les 12 travaux d’Hercule.

Compte tenu de la complexité du système français, l’élaboration de la réforme exigera du temps, de la ténacité et de la pédagogie. En outre, plus la discussion s’éternisera, plus les objectifs masqués apparaîtront. Ainsi, la question de la dévolution des réserves constituées par les régimes complémentaires se posera. Est-ce l’argent des assurés des régimes en question ou est-ce l’argent des futurs assurés du régime universel ? Faut-il au regard des mesures prises depuis 1993, consacrer une année de débat public à la retraite quand la France est avant tout confrontée à un problème de compétitivité ?

De toute façon, la phase de transition pourrait être plus longue que prévu. Une dizaine d’années sera sans nul doute nécessaire. La gouvernance et le pilotage seront des enjeux importants de la réforme.

La réforme des retraites pose également le problème de la place des partenaires sociaux. D’un côté, les pouvoirs publics veulent les responsabiliser, de l’autre, ils tentent de les marginaliser en réduisant le paritarisme.

Le Gouvernement devra également se pencher sur la question de la capitalisation. Certes, le projet de loi PACTE vise à la renforcer mais de manière non coordonnée avec la réforme des retraites. Il sera sans doute nécessaire d’ouvrir à nouveau le dossier en instituant par exemple des accords de branche sur les suppléments de retraite afin de permettre aux salariés des PME d’y accéder.

Jacques Bichot : Les risques de « rétrécissement » du projet de réforme sont évidents : d’une part les particularismes qui ont conduit à la Libération à conserver une multiplicité de régimes, alors même que la pâte, si j’ose dire, était plus malléable qu’aujourd’hui, n’ont pas disparu ; et d’autre part l’air du temps est favorable à négocier avant de légiférer, comme si les « partenaires sociaux » étaient quasiment à égalité de légitimité avec la représentation nationale. Pour que la réforme réussisse, il faudra avoir le courage d’agir de façon démocratique, c’est-à-dire en respectant les décisions du corps législatif. Le Haut-commissariat a beaucoup consulté, il consultera encore, puis viendra le moment de trancher, et cela sans faiblir face aux râleurs professionnels.

Ajoutons que, pour que la réforme soit une réussite, il importe que la loi définisse les curseurs utilisables par les gestionnaires du régime unique, mais se garde bien de fixer les valeurs de ces paramètres destinés à en changer régulièrement, au fil des évolutions économiques et démographiques. Depuis 1993, les pouvoirs publics ont eu fâcheusement tendance à faire voter par le Parlement des mesures de simple gestion, enlevant aux gestionnaires ce qui est leur responsabilité numéro 1. Il faut donner aux gestionnaires le pouvoir de gouverner et la responsabilité de l’équilibre financier du régime unique.

Bien entendu, pour que cela ait un sens, il faudra supprimer toute la tuyauterie qui fait des comptes de la retraite par répartition un vase communiquant avec le budget de l’Etat. Dans l’état actuel des choses l’équilibre comptable n’a aucune réalité économique : il signifie simplement que le déficit est totalement compensé par des transferts de l’Etat ou d’autres organismes sociaux. Il est essentiel que la qualité principale d’un bon dirigeant des retraites par répartition ne soit plus de posséder l’art de tendre sa sébile, mais celui de choisir de bons actuaires pour le conseiller, et de bien manœuvrer les curseurs.

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