Raboter l’Etat-providence pour stimuler l’économie : la méthode britannique dont la France devrait s’inspirer<!-- --> | Atlantico.fr
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La France pourrait mettre à bas certaines dérives qui ont dénaturé son système initial de prestations sociales.
La France pourrait mettre à bas certaines dérives qui ont dénaturé son système initial de prestations sociales.
©Reuters

Gros lifting

Afin d'éviter le comportement du "passager clandestin", le Royaume-Uni envisage en effet de restreindre les prestations non-contributives qui pourraient inciter le comportement de ceux qui veulent bien recevoir mais pas contribuer.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Le secrétaire d'État britannique au travail et aux retraites, Iain Duncan Smith, prononce ce mardi un discours visant à développer une nouvelle approche du Welfare, c'est-à-dire l'État-providence d'outre-manche. Mesures phares : réduire de £26 000 à £18 000 par an le maximum des prestations sociales par foyer et ne plus octroyer d'allocations familiales supplémentaires au-delà du 2e enfant. Selon lui le fait de réduire la dépendance à l'État-providence boosterait l'économie en contraignant les personnes privées de ses largesses à trouver d'autres solutions. Quelles sont les vertus et limites d'une telle approche ?

Jacques Bichot : Le Welfare britannique, héritier du Plan Beveridge concocté durant la seconde guerre mondiale, a pour objet de fournir un minimum de ressources et de soins aux personnes dont les revenus ne sont pas suffisants pour vivre décemment ou se soigner. Sa philosophie est très différente de celle des assurances sociales à la française (et dans une certaine mesure à l'allemande) qui ont pour rôle principal de fournir une assurance contre les risques de l'existence, que l'on soit riche ou pauvre. Le Conseil constitutionnel, en censurant la disposition d'une loi toute récente qui réduisait fortement les cotisations sociales salariales des personnes au SMIC et à proximité, a rappelé qu'en France la cotisation est l'origine du droit à la couverture du risque. En Grande-Bretagne, le financement peut être fourni par l'impôt : il n'y a pas de contributivité.

Le Welfare State pourrait effectivement, s'il était trop généreux, engendrer une généralisation du comportement de "passager clandestin" : comportement de ceux qui veulent bien recevoir, mais pas donner, pas contribuer. Il est donc normal de restreindre les prestations non contributives, qui pourraient inciter, si elles étaient généreuses, à vivre au crochet des autres. Le problème en France est que notre système d'assurances sociales a dérivé vers un État-providence qui ressemble au Welfare State en plus généreux. Dès lors, la France a encore plus à craindre que sa voisine occidentale de voir se développer la stratégie du pique-assiette.

Donc, je comprends le souci du ministère britannique, mais un point m'inquiète : s'il s'agit de restreindre les allocations familiales aux familles nombreuses à celles que touchent les ménages ayant deux enfants, il y a confusion entre la politique familiale, qui est destinée à partager entre tous le poids de l'investissement dans la jeunesse, et le Welfare.

Dans quelle mesure et à quelles conditions un État-providence trop généreux finit-il par ralentir l'économie ?

Il y a deux sens de l'adjectif "généreux". Le premier, c'est donner largement sans attendre de retour. Le second, c'est d'organiser un système d'assurances sociales qui couvre bien tous les risques, dut-on pour cela cotiser fortement. La seconde forme de générosité ne présente pas de danger, car elle est partie intégrante d'une économie d'échange. Si vous préférez avoir une excellente couverture maladie, qui vous garantit les meilleurs soins même s'ils sont très onéreux, c'est comme si vous préférez les voitures sophistiquées ou les habitations bien construites et bien équipées : ça contribue à faire tourner la machine économique. En revanche, la première forme de générosité est dangereuse si elle va trop loin, parce que l'incitation à la production diminue : les producteurs les mieux rémunérés parce qu'ils exercent des fonctions dont l'économie a besoin croulent sous les prélèvements obligatoires sans contreparties destinés à entretenir des oisifs, et ils ne sont pas contents, si bien qu'une certaine proportion d'entre eux va voir ailleurs si l'herbe n'y serait pas plus verte. L'économie manque à la fois de travailleurs acceptant les tâches utiles mais modestement rémunérées, et de travailleurs "haut de gamme" qui peuvent prendre la tête du peloton et lui faire réaliser de belles performances.

Est-ce le cas en France ? Quelles sont aujourd'hui les prestations sociales qui s'avèrent économiquement et socialement contre-productives ?

Oui, c'est hélas le cas en France, où l'on commence à voir un exode inquiétant des jeunes les mieux formés.

Pour la seconde question, citons en premier lieu les retraites des régimes spéciaux (fonctionnaires, cheminots, électriciens-gaziers, etc.). Ces catégories ont obtenu des privilèges qui sont payés par l'ensemble des Français et qui se traduisent par un prix excessif des services publics qui nuit gravement à la compétitivité de l'entreprise France. La comparaison entre le coût des administrations publiques en Allemagne et en France, par exemple, est très éclairante : notre grand voisin de l'Est dépense moins pour les frais généraux de la nation, ce qui le met en meilleure situation pour produire des biens de bonne qualité à des prix raisonnables. Cela agit dans le même sens que la modération salariale acceptée pendant dix ans par les salariés allemands.

En deuxième lieu, je mettrai l'insuffisance du suivi personnel et des mesures de retour à l'emploi pour les personnes qui ont "décroché". L'État-providence français leur donne de quoi vivre, mais ne leur donne pas le coup de pouce (qui peut consister, selon les cas, à redonner confiance en soi, ou à donner – pardon de la vulgarité – un bon coup de pied au cul) nécessaire pour surmonter ses difficultés et se remettre au travail. En somme, nous ne savons pas faire du "workfare", de la remise en selle. Vient dans cette catégorie non seulement le RSA, qui est comme le RMI un échec du point de vue de l'insertion, mais aussi l'assurance-chômage. Certes, Pôle emploi ne peut pas faire des miracles, mais quand même, étant donné le nombre des propositions d'emploi qui ne trouvent pas preneur, on ne peut que se dire "il y a un truc que Pôle emploi n'a pas trouvé".

Comment pourrait-on s'inspirer des pistes explorées par les Britanniques sans renier l'esprit de l'État-providence à la française ?

L'État providence à la Française est le fruit de l'étatisation de nos assurances sociales. Celles-ci sont devenues ingérables parce que celui – l'État – qui devrait leur fixer des objectifs et récompenser leurs dirigeants, ou les punir, selon les résultats obtenus, s'en est fait le gestionnaire. Quand on est à la fois l'arbitre et le joueur, rien ne va plus : on arbitre mal, et on joue mal, sachant que l'on ne se sifflera pas à soi-même les penalties. Je crois donc que la leçon des Britanniques se limite à ceci, au demeurant très important : il faut retrouver la logique du système national de protection sociale, il faut être fidèle aux principes sur lesquels il a été construit. Français et Anglais ont parfois été chats et chiens, alors terminons en disant : les chats qui essayent de se faire aussi gros qu'un labrador, ça ne marche pas ; et les chiens qui veulent chasser les souris, ça ne va pas bien non plus. Retour aux sources, voilà le remède !

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