Qui sont les retraités qui ont le plus souffert de la crise et sont-ils vraiment la catégorie la plus à plaindre ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les retraités se rassemblent ce mardi 3 juin à Paris pour dénoncer la baisse de leur pouvoir d'achat.
Les retraités se rassemblent ce mardi 3 juin à Paris pour dénoncer la baisse de leur pouvoir d'achat.
©Reuters

Les retraités dans la rue

Alors que le gouvernement Valls entend geler les pensions de retraites jusqu'en 2015, les retraités se rassemblent ce mardi 3 juin à Paris pour dénoncer la diminution de leur pouvoir d'achat.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Atlantico : Les retraités manifestent demain pour la défense de leur pouvoir d'achat. Concrètement font-ils partie des Français les plus durement touchés par la crise et par les efforts demandés aux Français pour redresser les comptes publics  ? Comment ont-ils été mis à contribution : plus, autant, moins que les autres ? Sous quelles formes ?

Vincent Touzé : Il faut d'abord regarder la situation économique pour les ménages actifs puisqu'ils sont touchés par le chômage. Si je prends les chiffres du chômage (BIT) on voit qu'il y a une remontée du taux de chômage depuis 2008. Ce qui se traduit par une grande insécurité économique pour les ménages, avec des risques de licenciement. La crise économique a pour conséquence une augmentation du chômage et donc il frappe uniquement les actifs. En revanche, c'est possible qu'elle ait frappé les personnes en fin de carrière pour les retraités depuis deux ou trois ans. Concernant le pouvoir d'achat (étude du COR qui étudie l'évolution des retraités actifs), on voit globalement une évolution assez proche. Avec la hausse du chômage, le niveau de vie des actifs n'a pas augmenté. Et puis, il y a aussi une hausse des impôts qui s'insère surtout depuis 2011 sur les actifs. Elle frappe tout le monde mais surtout les actifs du fait qu'on a augmenté les cotisations retraites en 2013 et cela va augmenter en 2014. Par ailleurs, les ménages avec enfant à partir d'un certain seuil de revenu, vont être impactés par la baisse du quotient familial, qui est assez importante. 

En période de chômage, les hausses de salaire sont aussi plus réduites. Dans la fonction publique, il n'y a plus d'indexation depuis plusieurs années. La crise a donc un impact sur les salaires et sur les revenus de manière générale.

Les retraites ne souffrent pas directement de la crise puisque leurs revenus ne sont pas impactés en termes de droits acquis. Pour les retraités de base, la seule source de revenus c'est les retraites, donc ils vont être sensible à leur revalorisation. Normalement c'est l'inflation qui joue sur ça. Etant donné les forts déséquilibres des retraites. Si on prend la CNAV, le fond de solidarité vieillesse, l'Agirc Arrco il y a un déficit financier qui est extrêment élevé. Si on regarde les chiffres, sur la seule année de 2012, le deficit de la CNAV (l'assurance vieillesse) et le fonds de solidarité vieillesse, on était à 9 milliards de déficits en 2012, la l'Agirc Arrco (hors revenus financiers) était à 6 milliards d'euros. Il y a peut-être eu un léger redressement, avec la réforme des retraites en 2013, mais insuffisant. 

Ce qui va frapper les retraités, c'est d'abord les retraites, si elles sont normalement indéxées à l'inflation, leur pouvoir d'achat est peu impacté. 

Quels effets ces efforts qui leur ont été demandés ont-ils eu sur leur quotidien ? Les ont-ils autant impacté que d'autres catégories de population ?

Pour l'instant, le principal effort, c'est le fait d'avoir une indexation partielle et peut-être un report de non-indexation pour les années suivantes. En fait, il y a les réformes des retraites qui demandent une non-indexation complète pour l'année 2014 et le pacte de stabilité indique que l'on pourrait les reporter par la suite, pour les retraites au-delà de 1200 euros, même si ce n'est qu'à l'état d'annonce pour le moment. Si on veut mettre à contribution les retraités, il y a plusieurs moyens. Soit on passe directement par l'impôt, soit on joue sur les pensions. Mais elles sont acquises sur une valeur nominale. Une fois qu'elles sont acquises, les gens ont liquidé leurs droits donc c'est difficile d'y toucher.

Source : calculs COR (2014) 

COR (2014) :

  • 73% des ménages retraités sont propriétaires de leur logement principal.
  • "en 2006, selon l’enquête Logement de l’INSEE, les ménages âgés de 65 ans et plus disposaient en moyenne de 4 pièces et de 91 m², comme l’ensemble de la population française" : puisque les ménages retraités (au maximum 2 personnes, souvent 1) sont moins nombreux les ménages actifs, cette statistique signifie de meilleurs conditions de logement pour les retraités.
  • Les situations sont inégales : il y a des retraités riches, d’autres pauvres.

Parmi les retraités, quelles catégories ont été les plus impactées ? Quels sont ceux qui vivent le mieux, le moins bien ? Quelles situations individuelles permettent de l'expliquer ? Quels sont les critères qui permettent de déterminer les différences de niveau de vie ?

La différence entre un retraité riche et un retraité pauvre, c'est déjà de savoir s'il est propriétaire ou non de son logement. L'accès à la propriété est plus élevé chez les retraités que chez les salariés. En ce sens, les retraités n'ont pas à faire une dépense de logement contrairement aux salariés bien souvent locataires. Etre propriétaire signifie avoir une source de revenu implicite qui est la valeur du loyer qu'on aurait à payer si on devait occuper son logement. Ce dernier coûte entre 20% et 30% de ses dépenses pour un locataire alors que le propriétaire aura seulement quelques frais d'entretien. Effectivement, le retraité modeste qui n'est pas propriétaire, avec un loyer qui peut être parfois indexé plus fortement que l'inflation, même si les règles de l'indexation des loyers ont un peu changées, voit son niveau de vie fortement atteint. 

Il y a plusieurs autres éléments qui entrent en jeu. Déjà, il y a les toutes petites retraites qui accèdent à des minimas sociaux. Ces derniers ne sont pas concernés par la non-indexation. Ensuite, on observe que le niveau de vie par génération à tendance à augmenter. Ceux qui ont les retraites les plus anciennes sont plus basses que les plus récentes car elles sont basées en grande partie sur l'évolution des salaires, tandis que les retraites anciennes sont uniquement basées sur l'évolution de l'inflation. Le niveau moyen des retraites a donc augmenté dans le temps, donc le référent n'est pas le même ; Malgré la réforme des retraites qui a joué en faveur d'une baisse des retraites il y a quand même un niveau de vie de référence qui est variable d'une génération à une autre.

Concernant la situation familiale, des couples de retraités ont un niveau de vie plus élevé puisqu'ils touchent deux retraites. Ensuite, cela dépend des métiers puisque les retraites sont liées au salaire, donc évidemment un cadre aura plus qu'un ouvrier. Il y a aussi un distinguo secteur public/secteur privé avec un taux de remplacement un peu plus élevé dans le public. Les salaires sont plus élevés dans le public, donc il en sera de même pour la retraite. Ce sont surtout les qualifications qui jouent.

Montant de la retraite ou patrimoine disponible : lequel est le plus déterminant pour évaluer la situation des retraités ?

Il y a un seuil. Quelqu'un qui aurait zéro de revenus mais qui est propriétaire aura plus de difficultés qu'une personne qui aura une grosse retraite mais qui serait locataire. A retraite identique, le fait d'être propriétaire de son logement fait qu'on a un meilleur niveau de vie, ce qui n'est pas pris en considération dans l'impôt sur le revenu. On peut préconiser de déduire une partie des loyers de son revenu imposable, quitte à relever l'ensemble des taux d'impôt, ce qui donne un effet neutre en terme de recette fiscale. Il fallait créer une équité fiscale entre celui qui est propriétaire et celui qui ne l'est pas. D'ailleurs, on parle beaucoup des retraites par capitalisation, faire une vraie politique de logement en France qui permettrait à chacun de devenir propriétaire de son logement dès qu'il rentre à la retraite permettrait de servir un grand nombre des besoins de retraite. Ce serait une retraite par capitalisation en nature qui est un service rendu par son logement. En cas de crise économique, la valeur d'usage du logement reste invariable.

Comment la problématique de la dépendance modifie-t-elle la donne ?

On commence à voir les générations de babyboomers qui sont à la retraite depuis plus de dix ans. Il y en a d'autres qui vont arriver et on commence à voir les premiers babyboomers qui approchent des 70 ans et surtout 75 ans, qui est l'âge fatidique parce que c'est là que les taux de dépendance commencent à croître de manière exponentielle. Donc, ils se posent la question du financement individuel et collectif. A titre personnel, il s'agit de savoir comment je vais pourvoir à ces besoins qui vont apparaître et qui me permettront de continuer à vivre à peu près normalement et le plus longtemps possible. Certains disent que la retraite ne serait pas suffisante pour payer leur dépendance à partir d'un certain âge, qui les obligeraient à puiser dans leur patrimoine ou à être dépendants de leurs enfants. Il y a quand même l'allocation perte d'autonomie qui existe (Apa). Pour les retraités pauvres, c'est une grande partie des dépenses d'autonomie. Ensuite, se pose la question du financement collectif. Il y a beaucoup de gens qui atteignent les 75 ans, que l'on considérait comme pauvre et à qui ont accordait une pension plus élevée des dépenses de dépendances via l'Apa ; On se demande s'il n'y aura pas une limite plus forte de financement collectif dans le futur sachant qu'il n'y a pas d'engagement du soutien de la dépendance.

La situation des retraités est-elle globalement amenée à se détériorer dans les années qui viennent ?

Il y a quand même des réformes qui sont plus vigilantes en terme de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Pour les générations à venir, il y a un allongement des durées d'activité, mais malgré ça les régimes de retraites ont du mal à s'équilibrer et il faudra surement encore des réformes. En France, le gros problème des retraites c'est que, le COR réalise ses prévisions sur les scenarios extrêmement optimistes à terme dans cinq ans puisqu'on prévoit 4,5 % de chômage et 1,5 % de croissance de la productivité à long terme. Cela aide un petit peu à avoir une vision positive de l'avenir, mais si en moyenne on atteint pas ces niveaux-là, les réformes passées seront largement insuffisantes. Il y a sûrement un peu de pédagogie à faire sur les systèmes de retraite. Il ne faut pas non plus qu'ils soient des lieux de promesses intenables et il faut que les gens puissent anticiper l'avenir et non prévoir des retraites qui ne seraient pas aussi élévées que cela a été dans le passé et donc recourir à un peu plus d'épargne éventuellement.

Propos recueillis par Arnaud Boisteau

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