Réforme des retraites : pire que la rue, la menace du recours forcé au 49-3<!-- --> | Atlantico.fr
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On peut retenir de cette journée que malgré l’ampleur des manifestations, et même s’il y a eu ici et là, par rapport aux premières journées, des événements plus violents, ceux-ci ont été contenus.
On peut retenir de cette journée que malgré l’ampleur des manifestations, et même s’il y a eu ici et là, par rapport aux premières journées, des événements plus violents, ceux-ci ont été contenus.
©PIERRE ANDRIEU / AFP

Au forceps

La majorité présidentielle, qui connaît ses propres divisions, les Républicains, qui ont les leurs, pourront-ils alors constituer une alliance ferme et fiable qui permette le vote du texte sans utiliser l’article 49 al 3 ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Les syndicats et les responsables politiques de gauche voulaient mettre la “France à l’arrêt” ce 7 mars. L’opération a-t-elle été une réussite ? Y-a-t-il des choses à retenir de cette journée de mobilisation ?

Christophe Boutin : On peut retenir de cette journée de manifestations une impression de force et de faiblesse. Une impression de force, d’abord, au regard de l’ampleur de la mobilisation, qui aurait dépassé le million de manifestants - soit plus que lors de la mobilisation déjà très importante du 31 janvier. Une mobilisation qui a touché, comme c’est le cas depuis le début de cette crise des retraites, aussi bien les grandes villes qu’un nombre important de villes moyennes où la population a eu à cœur de descendre dans la rue pour manifester. Les chiffres, comme l’ambiance, rappellent 2010, alors que les Français s’opposaient au passage de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Par ailleurs, on peut retenir de cette journée que malgré l’ampleur des manifestations, et même s’il y a eu ici et là, par rapport aux premières journées, des événements plus violents, ceux-ci ont été contenus.

Pour autant, et c’est cette fois la faiblesse de cette journée, on n’a pas véritablement eu l’impression d’une « France à l’arrêt », comme on en avait gardé le souvenir avec les manifestations de novembre 1995 contre le gouvernement d’Alain Juppé. Il est vrai qu’en 95 on avait eu trois semaines de manifestations consécutives, et un blocage particulièrement important, notamment dans les transports. 

Or deux choses sont ici différentes. D’une part, la solution retenue en 2023 a été celle de journées de grèves ponctuelles avec un calendrier de nouvelles rencontres parfois espacées, sans que l’on se soit placé avant ce 7 mars dans la logique de grèves reconductibles. D’autre part, un certain nombre – et même un nombre certain - de travailleurs sont moins concernés par les blocages, car ils peuvent faire du télétravail. C’est d’ailleurs aussi le cas dans l’enseignement supérieur, et dans les universités bloquées, on fera de la visioconférence…

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Ceux qui payent le prix de cette mobilisation et de cette « France à l’arrêt » sont, là encore, les Français de la « France périphérique », bloqués sur les ronds-points, ne pouvant pas accéder au lieu de leur travail - qui n’est pas un télétravail -, et qui commencent à s’inquiéter des éventuelles conséquences des blocages en termes de restrictions de carburants.  

Au Sénat, Gérard Larcher et Bruno Retailleau semblent vouloir accélérer la cadence pour avoir fini d’étudier le texte d’ici dimanche. Et Bruno Retailleau a même appelé Emmanuel Macron à tenir bon sur les retraites. Le soutien de LR garantit-il un scénario sans anicroche pour le gouvernement ?

Le Sénat est en train d’accélérer la procédure, et son président, Gérard Larcher, s’est plaint du nombre important d’amendements restant à examiner - et préconise d’utiliser les articles du règlement de la Chambre qui permettront d’accélérer l’examen des textes, en limitant par exemple les temps de parole. L’un des arguments avancés est qu’il faudrait éviter de reproduire ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale où, en bloquant l’examen du texte, on a empêché le débat sur des articles au sujet desquels il pouvait y avoir une évolution acceptée par le gouvernement. 

Au Sénat, il est permis de penser qu’il n’y aura pas cette division au sein du groupe LR que l’on a rencontrée à l’Assemblée nationale, et il n’est donc pas interdit d’espérer que le texte soit débattu, amendé et voté d’ici dimanche. Lors de son passage devant la Commission mixte paritaire, les députés et sénateurs qui y siègent pourront peut-être arriver à un compromis. C’est en tout cas quand le texte reviendra devant l’Assemblée nationale que se posera à nouveau la question de la cohésion du groupe LR, mise à mal en première lecture par les demandes d’Aurélien Pradié. L’Assemblée se ralliera-t-elle au texte modifié, qui pourra peut-être intégrer des demandes des députés LR ? En tout cas, Gérard Larcher souhaitait que l’ensemble du texte puisse être débattu au Sénat pour que les Français aient connaissance de l’avis des sénateurs… et qu’ils comprennent, au vu des votes suivants, d’où – et de qui – viendraient les blocages. 

Restera la question de savoir, si les blocages persistent et si les alliances semblent trop fragiles, si le gouvernement pourra faire l’économie de l’article 49 al.3 et de l’engagement de sa responsabilité pour faire adopter le texte.

Emmanuel Macron souhaiterait que le vote solennel ait lieu le plus tard le 16 mars, selon les informations de l’Express. Une accélération de la sorte du calendrier tuerait-elle tout mouvement social ?

Pour la CFDT, Laurent Berger a d’ores et déjà indiqué qu’il estimait qu’il n’y aurait pas à continuer le mouvement social une fois le texte voté. Pour lui, les syndicats auront joué leur rôle d’opposants et mis en face de leurs responsabilités des élus qui devront peut-être les assumer plus tard devant leurs électeurs. Mais pour la CGT, les choses ne sont peut-être pas aussi simples, et on a l’impression que dans l’esprit de Philippe Martinez on pourrait continuer le mouvement social quand bien même le texte serait voté.

L’accélération du calendrier, si elle peut permettre de « tourner la page » plus vite, peut aussi donner l’impression d’une sorte de choix du passage en force, et, au contraire, braquer un peu plus certains syndicats. Il est vraisemblable en tout cas que dans la dizaine de jours qui nous sépare du 16 mars, et plus précisément après le vote par le Sénat - a priori dimanche – les opposants au texte tentent de renforcer leurs positions en maintenant une forte pression. Mais pour quoi ? Il n’y avait pas, dès le début, de possibilité d’accord, les syndicats ayant déterminé une ligne rouge autour de l’allongement de la date de départ à 64 ans, et cette pression de la rue devrait être particulièrement forte pour qu’Emmanuel Macron renonce. 

Au vu de la double évolution de la rue et du parlement, quels sont les scénarios les plus probables ?

Premier élément de scénario probable, les opposants à la loi vont tout faire pour augmenter la pression - et notamment pour faire entrer dans la danse les lycéens et les étudiants qui peuvent utilement apporter du nombre. Il y aura aussi quelques tentatives de multiplier les blocages, mais avec les réserves déjà évoquées sur leur efficacité. 

Tout cela, jusqu’au 16 mars, ira de pair avec le scenario politique : vote du Sénat – avec ou non des gestes faits en faveur de certains choix exprimés à l’Assemblée nationale, puis commission mixte paritaire, et un texte à nouveau soumis à l’Assemblée nationale pour le vote définitif. La majorité présidentielle, qui connaît ses propres divisions, les Républicains, qui ont les leurs, pourront-ils alors constituer une alliance ferme et fiable qui permette le vote du texte sans utiliser l’article 49 al 3 ?

Si ce n’était pas le cas, avoir inscrit ce projet dans le cadre des lois financement de la sécurité sociale (article 47–1) fait que cette motion de censure, si on en usait, ne ferait pas partie de celles que le gouvernement ne peut plus utiliser qu’avec parcimonie depuis la réforme de 2008. Au vu des la rapidité des débats au Sénat, il est par contre peu probable que le gouvernement ait besoin d’utiliser l’autre possibilité que lui offre l’article 47-1, l’adoption du texte par la voie d’ordonnances, ouverte s’il n’est pas voté dans les 50 jours.

Cette réforme des retraites peut-elle se transformer en victoire à la Pyrrhus pour le gouvernement ?

Si la réforme échoue, le reste du quinquennat serait bien délicat, et le changement de gouvernement qui suivrait sans doute aurait bien du mal à relancer la dynamique macronienne.  Sinon, elle aura au moins fait la preuve de la détermination du gouvernement à mener à bien une réforme, même impopulaire, ce qui peut séduire une partie des électeurs.

Elle oblige en tout cas le gouvernement - comme son groupe parlementaire – à se positionner plus clairement à droite que ne l’auraient peut-être souhaité certains, et notamment les Marcheurs du début de l’aventure, venus largement du PS – mais n’est-ce pas le cas d’Élisabeth Borne ? Reste que d’autres réformes difficiles et importantes attendent le gouvernement, qui vont elles aussi poser la question de cet éventuel ancrage à droite, et notamment le futur projet de loi sur l’immigration. Le gouvernement sera-t-il alors à nouveau tenté de séduire les Républicains et de durcir un peu le ton, ou choisira-t-il cette fois, au contraire, de rassurer sa gauche en limitant les réformes à du cosmétique ? Et les Républicains, ne tenteront-ils pas alors de reprendre leurs distances d’avec ce gouvernement dont ils auront été l’allié sur la réforme des retraites, pour rassurer leurs électeurs ?

Quoi qu’il en soit, il est encore trop tôt pour dire si cette réforme va redorer le blason d’un Emmanuel Macron actuellement très démonétisé sur les scènes nationale et internationale. Et tout un chacun aura compris, ce qui était logique dans ce système qui ne permet plus au Président de se représenter à l’issue de son second mandat, que, quel que soit le résultat, le monde politique, au lendemain du vote, aura un peu plus les yeux fixés sur 2027.

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