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Des gendarmes portent le cercueil de la gendarme Mélanie Lemee, décédée après avoir été heurtée par une voiture, lors d'une cérémonie d'hommage au quartier général de la gendarmerie de Mérignac, le 9 juillet 2020.
Des gendarmes portent le cercueil de la gendarme Mélanie Lemee, décédée après avoir été heurtée par une voiture, lors d'une cérémonie d'hommage au quartier général de la gendarmerie de Mérignac, le 9 juillet 2020.
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Justice

Cette semaine, l’homme responsable de la mort en 2020 de la gendarme Mélanie Lemée lors d’un refus d’obtempérer a été remis en liberté sous bracelet électronique.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : L’homme responsable de la mort en 2020 de la gendarme Mélanie Lemée lors d’un refus d’obtempérer a été remis en liberté sous bracelet électronique, alors qu’il était en détention provisoire suite à une décision prise par la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Agen. Que risque vraiment un tueur de policier ou de gendarme en France ? 

Gérald Pandelon : Exception faite de la dramatique affaire Mélanie Lemée survenue au cours de l'année 2020, qui relève davantage d'un problème procédural ayant conduit à une remise en liberté de l'auteur des faits que du droit substantiel, il convient de souligner qu'un individu se rendant coupable d'un homicide volontaire voire, si la préméditation est retenue, d'un assassinat de policier ou gendarme est dans notre code pénal très lourdement sanctionné. En revanche, lorsque placé en légitime défense un policier riposte à une agression, qu'il s'agisse d'un délit ou d'un crime, j'ai pu observer dans ma pratique professionnelle que les magistrats du parquet étaient, toutes choses égales par ailleurs, bien souvent plus sévères et intransigeants avec le policier qu'avec le délinquant. Je vous donne deux exemples concrets. Le premier concerne un fonctionnaire de police d'une brigade anti-criminalité (BAC) dont j'assurais la défense. Cet agent interpela nuitamment un voyou multirécidiviste dans un contexte où aucune violence ne fut exercée par ce fonctionnaire de police alors que cet agent essuyait divers coups de poings et crachats émanant dudit individu. C'est ainsi que, dans un second temps, ce représentant de la BAC décida de se défendre en procédant au menottage du forcené ; puis, le fonctionnaire se présenta à son commissariat pour exhiber les traces de coups subis tout comme des preuves de crachats dont les marques étaient encore visibles sur sa tenue. Que pensez-vous que le procureur décida en pareilles circonstances ?  D'un défèrement en comparution immédiate de l'auteur de ces violences ? Et bien non, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, le représentant du ministère public ordonna que le fonctionnaire de police soit immédiatement placé en garde à vue du chef de coups et blessures volontaires, à la suite de quoi il lui fut délivré une convocation au tribunal par officier de police judiciaire (COPJ). A l'audience, alors que le ministère public avait requis une sévère condamnation à l'encontre de mon client, j'obtins toutefois la relaxe de ce policier en plaidant la légitime défense. Ce fonctionnaire de police irréprochable considérait donc que son cauchemar était fini... c'était sans compter sur l'appel formé par le parquet de la décision de relaxe ! Autre exemple : je suis l'avocat d'un fonctionnaire de police mis en examen pour homicide volontaire. Les faits témoignent pourtant d'une légitime défense évidente. En effet, c'est de façon parfaitement simultanée que le voyou et le policier avaient dans cette affaire braqués leurs armes en même temps en leur direction respective, à la seconde près, sans qu'il soit possible de déterminer qui avait réellement tiré en premier. Et bien le parquet, avant même d'avoir pris le temps de visionner la vidéo attestant de cette légitime défense, a requis immédiatement la mise en examen de mon client pour homicide volontaire, il frôla même la détention provisoire, je lui obtins un placement sous contrôle judiciaire. Ce qui me gêne dans ces deux affaires c'est que le réflexe des magistrats ne soient pas, a priori, de défendre les fonctionnaires de police mais de vouloir, par idéologie, les mettre sur le même plan que les voyous. En effet, en plusieurs années de carrière, je n'ai jamais rencontré un fonctionnaire de police qui décide en début de journée de "se faire un voyou", l'inverse n'est pourtant pas vrai.

Quelles sont les différences de peines encourues entre les homicides involontaires et les homicides volontaires voire meurtres avec préméditation vis-à-vis de policiers ou de gendarmes ?

Il n'existe dans nos textes aucun laxisme judiciaire, loin s'en faut. L'article 221-1 du code pénal prévoit que : « le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle. » Il s’agit d’un crime, une des plus graves infractions qui existe dans le code pénal. La juridiction compétente est donc la Cour d’assises (seule compétente pour juger les crimes), qui est composée de trois magistrats professionnels et de 6 jurés (citoyens tirés au sort à partir des listes électorales). Le code pénal français étant rédigé suivant, notamment, le principe de la légalité des délits et des peines, une lecture stricte des textes applicables s’impose au juge. Il ne peut pas sanctionner un acte qui n’est pas expressément prévu par la loi et donc, prévu dans le code pénal. Pour chaque infraction prévue dans le code pénal, le législateur doit en définir précisément les contours, c’est-à-dire définir l'élément matériel de l’infraction (matérialité de l’infraction) et l’élément moral (l’intention de la commettre). Le code pénal prévoit également la sanction à appliquer. Pour être constituée, toute infraction nécessite la réunion de deux éléments : un élément matériel et un élément moral. L’élément matériel de l’infraction consiste en un acte positif de nature à causer la mort. Le moyen utilisé importe peu (ex : usage arme, noyade, étranglement…) sauf s’il y a utilisation d’un poison mortel. Dans ce cas de figure, il ne s’agit plus d’un meurtre mais d’un empoisonnement. Il ne peut pas non plus s’agir d’une omission ou d’une imprudence. La qualification pénale changerait (ex : homicide volontaire, défaut d’assistance à personne en danger…). Pour l’infraction d’homicide soit qualifiée, cela impose que la victime soit vivante (ex : pas d’homicide sur un cadavre sauf si l’auteur pensait qu’elle était vivante : il s’agira alors d’une tentative) et née (ex : pas d’homicide sur un fœtus). Il faut également que l’acte commis soit en lien direct avec le décès. À noter que le fait d’intenter à sa propre vie (suicide) n’est pas considéré comme un meurtre. Le meurtre est une infraction intentionnelle, ce qui veut dire que l’acte ayant conduit à la mort de la victime doit être volontaire et ne doit pas avoir été commis par imprudence ou négligence (ex : homicide involontaire). Le but recherché par l’auteur doit être la mort de sa victime. Cette dernière n’a pas à être déterminée et l’erreur sur la victime ne joue pas sur la qualification. Les juges apprécient souverainement cet élément très subjectif. Ils peuvent se fonder sur la zone du corps qui a été atteinte (ex : coup de couteau en plein cœur…), ou considéré le type d’arme utilisé (ex : révolver). L’élément moral ne doit pas être confondu avec le mobile du meurtre. Dans le premier cas, il s’agit de la volonté de tuer (volonté d’accomplir l’acte de mort) alors que dans le second, il correspond aux motivations qui ont conduit l’auteur à vouloir tuer (ex : bénéficier d’une assurance vie). À noter que le consentement de la victime n’exonère pas l’auteur de l’homicide de sa responsabilité (ex : euthanasie). L’article 221-1 du code pénal prévoit que le meurtre est puni de 30 ans de réclusion criminelle. Cette peine peut être alourdie lorsqu’il est commis suivants certaines circonstances.  Une période de sureté pourra assortir la peine de prison ferme prononcée par la juridiction de jugement. Il s’agit de la durée minimum d’une peine privative de liberté pendant laquelle la personne condamnée ne pourra bénéficier d’aucun aménagement de cette dernière (ex : placement à l’extérieure, semi-liberté, libération conditionnelle). Il ne s’agit pas d’une peine en tant que telle mais d’une modalité de l’exécution de celle-ci. L’article 221-4 du code pénal prévoit qu’une période de sûreté peut être prononcée par la Cour d’assises pouvant aller jusqu’à 30 ans lorsque : « (…) la victime est un mineur de quinze ans et que le meurtre est précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, (…) » Il n'existe par conséquent dans les textes aucun laxisme judiciaire. En réalité, tout dépend du parquet car, en pratique, le magistrat instructeur lorsqu'il est saisi par le procureur ne fait que confirmer les réquisitions de son collègue du parquet. C'est ce qu'on appelle, sans ironie, la séparation des organes de poursuite et d'instruction....

Quid de la détention provisoire qui amène souvent à des situations paradoxales comme pour l’homme qui a assassiné Mélanie Lemée, qui se retrouve en liberté sous bracelet électronique ? Faudrait-il accélérer les procédures judiciaires en cas de tentatives d’homicide ou de meurtres des membres des forces de l’ordre ?

Oui, absolument. En effet, si la présomption d’innocence doit demeurer la règle, il est des exemples où ce principe relève de l'absurdité la plus criante. Comment évoquer une quelconque présomption d'innocence lorsqu'un individu est interpelé en flagrant délit ? Lorsque des braqueurs, par exemple, s'enfuient d'une banque après avoir perpétré leur vol avec armes et qu'ils sont immédiatement interpelés par le RAID à la sortie de la banque ? Où se situe alors et encore la question de la présomption d'innocence en pareilles circonstances ? Autrement dit, je considère que l'assassin de Mélanie Lemée aurait effectivement dû être traduit en comparution immédiate non pas devant un juge d'instruction puis un juge des libertés et de la détention mais devant un jury criminel pour y être jugé et sévèrement condamné. La difficulté c'est que cette procédure n'existe pas en France.

Faut-il mener des réformes sur les textes de loi concernant les tentatives d’homicides et les assassinats envers les forces de l’ordre pour durcir la législation et les peines encourues et pour ainsi mieux protéger et défendre les policiers et les gendarmes ?

Oui c'est nécessaire afin que sur un plan symbolique aucune confusion ne soit opérée entre le voyou et le policier.  La notion de défense excusable prônée parM. Eric Zemmour afin de donner à l’ honnête homme le droit de riposter aux voyous va dans le bon sens contrairement à ce que pouvait affirmer Me Julia Courvoisier. Il est, en effet, sain et normal qu'un policier puisse bénéficier d'un a priori plus positif qu'un voyou chevronné. Il est même ambigu de  considérer absurde et dangereuse une telle proposition qui d’ailleurs existe déjà dans les textes lorsque les circonstances le justifient. Tant que les délinquants ne craindront pas les forces de l'ordre, nous aurons en France des émeutes à répétitions et pour des motifs de plus en plus futiles. Alors ce sera l'anarchie généralisée...

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