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Le ministère français de l'Economie et des Finances.
Le ministère français de l'Economie et des Finances.
©BERTRAND GUAY / AFP

Opacité

Le montant total atteint par ce qu’on appelle les dépenses fiscales atteint pourtant 99 milliards d’euros en France. Mais le niveau de contrôle de ces dépenses est bien plus léger que celui des dépenses directes de l’Etat.

Agustin Redonda

Agustin Redonda

Agustin Redonda est Senior Fellow au Council on Economic Policies (CEP), un think tank international de politique économique pour la durabilité, où il dirige le programme de politique fiscale. Auparavant, il a été assistant de recherche et d'enseignement au département d'économie (IdEP) de l'Université de Lugano (USI). Il a également travaillé avec l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que pour le Plan national de réduction de l'activité informelle (PNRT) au ministère du travail, de l'emploi et de la sécurité sociale (MTSS) en Argentine. 

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Atlantico : Vous avez publié un article dans VoxEU (en anglais) intitulé "Dépenses fiscales : La face cachée des dépenses publiques". À l'heure où les gouvernements ont plus que jamais besoin de fonds pour faire face à la pandémie, les dépenses fiscales sont-elles laissées pour compte dans le contrôle des dépenses publiques ?

Agustin Redonda : En effet, le manque de transparence dans le domaine des dépenses fiscales a toujours été frappant. À quelques exceptions près, le niveau de transparence et de responsabilité (par exemple, par rapport aux dépenses directes) est très faible. La base de données mondiale sur les dépenses fiscales (www.GTEd.net) - une initiative conjointe du Council on Economic Policies (CEP) et de l'Institut allemand de développement (DIE) - rassemble toutes les informations officielles et publiques sur les dépenses fiscales publiées par les gouvernements du monde entier depuis 1990, et montre que 97 des 218 juridictions ne déclarent pas du tout les recettes perdues à cause des dépenses fiscales. En outre, la qualité et la portée des informations fournies par les pays qui font état de leurs dépenses fiscales sont très hétérogènes et, dans certains cas, très médiocres. Pour vous donner un exemple concret, près de 70 % des plus de 20 000 dispositions relatives aux dépenses fiscales pour lesquelles nous disposons de données ne combinent pas les estimations des pertes de recettes avec des informations sur l'objectif politique que la mesure est censée servir. Il est donc impossible de réaliser des analyses coûts-avantages ou des évaluations d'impact, qui sont essentielles pour concevoir des politiques publiques fondées sur des preuves. Sur un plan plus positif, permettez-moi de dire que nous observons une tendance à la hausse du nombre total de gouvernements qui présentent des rapports. Alors qu'au début des années 1990, seuls quelques pays riches publiaient des rapports sur les dépenses fiscales, au cours de la dernière décennie, les chiffres ont culminé à 85 en 2017 et nous savons que certains pays travaillent actuellement d'arrache-pied pour publier un rapport sur les dépenses fiscales pour la première fois. Comme vous l'avez dit, il est crucial d'examiner de plus près l'argent des contribuables (y compris celui qui est dépensé par le biais du système fiscal) en général, mais encore plus maintenant, alors que les gouvernements sont confrontés à des contraintes budgétaires importantes du fait de leur lutte contre la tempête COVID-19. 

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Dans quelle mesure pouvons-nous estimer le poids de ces dépenses fiscales ?

Le manque de transparence est non seulement frappant d'un point de vue moral, mais aussi parce que les dépenses fiscales sont importantes. Aux États-Unis, elles réduisent les recettes du gouvernement fédéral de près de 1,5 trillion de dollars par an... soit près de 7 % du PIB et environ un tiers des dépenses fédérales directes. Le coût fiscal des dépenses fiscales peut atteindre plus de 13 pour cent du PIB dans certains pays. En moyenne, sur l'ensemble de la période couverte par le GTED (1990-2020), les dépenses fiscales représentent 3,8 % du PIB et 24,2 % des recettes fiscales.

Bien qu'impressionnants, ces chiffres risquent fort de sous-estimer l'ampleur réelle du coût des dépenses fiscales en raison de la mauvaise qualité des données évoquée précédemment. Par exemple, plus d'un quart du total des dispositions relatives aux dépenses fiscales sont déclarées sans qu'une estimation du manque à gagner soit jointe, ce qui rend impossible la quantification de leur impact sur les finances publiques. Avec un tel niveau d'opacité, il est très difficile d'estimer l'impact réel des dépenses fiscales dans le monde, mais nous sommes certains que les chiffres du GTED seraient beaucoup plus importants si les pays divulguaient les pertes de recettes réelles dues à la mise en œuvre des dépenses fiscales.

Maintenant, ces chiffres n'impliquent pas nécessairement une perte nette de recettes publiques dans chaque cas. Certaines dispositions de dépenses fiscales peuvent avoir un impact positif sur l'investissement et la croissance, ou remplacer des dépenses sociales et d'aide sociale directes qui auraient eu lieu de toute façon. Pourtant, les données disponibles nous incitent à être sceptiques quant à l'efficience et à l'efficacité de nombreuses dépenses fiscales. Par exemple, selon la Banque mondiale, les ratios de redondance des incitations fiscales à l'investissement dans les économies en développement peuvent atteindre 90 %... ce qui signifie que 90 % des projets qui ont bénéficié d'une incitation fiscale auraient été réalisés même sans cette incitation.

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Quelles sont les pistes à explorer pour accroître la transparence dans ce domaine ?

Tout d'abord, le GTED permet déjà d'accroître la transparence, notamment en ce qui concerne la mesure dans laquelle les gouvernements rendent compte - ou ne rendent pas compte - des dépenses fiscales qu'ils utilisent. Comme l'a mentionné Alex Klemm (FMI) lors de l'événement de lancement, ces informations peuvent être utilisées pour encourager les pays qui ne font pas de rapport, ou ceux qui ne font que des rapports limités, à suivre l'exemple des pays qui ont de meilleures performances.

Deuxièmement, les informations fournies par la GTED peuvent, et doivent, être utilisées par la société civile pour pousser leurs gouvernements à établir des rapports réguliers et complets sur les dépenses fiscales. Les données du GTED sont entièrement ouvertes au public. Les données de chaque pays peuvent être téléchargées et utilisées pour alimenter le débat public. 

Troisièmement, les pays pauvres mettent souvent en avant le manque de données et/ou de ressources comme l'une des principales contraintes dans le fait d'accroître la transparence dans le domaine des dépenses fiscales. L'estimation et la communication du coût fiscal des dépenses fiscales peuvent en effet être un exercice exigeant en temps et en ressources. L'assistance technique et le soutien financier des organisations internationales et des pays donateurs d'aide au développement pourraient apporter une contribution substantielle à l'amélioration de la transparence dans les pays à faible revenu. 

Quatrièmement, CEP et DIE prévoient de pousser le projet GTED un peu plus loin en créant un indice mondial de transparence des dépenses fiscales (GTETI), qui permettra de classer les pays en fonction de la qualité de leurs rapports. Le GTETI sera basé sur une série d'indicateurs faciles à comprendre (comme, par exemple, la régularité des rapports) et il créera une publicité supplémentaire, encourageant ainsi les pays à être plus transparents sur ce sujet.

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