Quand les propagandistes russes assument ouvertement l’ampleur et l’intensification de leurs opérations de propagande et déstabilisations en Europe <!-- --> | Atlantico.fr
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Margarita Simonyan, chef de la chaîne de télévision publique RT, assiste à une cérémonie de remise des décorations d'État.
Margarita Simonyan, chef de la chaîne de télévision publique RT, assiste à une cérémonie de remise des décorations d'État.
©VALÉRY SHARIFULINE / SPOUTNIK / AFP

Bataille des esprits

Margarita Simonian, la patronne de RT et Sputnik, a confirmé officiellement l'existence d'un immense réseau de propagande russe qui se déploie en Occident à travers les réseaux sociaux et certaines campagnes menées dans les médias.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Philippe De Lara

Philippe De Lara

Philippe De Lara est Maître de conférences à l’université Paris II Panthéon-Assas. Il enseigne la philosophie et la science politique. Collaborateur régulier de Commentaire, chroniqueur au magazine Ukrainski Tyzhden. Ses travaux portent sur l’histoire du totalitarisme et les sorties du totalitarisme. Philippe de Lara a notamment publié : Naissances du totalitarisme (Paris, Cerf, 2011), Exercices d’humanité. Entretiens avec Vincent Descombes (Paris, Pocket Agora, 2020).

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Atlantico : Margarita Simonian, la patronne de RT et Sputnik, a évoqué l'intensification des opérations clandestines russes en France tout en précisant qu’elles n’étaient plus si confidentielles. Elle a expliqué à la télévision russe qu'il y avait un immense réseau de propagande russe qui se déployait en Occident. Pourquoi cette représentante de la de la propagande assume cette stratégie à visage découvert et en toute transparence ? Qu'est-ce que cela nous dit de la propagande russe en France ?

Philippe de Lara :Les activités de déstabilisation de la Russie sont désormais connues par les médias et l’opinion. Les revendiquer et revendiquer leur amplification n’est plus répréhensible du point de vue russe puis l’Occident est désormais officiellement un ennemi. C’est justement une manière de dire « vous devez prendre au sérieux notre déclaration de guerre à l’Occident collectif ».

Viatcheslav Avioutskii : Cela n'est pas quelque chose de nouveau. La propagande russe est traditionnellement puissante en France. Elle s'appuie sur des réseaux politiques à l'extrême gauche et à l'extrême droite. Des relais d'influence existent. Ce qui est nouveau c’est qu’il ne s'agit pas seulement d'influencer ces relais naturels qui existent en France, mais également d'assumer le fait que l'État russe finance cet effort et qu'il s'agisse d'une stratégie délibérée. Le sort de la guerre en Ukraine se joue également dans nos esprits. Les esprits des Occidentaux qui ne sont pas directement impliqués dans la guerre. Mais leur état d'esprit va décider de l'issue de cette guerre au même titre que les combattants ukrainiens qui sont en train de se battre pour leur liberté et la nôtre. 

Emmanuel Macron a annoncé qu’il n’excluait pas l'envoi de soldats sur le terrain en Ukraine. Il s’agit en réalité d'un message que la France essaie d'envoyer à ses partenaires mais aussi à la Russie. L’Estonie et les Pays-Bas ont soutenu l’initiative française, ce qui signifie que la France n'est pas la seule.

Vladimir Poutine s'est adressé à la nation cette semaine. Il a répondu à Emmanuel Macron avec la menace d’une réaction nucléaire. Le chef du Kremlin a tenu à mettre en garde la France et les autres pays européens contre cette intervention.

Emmanuel Macron s’est livré à une escalade verbale avec Vladimir Poutine. Le président français a aussi souhaité adresser un message à l’Allemagne et à Olaf Scholz à travers cette déclaration dont l'attitude à l'égard de l'Ukraine semble être hésitante.

Le fait que la Russie soit engagée dans une opération de propagande n'est pas quelque chose qui est étonnant. Cela aboutit à un découplage entre la Russie et l'Occident. 

Récemment, dans un discours au Bundestag, Olaf Scholz a révélé des informations confidentielles sur la présence de soldats français et britanniques en Ukraine dans le cadre de la formation pour l’utilisation de missiles. Le chancelier allemand a indiqué qu’il était opposé au déploiement de ces moyens militaires en Ukraine et qu’il ne souhaitait pas impliquer de soldats allemands.

Pour retrouver la vidéo : cliquez ICI

Margarita Simonian a confirmé l’existence de réseaux de diffusion de propagande dans certains pays. Quels sont ces réseaux mis en place et de quels moyens disposent-ils ? Est ce qu'il s'agit des moyens du Kremlin ?

Viatcheslav Avioutskii : Ces relais de propagande sont basés essentiellement sur des usines à trolls qui inondent les réseaux sociaux et Internet avec des publications et des fausses informations. L’ancien chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, avait créé un centre de diffusion de fake news à travers une entreprise de communication sur les réseaux sociaux. Cette usine fonctionne toujours, même après la mort de Prigojine. Par le passé, elle a été utilisée pour affaiblir la candidate Hillary Clinton aux États-Unis et pour essayer d'influencer l'issue du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni. La propagande russe a essayé de s'immiscer dans le vote en Catalogne. Cette entreprise a été très nocive et très destructive. 

Un récent rapport a révélé que cette société à la tête d’une ferme à trolls était très engagée dans les provocations incitant à des conflits entre les communautés africaines et européennes en Amérique latine. Ce type d’actions ont été menées également au sein des États-Unis. Il y a des tentatives pour manipuler les réseaux sociaux pour déstabiliser la France en décrédibilisant la candidature de Paris pour les Jeux Olympiques. Cela peut représenter une menace assez importante. 

Face à la déclaration de Margarita Simonian, j'espère que l'Etat français va réagir d'une manière décisive. Il ne faut pas seulement contrer ce type de propagande et ces méthodes. La France doit être assez active aussi sur ses propres relais de communication à l'étranger. La chaîne France 24, diffusée en français, anglais, arabe, espagnol, peut avoir un rôle à jouer. Il est grand temps aussi que la France réplique avec une version de France 24 en russe pour que cette voix puisse exister dans le champ médiatique. 

Par rapport aux déclarations de Margarita Simonian, quels sont les pays qui sont visés par les campagnes de propagande russes bien au-delà de la France et quels médias? Est-ce que ce sont des médias d'Etat ou est-ce que cela passe par les réseaux sociaux et Internet ?

Viatcheslav Avioutskii : La diffusion de RT en France a été rendue impossible suite au début du conflit en Ukraine. 

Un autre pays qui est particulièrement visé est l’Allemagne. Il y a un réseau très développé pour propager cette influence. Ces réseaux en Allemagne sont basés sur les centres culturels russes à partir desquels des messages sont adressés afin d'influencer l'attitude de la communauté russophone qui y est assez importante. 

Une partie des russophones sont sous l'effet de cette propagande. Ils ont une vision pro-russe et anti-ukrainienne et il s'agit quand même des citoyens allemands qui votent et ils constituent un groupe important qui peut changer le rapport de force.

La Russie est aussi intervenue en Espagne en soutenant le mouvement séparatiste catalan. Des enquêtes ont démontré qu’il y a eu des contacts et que ce type d'interventions ont essayé d'affaiblir l'Espagne, qui est un pays qui a beaucoup soutenu l'Ukraine.

La Russie à travers ces opérations de propagande souhaite diviser pour mieux régner et souhaite étendre son influence en Europe. La propagande russe et les différents réseaux qui sont actifs dans les différentes campagnes cherchent à affaiblir nos sociétés de l’intérieur. 

Le but est de diviser sur le plan idéologique. L’objectif à court terme est de faire cesser l'aide à l'Ukraine. 

La France a tenté de répondre à cette ingérence russe avec la déclaration d’Emmanuel Macron. La France tente de se positionner aussi comme une puissance géopolitique au centre de l'Europe et est le seul pays qui a un arsenal nucléaire.

Pourquoi le fait que les Russes mènent leurs actions de déstabilisation au grand jour est finalement plus dangereux pour les Occidentaux ? 

Philippe de Lara : Plus les actions de déstabilisation sont connues du public, font l’objet d’enquêtes, de protestations officielles, mais aussi de rumeurs, etc., plus on va installer un climat de peur et de méfiance. Il est très angoissant de se savoir attaqué par un autre pays et, c’est le plus dangereux, cela conduit à soupçonner toute information, à attribuer une cause occulte à n'importe quel événement. Dit autrement, cela a pour effet de rendre de plus en plus de gens complotistes, d’accroître la défiance envers l’info « officielle » et la crédulité envers n’importe quel bobard répandu sur les médias sociaux.

Ce mécanisme a été théorisé par l’altright aux États-Unis, au demeurant très proche de la Russie : quand vous développez une stratégie du chaos, c’est encore mieux si elle est dénoncée, car vous ajoutez un effet déstabilisateur de second degré, en plongeant le public dans un univers où rien n’est vrai et tout est possible. Steve Bannon, l’un des penseurs de l’altright, ancien conseiller de Trump et qui s’occupe aujourd’hui de répandre dans le monde sa « révolution conservatrice » explique que son but n’est pas de convaincre de telle ou telle idéologie mais, je cite, « de déverser de la merde dans les cerveaux ».

Mener des actions de déstabilisation de façon quasiment officielle n’est pas contre-productif pour les Russes ?

Philippe de Lara : Non, car afficher ces actions est fait de manière globale : les Russes ne revendiquent pas telle opération précise, d’où deux avantages : 1) le doute s’installe, on va voir la main de Moscou derrière n’importe quel incident ou événement anormal ; 2) cela ne fait qu’amplifier l’effet déstabilisateur de ces actions. Même si cela peut rendre les agents de ces opérations plus vulnérables (aboutir par exemple à l’arrestation d’agents, la fermeture de sites etc.) ce n’est pas grave car l’armée des déstabilisateurs est très nombreuse, et opère souvent dans le monde virtuel. Je renvoie sur toutes ces questions au livre récent de David Colon, La guerre de l’information, Tallandier, 2023, dont j’ai rendu compte sur Desk Russie.

Philippe de Lara (maître de conférences honoraire à l’université Paris 2, membre du comité de rédaction de Desk Russie)

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