Qui de la France ou de ses immigrés porte le plus de responsabilité dans les échecs de l’intégration ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La posture différentialiste de certains musulmans va à l'encontre de la notion d'intégration.
La posture différentialiste de certains musulmans va à l'encontre de la notion d'intégration.
©Bertrand Guay / AFP

Charge de la preuve

La France est l'un des pays européens ayant accueilli le plus d'immigrés, mais elle est pourtant parfois jugée responsable de l'échec de l'intégration de certaines populations. Un discours accusatoire qui ne correspond pas à la réalité.

Pierre Conesa

Pierre Conesa

Pierre Conesa est agrégé d’Histoire, énarque. Il a longtemps été haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de nombreux articles dans le Monde diplomatique et de livres.

Parmi ses ouvrages publiés récemment, Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016, Le lobby saoudien en France : Comment vendre un pays invendable, Denoël, Vendre la guerre : Le complexe militaro-intellectuel, Editions de l'Aube, 2022.

 

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Atlantico : Pourquoi l'intégration ne marche-t-elle plus en France ? Dans votre dernier ouvrage "L'Etat des lieux du salafisme en France" (Editions de l’Aube, 2023), vous dites que ceux qui font peser la responsabilité de l'échec de l'intégration de certaines populations avant toute chose sur le système français et non les principaux intéressés se trompent. Il est temps d'inverser la charge de la preuve. Qu'est-ce que vous voulez dire ?

Pierre Conesa : Depuis longtemps, je rappelle que la France est le pays qui a accueilli la plus grosse communauté juive, les plus grosses communautés arménienne, chinoise, vietnamienne, sub-saharienne et évidemment la plus grosse communauté musulmane de l’ensemble des pays européens. Or, le refus d’intégration ne concerne qu’une partie de la communauté musulmane et aucune autre. Deux conclusions s’imposent 

-ce n’est donc pas l’intégration qui ne marche pas, c’est la posture différentialiste de certains musulmans inspirés par les Frères musulmans ou le salafisme (dont je rappelle qu’il a largement été diffusé par l’Arabie saoudite) qui pose problème. C’est ce séparatisme musulman qui se multiple et diversifie qui est le terreau du discours victimaire qui légitime le terrorisme. J’ai voulu faire le recensement de ces postures séparatistes qui se multiplient : 1547 cas de comportements séparatistes en 2 ans ; 627 cas de contestation religieuse dans l’école républicaine, 58 attentats déjoués depuis 2015… Le dernier exemple est le cas d’une professeure de français du collège Jacques-Cartier à Issou (Yvelines)  qui a présenté en classe une œuvre de Giuseppe Cesari du XVIIe siècle, dans laquelle figurent cinq femmes nues. Certains collégiens n’ont pas hésité à accuser l’enseignante de propos racistes et d’avoir tenté de provoquer des élèves musulmans. 

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-Deuxième remarque : la majorité des Français de culture musulmane qui ont trouvé leur place dans la société française se trouve interpellée à chaque attentat et finalement alors que ces gens s’estiment Français, ils se voient renvoyés à un radicalisme qui n’est pas le leur.

Le problème est maintenant posé en d’autres termes avec des jeunes de 3° génération qui rejettent l’assimilation (parfois en commettant des actes violents) ou en ralliant Daesh. Le ralliement à l’utopie Daesh est d’autant plus intéressante qu’aucun de ces candidats au départ n’a choisi d’aller en Arabie saoudite (qui leur refuse l’entrée) ou en Afghanistan.  Le terrorisme islamique tue aujourd’hui 80 % de musulmans : la guerre est déclarée entre sunnites et chiites au Pakistan, en Afghanistan, en Syrie, en Irak, au Yémen, à Bahreïn et même au Nigéria. Les Occidentaux doivent-ils s’en mêler ? Je ne le crois pas

Enfin, troisième évolution dramatique : les assassinats d’enseignants en France ont été le fait d’un Tchétchène (Anzorov) et d’un Ingouche (Mogouchkov) entrés en France par le droit d’asile, dont les enfants ont été scolarisés dans l’école républicaine et qui se sont donc radicalisés dans leur famille. Je rappelle que le père Anzorov a félicité son fils et toute la famille est rentrée en Tchétchénie. Pourquoi était-elle en France ? Pire ! La famille Mogoushkov devait être expulsée et des ONG s’y sont opposés et ont eu gain de cause, laissant sur le territoire le futur assassin du professeur Dominique Bernard : aucune de ces associations ne s’est excusée.

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Si vous incluez dans les valeurs occidentales, l’hubris guerrière qui s’est manifestée depuis la guerre du Golfe par des interventions miliaires la plupart du temps sans enjeu stratégique, les « valeurs occidentales » sont pour le moins ambigües. « Personne n’aime les missionnaires armées », disait en son temps Saint Just. Après le 11 septembre, les néo-conservateurs et les néo-évangéliques américains (c’est à dire les « salafistes » du protestantisme américain) ont poussé à une guerre contre l’Afghanistan puis contre l’Irak au prix d’un mensonge éhonté devant l’Assemblée générale de l’ONU. Oui on peut dire que certaines valeurs impérialistes occidentales ne sont pas comprises par le reste de la planète mais aussi par une partie de la communauté française musulmane.

 Les valeurs occidentales sont comprises pour l’essentiel des immigrés, pas par ceux qui imaginent une contre-société. L’originalité de l’Islam actuel est que ces pratiquants les plus radicaux migrent dans les démocraties pour y expliquer combien le style de vie musulmane est supérieur. Il faut je crois réviser les critères du droit d’asile : un individu persécuté dans son pays n’est pas obligatoirement un démocrate. Je rappelle que pendant les années sombres de la guerre civile en Algérie, la France a accueilli des militants des Groupes Islamiques Armés (les plus violents des insurgés) et a refusé de les expulser vers leur pays, ce que l’Algérie ne manque pas de rappeler aujourd’hui

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La question des diasporas se pose en termes différents selon la culture du pays de départ et les causes de leur migration : s’il s’agit de massacres et d’expulsions forcées (juifs, Arméniens...) l’identité meurtrie reste un élément identitaire et la diaspora intégrée cherche à peser par des moyens légaux sur la politique étrangère du pays d’accueil. Il faut remarquer que des membres de certaines diasporas continuent à pratiquer un radicalisme plus marqué que celui du pays lui-même. Par exemple la diaspora arménienne dans le conflit avec l’Azerbaïdjan, alors que ce pays n’a aucune responsabilité dans le génocide de 1915, pas plus que les Palestiniens dans la Shoah.

Quand la migration est une séquelle coloniale marquée parfois par un conflit long et meurtrier (Algérie, Vietnam, Afrique portugaise…), les postures peuvent s’avérer très différentes : aucune revendication de la diaspora vietnamienne, à l’opposé d’une partie de la diaspora algérienne par exemple. Souvent parce que le régime de l’indépendance est resté autoritaire et continue à se légitimer par l’accusation de l’ancienne puissance coloniale (même 60 ans après la fin du conflit pour le cas de l’Algérie). Cela dit la double identité ne pose pas problème. Le cas turc est assez nouveau puisque c’est la volonté du pays d’origine qui veut contrôler et instrumentaliser sa diaspora. 

« L'assimilation des étrangers est un crime contre l'humanité », disait Erdogan en 2008 en Allemagne. En renonçant à l'assimilation, l'Europe a-t-elle fait une erreur ?

L’Europe n’a jamais « renoncé » à l’assimilation. Bien au contraire, la double identité est largement acceptée par exemple avec le droit du sol ; et la binationalité l’est en France. Ce n‘est pas le cas dans d’autres pays européens.  Donc il n’est pas possible de parler d’identité européenne en la matière ! Le propos d’Erdogan est typique du populiste qui tranche par des affirmations plus que par des analyses. Il devrait se demander pourquoi la Turquie continue à alimenter les flux migratoires en Europe. 

Pierre Conesa vient de publier L'Etat des lieux du salafisme en France aux Editions de l’Aube

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