Quel bilan tirer de l’engagement militaire de la France en Afghanistan ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats de l'armée française déployés en Afghanistan.
Des soldats de l'armée française déployés en Afghanistan.
©THIBAULD MALTERRE / AFP

Bonnes feuilles

Michel Goya publie « Le temps des guépards : la guerre mondiale de la France de 1961 à nos jours » aux éditions Tallandier. Depuis 1961, la France a mené 19 guerres sur 3 continents ainsi que 13 grandes opérations militaires de police internationale. Elle est actuellement la seule nation européenne à combattre, au Sahel et au Proche-Orient. Elle est la seule à avoir des soldats en permanence dans les rues de ses grandes villes depuis 26 ans. Les soldats français sont les plus engagés au monde. Extrait 1/2.

Michel Goya

Michel Goya

Officier des troupes de marine et docteur en histoire contemporaine, Michel Goya, en parallèle de sa carrière opérationnelle, a enseigné l’innovation militaire à Sciences-Po et à l’École pratique des hautes études. Très visible dans les cercles militaires et désormais dans les médias, il est notamment l’auteur de Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, Les Vainqueurs et, chez Perrin, S’adapter pour vaincre (tempus, 2023).

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Comme toutes les opérations coalisées depuis la fin de la guerre froide, l’objectif stratégique de la France en Afghanistan était d’abord d’« en être » tout en sachant qu’on ne serait qu’un acteur modeste et que l’on serait ballottés par les errances de la politique américaine, l’« actionnaire principal » et véritable directeur de la coalition. Jusqu’à présent, cela se terminait plutôt bien.

Cette fois, les choses ne se sont pas passées comme prévu, ce qui a rapidement obligé la France à faire un choix  : participer superficiellement, se retirer ou s’engager complètement au combat. Après avoir pratiqué sous Jacques Chirac la première option et avoir été tenté par la seconde, Nicolas Sarkozy a finalement choisi la troisième en 2008 en décidant de l’engagement dans une province, la Kapisa, que l’on savait tenue en partie par des organisations hostiles. C’était un choix courageux, mais qui souffrait de plusieurs faiblesses. Tout d’abord, c’étaient bien toujours les Alliés qui étaient le public visé, à tel point que l’on a oublié de préciser au peuple français que l’on était en train d’entrer véritablement en guerre. Peut-être avait-on oublié aussi ce que cela signifiait concrètement ou sous-estimé les efforts et les peines que cela engendrerait. Le soutien de l’opinion à cet engagement qui n’avait pas été expliqué était donc fragile. Il pouvait s’effriter assez facilement et, dans un système où cet engagement était plus que jamais lié au président de la République, entamer aussi le crédit de celui-ci. L’opinion publique française est donc rapidement devenue le public prioritaire.

En somme, l’ennemi a été la dernière préoccupation de cette guerre, ce qui ne contribue pas vraiment à la gagner. Si les armées ont déployé des trésors d’énergie et d’inventivité pour bien préparer les unités qui partaient en Afghanistan, c’est au niveau politique que les choses ont péché. Outre que l’on continue à s’engager alors que l’on ne s’est dégagés de rien par ailleurs – une insulte récurrente aux principes de Foch d’économie des forces et de concentration des efforts –, l’entrée en guerre en Kapisa-Surobi est peut-être la première de notre histoire récente à s’effectuer alors que l’on mène simultanément une réforme interne qui taille dans les effectifs, perturbe l’organisation des forces et réduit les moyens.

Surtout, en ayant l’œil sur les sondages d’opinion plutôt que sur les bilans militaires, l’échelon politique s’est immiscé comme rarement sous la Ve République dans la conduite des opérations, et ce jusqu’à l’absurde. Les états-majors ont dépensé une grande énergie à respecter à l’individu près la barre des 4 000  soldats sur l’ensemble du théâtre imposée par le président de la République. Quand « déployer X  soldats » est l’objectif premier, il est forcément plus difficile d’en atteindre d’autres. Plus grave, nos ennemis ont rapidement compris qu’il suffisait de tuer nos soldats, si possible plusieurs à la fois, ou de capturer des journalistes, pour obtenir une rétractation de l’action engagée à son encontre, jusqu’à la paralysie, puis un retrait plus rapide que prévu.

Au bilan, on a fait la guerre avec beaucoup de contraintes et peu de moyens. En concentrant les efforts – achats en urgence opérationnelle, structure d’entraînement et de formation, etc. – au détriment souvent du reste des forces, on est parvenus à déployer et soutenir en permanence deux GTIA et un petit groupe aéromobile. Preuve de la fonte des armées, cela représentait quand même environ 10 % de nos unités de combat, pour essayer de sécuriser une zone qui représentait seulement 2 % de la population afghane.

Dans l’absolu face à des groupes armés qui représentaient au maximum un millier de combattants légers, cela aurait pu suffire, d’autant que l’on agissait avec des forces de sécurité afghanes supérieures en volume aux nôtres. Cela aurait suffi effectivement et même largement s’il s’était agi de combattre des bandes identifiables tenant des positions. On aurait alors pu profiter de l’excellent niveau tactique des GTIA et de la combinaison « choc et feux » pour disloquer l’ennemi, ce que l’on avait au Tchad avec les opérations Limousin et Tacaud et ce que l’on fera au Mali un peu plus tard avec l’opération Serval. Mais l’ennemi était imbriqué dans la population, qui était aussi largement « sa » population, et il maîtrisait parfaitement les principes de la furtivité dans ce milieu dense.

Face à ce défi, on a beaucoup tâtonné et expérimenté, en oscillant toujours entre la recherche de la conciliation de la population et celle de la destruction des forces rebelles, deux approches pas forcément compatibles et dont on s’est aperçus surtout qu’elles étaient toutes deux assez vaines. S’attacher la population en lui fournissant de l’aide n’excluait pas pour autant que celle-ci reste fidèle aussi, par crainte, adhésion ou loyauté, à ceux des siens qui portaient les armes contre nous. Cela n’empêchait pas non plus cette même population d’accepter tout ce qu’on lui offrait tout en détestant la présence d’étrangers. Quant à combattre, cela pouvait réussir à condition d’exercer une pression suffisante pour empêcher l’ennemi de développer son capital de compétences et de renouveler ses effectifs combattants ou son armement. Cela supposait un engagement et une prise beaucoup plus forts et donc aussi des pertes, incompatibles avec la faible résilience politique. Dans tous les cas, cette pression ne pouvait durer indéfiniment. Dans les campagnes de contre-insurrection, tenir le terrain sur la longue durée ne peut être le fait que de forces locales, efficaces et légitimes, adossées à une administration et à un État présentant les mêmes qualités. C’est possible, mais c’est difficile à réaliser et souvent très long. Tout ce que pouvaient faire les Français était alors de contenir l’ennemi, de lui disputer le terrain au moindre coût en attendant une relève sur laquelle on avait finalement peu de prise, puisque ce n’était pas nous qui soldions de la main à la main les soldats et policiers locaux, contrôlions leur recrutement et leur comportement, et les conduisions sur le terrain.

Finalement, on s’est repliés en déclarant que les troupes afghanes et un petit contingent américain pouvaient reprendre effectivement le combat à leur compte, alors même que l’emprise de l’ennemi était exactement la même en 2012 qu’en 2008.

La guerre a continué en 2015 avec l’opération Soutien résolu à laquelle la France a choisi cette fois de ne pas s’associer. Soutien résolu est, avec une très large prédominance américaine, une opération internationale de type assistance technique, soutien logistique et financier et d’appui, avec des raids de forces spéciales et des frappes aériennes, à l’État afghan et son armée. Elle ressemble alors largement à ce qui se fait au même moment en Irak contre l’État islamique.

L’engagement humain est limité – une dizaine de milliers de soldats de la Coalition  –, mais l’engagement financier se chiffre en milliards de dollars, l’État afghan étant incapable de payer les 350 000 hommes des forces de sécurité. Mais cela se passe moins bien qu’en Irak, les Taliban et leurs alliés, soutenus principalement par le Pakistan, étant nettement plus forts et plus implantés que l’État islamique, alors qu’inversement l’État afghan est encore plus faible et corrompu que celui de Bagdad.

Au bout du compte, comme toujours dans ce type d’opération, Soutien résolu a consisté à soutenir, à coups de plusieurs dizaines de milliards de dollars par an, les murs en bois d’un village Potemkine jusqu’à ce que les États-Unis décident de ne plus le faire. En s’accordant avec le Pakistan et les Taliban à Doha en février 2020, et en acceptant de retirer leurs forces, les Américains ont condamné le village à s’effondrer.

Extrait du livre de Michel Goya, « Le temps des guépards : la guerre mondiale de la France de 1961 à nos jours », publié aux éditions Tallandier.

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