Réformer les retraites : l'attachement indéfectible des populations à leur retraite<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants participent à une mobilisation à Paris contre le projet du gouvernement français de réformer le système de retraite du pays, le 6 février 2020.
Des manifestants participent à une mobilisation à Paris contre le projet du gouvernement français de réformer le système de retraite du pays, le 6 février 2020.
©Thomas SAMSON / AFP

Bonnes feuilles

Bruno Palier publie « Réformer les retraites » aux éditions Les Presses de Sciences Po. Chaque nouvelle réforme des retraites suscite inquiétude et mobilisation chez les Français, conscients qu'ils devront travailler plus longtemps que les générations précédentes sans pour autant bénéficier d'une retraite généreuse. Pour mieux comprendre la portée et le sens des grandes réformes qui se sont succédé en France depuis 1993, Bruno Palier revient sur leur histoire et sur la diversité des systèmes existant en Europe. Extrait 1/2.

Bruno Palier

Bruno Palier

Bruno Palier est directeur de recherche du CNRS à Sciences Po (CEE).

Il est docteur en sciences politiques, agrégé de sciences sociales et ancien élève de l’école normale supérieure de Fontenay Saint Cloud.

Il travaille notamment sur les réformes des systèmes de protection sociale en France et en Europe.

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L’expérience des quarante dernières années montre qu’il n’est pas possible de transformer radicalement un système de retraite, même si des dirigeants politiques le veulent ou si cela semble souhaitable d’un point de vue économique ou démographique.

Ainsi, il n’est pas possible de remplacer intégralement un système de retraite par répartition par un système de retraite par capitalisation. Cela obligerait la population active travaillant pendant la période de transition d’un système à l’autre à cotiser deux fois : l’une pour payer les pensions des retraités actuels, l’autre pour épargner les fonds de sa propre retraite future. Il s’agit là du problème dit du « double paiement », qui empêche toute révolution en matière de retraite. Même Ronald Reagan, président américain des années 1980 et fervent avocat des politiques ultralibérales, n’est pas parvenu à privatiser le système de retraite de base américain (Social Security) financé en répartition (Pierson, 1994).

D’une façon générale, la plupart des systèmes de retraite occidentaux ont au moins 70 ans d’âge, et les engagements pris par le passé ne peuvent pas être remis en cause du jour au lendemain, au risque de rompre le contrat qui lie les générations, notamment dans les systèmes financés en répartition. Il apparaît en effet difficile de changer les règles du jeu en cours de route, alors que chacun a défini ses attentes (et ses comportements de travail et d’épargne) en fonction de celles-ci. C’est pourquoi les changements de mode de calcul des retraites sont introduits de façon progressive et sur le long terme.

Dès lors, les systèmes de retraite sont le plus souvent adaptés par des changements successifs qui restent inscrits dans le chemin emprunté historiquement (on parle de « dépendance au sentier » ou path dependence). La conséquence est cependant que les personnes qui bénéficient des retraites les plus généreuses (les jeunes retraités actuels, dont nous avons vu que les revenus sont souvent les plus élevés dans la population, du moins en France) ne sont pas concernées par les réformes actuelles et à venir des retraites, ce qui pose un problème de justice entre les générations.

L'attachement des populations à leur retraite

Après plus de vingt ans de débats et de réformes en Europe, les citoyens sont aujourd’hui conscients des menaces qui pèsent sur les systèmes publics de retraite. Les enquêtes d’opinion montrent que plus de la moitié des Européens pensent que la situation démographique à venir posera des problèmes et estiment qu’ils auront du mal à « s’en sortir » avec les seules retraites des régimes publics ou obligatoires. Pour autant, les citoyens européens ne sont pas prêts à accepter facilement les mesures qui sont proposées. Ainsi, au début des années 2000, les trois quarts des Européens refusaient d’envisager de travailler plus longtemps et de retarder l’âge de leur départ en retraite. La moitié des Européens était réticente à l’idée de moduler le montant des retraites en fonction de l’âge de départ (données Eurobaromètre).

Les Européens sont particulièrement attachés à leur système de retraite, et cela d’autant plus qu’il leur offre des taux de remplacement relativement élevés, et que les pensions de retraite sont liées aux revenus du travail. Les systèmes bismarckiens semblent ainsi les plus difficiles à réformer. En effet, ils garantissent un revenu proche du revenu d’activité, et le mode d’acquisition des droits est fondé sur le travail. Par le biais du versement de cotisations sociales prélevées sur son salaire, l’assuré a le sentiment d’avoir travaillé pour ses droits sociaux, de les avoir achetés. Des droits sociaux acquis par le versement de cotisations sociales sont plus difficiles à remettre en cause que des droits sociaux fondés sur le besoin ou même sur la citoyenneté (Bonoli, Palier, 1998).

En outre, l’organisation même des systèmes bismarckiens d’Europe continentale contribue à leur résistance. Ils impliquent souvent dans leur gestion les syndicats de salariés. Ceux-ci apparaissent souvent comme les défenseurs des salariés et des systèmes en place et s’opposent aux projets de réformes des gouvernements. Les fortes mobilisations lancées par les syndicats autour des réformes de 2003, 2007, 2010 et 2020 en France en sont une illustration (voir chapitre VI). L’échec du plan Juppé sur les régimes spéciaux de retraites en 1995 en France, mais aussi du plan Berlusconi la même année en Italie, montre que, pendant longtemps, un projet de réforme des retraites ne tenant pas compte des positions syndicales était voué à l’échec politique.

La fragmentation des systèmes en différents régimes destinés à différentes catégories professionnelles renforce encore les difficultés. Chaque catégorie socioprofessionnelle tient à préserver ses avantages particuliers, tandis que le Gouvernement doit négocier avec les représentants de chacun de ces groupes s’il veut réformer les retraites. La France fournit l’exemple le plus caricatural de cette situation, mais les Italiens ont aussi des régimes particuliers pour leur fonction publique, qu’il faut réformer à part.

L’enjeu des réformes est ainsi souvent moins technique que politique : il s’agit de construire des compromis qui soient acceptables par les populations et leurs représentants, tout en adaptant les systèmes aux nouveaux contextes économiques et démographiques. Mais si les gouvernements nationaux doivent trouver la formule politique adaptée à leur situation nationale, ils sont de plus en plus orientés dans leur action par des modèles de réforme élaborés au niveau international et par les pressions venues de ce niveau.

Extrait du livre de Bruno Palier, « Réformer les retraites », publié aux éditions Les Presses de Sciences Po.

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