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Quelle est la part de Français prêts à casser la baraque à grands coups de réformes et celle de ceux prêts à mettre le feu pour tout bloquer ?
©Reuters / Gonzalo Fuentes

Ça travaille

L'institut Odoxa publiait ce mercredi 25 mai un sondage révélant que 56% des Français critiquaient davantage le gouvernement que la CGT dans le cadre des récentes tensions et mobilisation sociale. Un chiffre qui traduit clairement la rupture entre deux France différentes mais voisines : l'une réformiste, l'autre radicale.

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan est directeur d'études à l'Institut BVA.

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Atlantico : D'après un sondage Odoxa, 56% des Français considèrent que "l'inconséquence du gouvernement" est la principale cause des mouvements sociaux actuels, contre 44% qui pointent "l'irresponsabilité des syndicats radicaux". Que nous apprennent ces résultats du rapport du force existant entre les Français qui souhaitent voir le pays se réformer et ceux qui souhaitent le statu quo ?

Erwan Lestrohan : L'opposition entre des Français plutôt réformistes et des Français moins prêts à la réforme est une situation assez stable en France, et ce depuis plusieurs années déjà. En ce moment, tout l'intérêt relève des différences de profil qu'il est possible de souligner. En effet, cette opposition dans le cadre de la loi el Khomri s'ancre autour des inactifs, des plus âgés et des Français au revenu le plus élevé d'une part ; et d'autre part des ouvriers, des employés, des moins de 35 ans, des bas revenus (entre autres) qui plaident pour un retour du gouvernement sur la loi. En un sens, ces derniers correspondent aux plus fragiles sur le marché du travail et de l'emploi. Ce conflit social porte justement sur la sécurité de l'emploi et génère une opposition entre les plus précaires en matière d'emploi et ceux qui ont leur carrière professionnelle derrière eux.

Au-delà des simples profils sociologiques sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir ensuite, il est difficile de ne pas constater une montée de la radicalité amorcée il y a déjà plusieurs années. Celle-ci concerne notamment deux aspects : identitaire et européenne. Face à la mondialisation, cette radicalisation se polarise sur les deux extrêmes tant à droite qu'à gauche. Face au poids de l'Union européenne dans le contexte national, en revanche, se retrouve surtout à l'extrême-droite et chez Nicolas Dupont-Aignan. A l'inverse, les plus "réformistes" sur ces thématiques se retrouvent généralement sur l'axe de la social-démocratie de François Hollande au parti politique Les Républicains.

Quant à savoir qui des réformistes ou des conservateurs ont le plus de poids dans l'opinion, il va de soi que c'est susceptible de varier selon les questions et les thématiques abordées. Néanmoins, il est possible de constater que depuis deux semaines, les débordements qui ont eu lieu lors des différentes mobilisations contestataires opposées à la loi Travail ont légèrement effrité le soutien populaire dont bénéficiait le mouvement. Ces éléments de contexte social sont tout à fait capables de minorer ou de majorer une opinion populaire à plus d'un égard. Dans les faits aujourd'hui, ces tensions sociales tendent à recentrer l'intérêt des Français pour des personnalités plus consensuelles, moins clivantes ou contestataires. François Bayrou et Alain Juppé ont tous deux vu leurs intentions de vote grimper depuis un mois. 

Dans la mesure où il s'agit d'identifier des sorties de crise dans un contexte économique plus que morose, les Français sont évidemment tentés par la réforme. Le chômage et le pouvoir d'achat font aujourd'hui figure de priorité principale aux yeux de la population française et il apparaît clair que la possibilité d'un progrès économique sur ces questions engendre un intérêt grandissant de la population, suffisant pour motiver une transgression des valeurs et des acquis sociaux. Pour autant, et c'est là que se fait tout le paradoxe, dès que les réformes sont susceptibles de toucher leurs propres acquis ou leurs situations personnelles, on assiste à une tendance à la radicalisation et une certaine volonté de maintien de ce statu quo. On le constate clairement avec la loi Travail, qui touche aux situations d'une importante partie de la population. Cela engendre une levée de bouclier chez les Français. Les Français sont réformistes, sous réserve que la réforme ne s'accompagne pas d'une dégradation de leurs acquis. En un sens, ils sont réformistes pour les autres.

>>>> A lire aussi : 72% des Français pensent que la France pourrait connaître une explosion sociale dans les prochains mois

Au regard des différents programmes présentés jusqu'alors par les candidats à la primaire des Républicains et du profil sociologique des Français qui soutiennent aujourd'hui la loi El Khomri, quel portrait peut-on dresser des Français qui aspirent à "des réformes profondes" ? A l'inverse, quel est le portrait-type des Français qui penchent pour le statu quo ?

Nous avons déjà commencé à esquisser les portraits qu'il est possible d'établir tant pour les Français les plus réformistes que pour ceux qui militent en faveur du maintien d'un statu quo. S'il fallait s'intéresser à ces derniers, il est important de souligner que 68% des Français ont déclaré le 15 mai leur souhait de voir le gouvernement revenir sur la loi Travail. Parmi ceux qui rejettent la loi El Khomri, on retrouve clairement une sur-représentation d'employés, d'ouvriers, de jeunes de moins de 35 ans, d'individus dont le niveau d'étude est inférieur au baccalauréat mais aussi des Français vivant dans des foyers à bas-revenu. En deux mots, il s'agit très vraisemblablement des Français les plus vulnérables et les plus touchés par cette loi, mais aussi d'autres éventuelles réformes relatives à la sécurité du travail et de l'emploi.

A l'inverse, les Français qui soutiennent le projet de réforme du code du Travail tel que porté par Myriam El Khomri correspondent généralement à des profils autrement plus stables : il s'agit la plupart du temps de retraités, d'individus âgés de plus de 50 ans, mais également de ceux habitants dans les foyers à plus hauts revenus. Ces gens-là se montrent nettement plus favorables à ce que la loi Travail soit définitivement adoptée. In fine, l'opposition se fait entre les plus fragiles et les mieux installés, ce qui est assez logique. Les plus menacés, potentiellement, par cette loi y sont naturellement les plus hostiles.

Il est également intéressant de noter que parmi les Français les plus réformistes, on rencontre deux logiques. D'une part, des Français tentés par les réformes améliorant la situation des citoyens, et de l'autre ceux qui sont attirés par les réformes en faveur des entreprises. Certaines mesures, malgré cette rupture, font pourtant consensus. L'allègement des charges des entreprises par exemple, quand il est pensé pour lutter contre le chômage et qu'il y trouve ainsi sa justification, reste une mesure pro-entreprise. Il n'en est pas moins plébiscité par une écrasante majorité de la population (environ 75%). Parler, en revanche, de faciliter les licenciements, c'est le plus souvent se mettre les Français à dos. A l'inverse, le travail dominical est un exemple spécifique : environ 65% des Français s'y disent favorables, mais ils ne sont que 41% à se dire prêts à le faire.

Quelles sont les évolutions de ces deux blocs ? Que laisse présager ce clivage de la structure de l'opinion à l'approche de la prochaine présidentielle ? 

C'est une question à laquelle il est très difficile de répondre. Il est effectivement possible de résumer les choses en soulignant l'opposition entre la France réformiste et la France du statu quo et des acquis. Pour autant, ce serait oublier qu'il y a aussi la question de l’alternance. Il est possible que parmi les individus votant à droite, certains d'entre eux soient plus conservateurs que réformistes. Cependant, l'élément structurant à droite consiste en une libéralisation du marché de l'emploi. La question du changement de majorité (PS vers Les Républicains) pourrait faire accepter la nécessité de certaines réformes en dépit d'un côté plus radical chez ces mêmes électeurs. En d'autres termes, dans l'hypothèse où Alain Juppé (par exemple) était élu, il serait attendu de lui qu'il prenne des mesures fortes et libérales pour incarner cette alternance.

Lors de la précédente élection présidentielle en 2012, François Hollande avait fait campagne sur le thème du changement. Cela illustre clairement que c'est quelque chose qui fait écho chez les gens. En 2017, il semble évident que les Français demeurent assez craintifs à l'égard des tensions sociales en cours. Ils ont tendance à se raccrocher à des personnalités qui font l'union et qui rassemblent.

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