Rafle du Vel d’Hiv : l’hôpital Rothschild en première ligne<!-- --> | Atlantico.fr
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Cécile Tartakovsky publie « Ces médecins qui ont résisté (1940-1945) » aux éditions Flammarion.
Cécile Tartakovsky publie « Ces médecins qui ont résisté (1940-1945) » aux éditions Flammarion.
©AFP

Bonnes feuilles

Cécile Tartakovsky publie « Ces médecins qui ont résisté (1940-1945) » aux éditions Flammarion. En 1940, rien ne les prédestinait à résister. Et pourtant, au lendemain de la défaite, ils vont user du soin, de la science et de leur courage pour sauver des milliers de vies, au péril de la leur. Extrait 2/2.

Cécile Tartakovsky

Cécile Tartakovsky

Cécile Tartakovsky est journaliste et réalisatrice. Elle a publié « Ces médecins qui ont résisté (1940-1945) » aux éditions Flammarion.

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Les 16 et 17 juillet 1942

Le danger est chaque jour de plus en plus palpable. Et trouve son apogée en plein été.

Le matin du 16 juillet 1942, lorsque Colette arrive à Rothschild pour prendre son service, l’hôpital est en ébullition. Ses collègues se font l’écho de la rafle qui a lieu autour d’eux, en ce moment même dans la ville. Les policiers français seraient en train de procéder à un immense coup de filet sur Paris et sa banlieue. La rumeur est terrible, cynique. Il se raconte que pour ne pas séparer les familles, « sous couvert d’humanité soi-disant ! », les forces de l’ordre ont décidé cette fois d’embarquer les hommes, les femmes, et leurs enfants avec eux. Peu importe leur âge. Vieillards et nourrissons seraient indifféremment entassés dans des bus qui les mèneraient dans le XVe arrondissement de Paris, dans un stade couvert, à proximité de la Seine.

En deux jours, treize mille cent cinquante-deux Juifs sont raflés, et près de huit mille d’entre eux sont entassés au Vel d’Hiv en attendant d’être dispersés dans les camps de Drancy ou de Pithiviers. Et ce, quel que soit leur état de santé.

Le personnel de Rothschild se trouve alors en première ligne.

— Nous avons vu arriver dans nos services des hommes et des femmes décharnés, des vieillards mourants. Je me souviens de ce couple en particulier, ils étaient allongés sur des brancards, complètement déshydratés, crasseux, leurs vêtements étaient souillés d’excréments. Lui était rongé par l’arthrite. Il pouvait à peine ouvrir les yeux. On ne savait pas comment les soigner, quoi leur donner. Quel traitement mettre en place de toute façon face à une si terrible agonie ? Avec sa femme, ils n’avaient même plus la force d’avaler quoi que ce soit.

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Deux jours durant, Colette assiste, impuissante, au crépuscule de ce couple, uni dans la tragédie.

— C’était épouvantable. Mais le pire dans tout ça, c’est qu’on a vu arriver des petits enfants. On était naïfs à l’époque, on ne savait pas vraiment où on envoyait tous ces gens que l’on soignait. On savait qu’on les mettait dans des trains pour aller on ne sait où, aux quatre coins de la France, en Pologne… mais on voulait croire au fait qu’une fois sortis de l’hôpital, on les envoyait quelque part pour travailler. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître aujourd’hui, on ne s’était pas rendu compte à l’époque que c’était une mise à mort programmée. Mais les enfants ?! Il était évident que mettre des petits, entassés à quarante ou soixante dans des wagons à bestiaux…

Colette s’interrompt un instant.

— … Il était évident que les conditions dans lesquelles on les faisait partir étaient telles qu’ils avaient une chance sur deux de ne pas arriver vivants.

Dans son équipe, malgré le silence complice qui lie les internes, tous sont unanimes : une fois qu’un enfant arrive dans le service, il n’est plus question de le laisser repartir.

— Surtout, il fallait sauver les bébés et il y en avait beaucoup. Deux de nos médecins qui s’étaient rendus au Vel d’Hiv nous avaient raconté les conditions terribles dans lesquelles les femmes accouchaient… dans les gradins, à même le sol… Il n’y avait pas d’eau. Rendez-vous compte, il y avait deux sanitaires seulement pour des milliers de personnes, le sol était immonde, l’air pestilentiel. Et les nourrissons arrivaient chez nous dans des états terrifiants.

Les jours passent, et Colette constate avec étonnement que la liste des bébés mort-nés s’allonge d’une étrange façon. Puis il y a ce petit garçon aussi dont, hier encore, on soignait les contusions à la tête et qui, ce matin, semble tout bonnement s’être volatilisé.

— Je suis allée interroger la surveillante, mademoiselle Damangou – on l’appelait Gougoutte entre nous –, je lui ai demandé ce qui était arrivé à ce petit notamment. Dans un sourire entendu, sur un ton désinvolte, elle m’a dit quelque chose comme « ah, je ne sais pas, peut-être était-il guéri… ».

Dans ce non-dit explicite, Colette entrevoit un scintillement. Ces décès inexpliqués, ces disparitions impromptues pourraient bien être le fait d’une action organisée et secrète pour sauver les enfants des camps.

Au cours de l’une de nos récentes entrevues, Colette est revenue plus en détail sur le rôle véritable de Gougoutte à l’époque.

— Je l’ai appris bien plus tard, bien après la fin de la guerre, mais c’est elle qui, bénéficiant d’un laissez-passer pour Drancy, se rendait auprès des mères qui venaient d’accoucher pour obtenir l’autorisation de changer l’identité de leurs bébés en vue de les confier à des familles, catholiques pour la plupart.

Afin d’éviter la déportation à ces nouveau-nés, et plus largement aux enfants qui arrivaient chaque jour à Rothschild, mademoiselle Damangou devait absolument convaincre leurs parents d’accepter de les abandonner « temporairement » avec cette promesse, « illusoire, hélas », de les retrouver un jour… plus tard… quand tout serait fini.

— Ils étaient désespérés. Accepter la séparation, la francisation de leur nom, c’était prendre le risque de ne plus jamais les retrouver. Mais beaucoup ont finalement cédé. C’est terrible de penser que la plupart de ces gens sont morts avec la douleur de ne jamais avoir su ce qu’il était advenu de leurs petits.

Ce qui reste, aujourd’hui encore, mystérieux aux yeux de Colette, c’est la façon dont les prénoms et les noms de ces enfants disparaissaient des registres de Rothschild.

— Comme par magie ! Chaque fois que l’un d’entre eux était sur le point d’être placé, il fallait absolument effacer son nom de la liste des admissions, mais cette liste était constamment vérifiée, minutieusement examinée par les médecins et les chefs de camp de Drancy. On ne pouvait pas simplement se contenter de barrer leurs noms…

Or, les moyens de l’époque étant ce qu’ils étaient, l’effacement de ces données n’aurait pas dû, pas pu échapper à la vigilance de l’ennemi qui se procurait quotidiennement chacune de ces listes.

— Je dois dire que c’est un tour de force que je ne me suis jamais expliqué.

Extrait du livre de Cécile Tartakovsky, « Ces médecins qui ont résisté (1940-1945) », publié aux éditions Flammarion

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