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Photo d'illustration // Un passeport bosniaque.
Photo d'illustration // Un passeport bosniaque.
©Reuters

Ciel, mon passeport !

Sur le vol MH370 qui s'est écrasé le 8 mars dernier, deux personnes détenaient de faux passeports, tandis que quatre autres pourraient également être dans ce cas. En 2013, un tiers des quelque 2 milliards de voyageurs ont pu monter à bord de leur avion sans que leur passeport ne soit scanné et vérifié auprès du fichier Interpol, tenu depuis 2002 et qui recense aujourd'hui 40 millions de passeports volés. Une vraie leçon.

Christophe  Naudin

Christophe Naudin

Christophe Naudin est criminologue, docteur de la Sorbonne, chercheur enseignant pour l’Université Paris II Panthéon-Assas. Spécialisé dans la lutte contre la criminalité identitaire et le terrorisme aérien, il est également formateur pour la police nationale et la gendarmerie nationale. Il a exercé pendant 20 ans dans de nombreux pays sur les 5 continents, dans le cadre de la coopération technique policière et de défense.

 
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Atlantico : Sur le vol MH370 de la Malaysian Airlines, deux personnes ont été enregistrées avec des passeports volés, tandis que selon Interpol, un tiers des 2,1 milliards de passagers en 2013 auraient voyagé sans que leur passeport ne soit vérifié. Qui est réellement chargé de vérifier notre  passeport à la douane ?

Christophe Naudin : Les passeports, qui sont des documents de voyage, répondent à des normes internationales édictées par l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale). Ils sont uniquement contrôlés par les services de l’émigration de chaque pays lorsqu’il s’agit d’un vol international. Les vols domestiques représentent environ 50% des vols dans le monde, dont 40% en Amérique du Nord. Il est donc normal que seules 1 milliard d’identités soient contrôlées dans le cadre de la sûreté du transport aérien.

Le contrôle identitaire ou le rapprochement identitaire (rapprocher un porteur du document qu’il présente) réalisé à l’aide d’un passeport normé ou d’une carte d’identité normée, est d’ailleurs la seule mesure sagace en matière de sûreté ! A Kuala Lumpur dans le cas du vol MH370, ni le rapprochement identitaire avec les deux faux porteurs n’a été effectué par les policiers du service d’émigration, ni le rapprochement avec la base INTERPOL. Nous ne sommes pas dans le conditionnel. C’est un fait, que ces gens ont été enregistrés à tort, alors qu’ils auraient dû être interceptés et arrêtés. C’est évidemment une grave faute professionnelle qui aura des conséquences sur l’image de la Malaisie.

La seule mesure intéressante en matière de sûreté est de connaitre l’identité des personnes embarquant dans un avion. Pour le vol MH370, l’identité de 6 personnes reste douteuse, ou non confirmée par les autorités malaisiennes en charge de l’enquête internationale. C’est une bonne chose que vous vous y intéressiez.

Une fois de plus il a été démontré que l’inspection filtrage des passagers (+ personnels aéroportuaires & équipages), c’est-à-dire l’inspection des objets ou matières transportées par les passagers, est évidemment très insuffisante et surtout particulièrement inefficace. Jamais un attentat n’a été empêché grâce aux mesures d’inspection filtrage depuis les 20 dernières années, bien au contraire ! (Richard Reid 22/12/2001 Paris CDG – Boston ; 24/08/2004 Moscou Domodedovo, 2 attentats aériens. 03/08/2008 Londres –Hong Kong ; Abdul Farouk Abdulmutallab 25/12/2009 Amsterdam - Detroit ; 25/04/2011, Valery Tolmachev Paris CDG ; 17/02/2014, Addis Abeba – Rome ; etc.);  La liste est non exhaustive ! Seuls les contrôles identitaires sont utiles et permettraient d’éviter de nombreux sinistres, notamment parce qu’ils permettent de justifier des contrôles de sûreté complémentaires.

La douane, police des finances de chaque pays, n’a aucune prérogative concernant le contrôle migratoire. Certains pays délèguent le contrôle migratoire à l’armée, d’autres à la police nationale (Cas de la France avec la PAF – Police aux Frontières), d’autres encore créent un service spécialisé dit : service de l’émigration (USA, Canada, Australie, etc.). Certains pays utilisent même des agents de sûreté pour effectuer les pré-contrôles. Ne confondez pas le contrôle douanier, avec le contrôle de Police, et le contrôle migratoire.

Depuis 2002, 40 millions de passeports auraient été volés selon Interpol. Et pourtant, seule une petite dizaine de pays dans le monde, et notamment les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les Emirats Arabes Unis vérifient systématiquement dans les fichiers d'Interpol chaque passeport étranger enregistré. De plus, l'Australie n'a scanné que 335 passeports en 2013, soit 0,001 % des arrivées. Comment expliquer un taux de vérification si faible ? 

INTERPOL détermine le taux de passeports volés en fonction du nombre de déclarations effectuées auprès des services de Police de ses adhérents. Ce nombre est sans doute plus important sur les 10 dernières années. Par ailleurs, peu de personnes dans le monde possèdent un passeport. Les personnes qui voyagent, soit 5% de la population mondiale (500 millions) sont en réalité presque toujours les mêmes ! 95% des humains ne prennent jamais l’avion. De plus, ayez à l’esprit que 90% des voyageurs aériens voyagent beaucoup, plusieurs fois par an. 10% des voyageurs aériens ne prennent l’avion qu’une fois par an, en général pour leurs vacances ou pour une migration économique. Ces 40 millions de passeports volés depuis 2002 ne prennent pas en compte les passeports non déclarés volés utilisés pour usurper des identités, ainsi que les passeports délivrés indument. La criminalité identitaire est un phénomène très inquiétant et en augmentation depuis les années 1990.

Le taux de vérification des passeports avec la base interpol est faible. D’abord la base INTERPOL n’est pas systématiquement interconnectée au dispositif de vérification, en raison de l’interdiction dans certains pays d’interconnecter des bases (France). Les policiers doivent donc effectuer 2 opérations de contrôle au lieu d’une seule, alors même qu’ils n’ont pas le temps d’effectuer 1 seul contrôle normalement.

Il faut dire que la tâche est simplement inhumaine, ce que ne comprend pas le grand public. Aucune personne, policier ou agent de sûreté, n’a la capacité de rester concentré sur une série de documents et leurs porteurs pendant plus de 20/30 minutes. Or, les périodes de travail peuvent être de plusieurs heures dans les gros aéroports, voire continues pendant les périodes de vacances. Faire le contrôle migratoire obligatoire, plus le contrôle INTERPOL est quasiment impossible, sauf cas exceptionnel ou opération de communication devant la presse.

Certains pays interconnectent leurs bases (c'est le cas des USA et de la Colombie). C’est loin d’être la majorité.

Certains pays ont des dispositifs informatiques défaillants ou non fonctionnels malgré la coopération policière internationale (cas de presque tous les pays d’Afrique et d’Asie du Sud Est). Même s’ils sont adhérents d’INTERPOL ils n’ont pas les moyens humains de mettre en œuvre ce double contrôle.

Un grand nombre de pays ont des policiers non compétents, soit parce qu’ils ne savent pas lire un autre alphabet que le leur, soit parce qu’ils ne parlent pas une langue étrangère OACI (Anglais, français, espagnol, russe, chinois) autre que leur langue maternelle, soit parce qu’ils ne connaissent pas les signes de sécurité de certains documents. Ayez en tête que sur 204 pays dans le monde, des documents de voyages sont édités avec 50 écritures différentes, toutes translittérées plus ou moins bien en écriture latine, et qu’il existe 15 calendriers différents qui servent à émettre des actes d’identité…

Chaque année, le nombre de personnes à contrôler dans les aéroports augmente d’environ 6% dans le monde (doublement en 13 ans) et de presque 10% en Asie (doublement en 7 ans). Le contrôle migratoire est très complexe techniquement. Connaître les signes de sécurité des passeports de 204 pays (chaque pays a parfois 3 ou 5 types de passeports, soit environ 900 passeports), sans compter les types de visas, les nombreuses cartes nationales d’identité, les titres de séjour… Impossible ! 

Sans que ce soit le moindre des problème, le contrôle migratoire en Europe est conspué par une intelligentsia politique qui estime qu’il s’agit d’un agissement liberticide. En France les policiers le savent et sont particulièrement démotivés. Sachant qu’ils seront désavoués, ils ne prennent pas la peine de faire les procédures ou les vérifications qu’ils devraient entreprendre.

Qu'en est-il des faux passeports ? Existe-t-il un moyen de les reconnaître à première vue ?

Il existe de nombreuses catégories de faux documents, dont la qualité varie du plus médiocre (fabrication thaïlandaise, africaine) au presque parfait (fabrication libanaise, lituanienne).

80% des faux documents, toutes qualités confondues, ne sont pas détectés ni par les forces de l’ordre ni pas les organismes en charge de les contrôler ou de les utiliser (En France : employeurs lors de l’embauche, commerçants, contrôleurs de la SNCF, compagnies aériennes, caissières de supermarché, employés de mairie, banques, organismes sociaux, etc.) Ce n’est donc pas les policiers ou les gendarmes qui voient le plus de faux documents, mais bien les personnes de la société civile qui n’ont aucune idée des sécurités à détecter… d’où l’ampleur de la criminalité identitaire !

Reconnaitre les faux documents pour en détecter moins de 20% est une spécialité qui nécessite une formation spécialisée que peu de personnes acquièrent aujourd’hui.

La seule solution efficace, déjà évoquée précédemment est que le contrôle documentaire soit effectué par une machine, à condition que les documents deviennent tous électroniques puis biométriques. Même sans la biométrie, la détection des faux serait très améliorée (environ 80% de détection) et avec la biométrie (99,999%).

Pour quelles raisons certains pays vérifient-ils systématiquement les passeports par rapport au fichier Interpol ? Quels sont ces pays ? 

Aucun pays ne vérifie systématiquement. Les pays occidentaux anglo-saxons ou les grands ensembles géopolitiques mondiaux (Russie, Chine, Inde, Brésil – 50% de la population mondiale) ne connaissent pas encore les pudeurs éthiques franco-européennes qui nous caractérisent. Ils se posent beaucoup moins de questions que nous, même s’ils sont, tout autant que nous, préoccupés par la garantie des droits des citoyens, notamment la protection des libertés individuelles et collectives.

Quelles solutions devrait-on mettre en place pour pallier ce problème ?

Il n’y a qu’une et unique solution : c’est la mise en place de la biométrie multimodale dans l’ensemble du circuit migratoire. Techniquement, c’est une technologie (inventée en France) que nous maitrisons parfaitement, mais qui n’est pas déployée pour toutes les raisons évoquées précédemment.

Il est indéniable et indiscutable que la bio-métrie (mesure du vivant), dispositif naturel utilisé par les plantes et les animaux pour identifier et authentifier, prendra de l’importance au cours du XXIe siècle. Les passeports et cartes d’identités en papier, en plastique ou même électroniques, ont désormais atteint leur limites. Car ce sont bien des éléments exogènes à un individu. Ils ne peuvent donc prétendre le représenter. Chaque personne est en réalité porteuse de sa propre identité depuis sa naissance, et c’est bien la seule chose qui devrait permettre aux autorités de chaque pays de savoir qui entre et qui sort facilement de ses frontières, tout en limitant les contrôles, c’est-à-dire en les allégeant.

A partir du moment où les contrôles migratoires ainsi que les contrôles d’identité seront mécanisés et automatisés, les policiers en charge de l’émigration pourront alors se concentrer sur des vérifications annexes, comme le rapprochement avec le fichier INTERPOL. Le mieux évidemment, serait de l’interconnecter automatiquement, ce qui ne semble pas encore dans le vent des idées actuelles.

Propos recueillis par Clémence de Ligny

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