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Quand les politiques publiques se heurtent à l’effet Cobra
©BHOPAL, INDE

Nature humaine

Très prompts à manier les taxes, les dépenses et les réglementations pour orienter les décisions privées dans le « bon » sens, les gouvernements obtiennent-ils toujours le résultat désiré ? Pas vraiment. Démonstration avec « l’effet cobra ».

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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En quoi consistent les politiques publiques ? Dans la conception d’un État strictement régalien, c’est-à-dire uniquement dédié à la protection de la liberté, de la sécurité et de la propriété des citoyens, il s’agit simplement de prélever les impôts nécessaires au fonctionnement de la police, de la justice et de l’armée.

Mais dès lors que l’État a intégré dans ses missions celle de rendre le monde meilleur, les politiques publiques ont investi à peu près tous les champs de l’activité humaine, de la lutte contre le tabagisme à la promotion de l’égalité homme-femme en passant évidemment par les nouveaux impératifs de la transition écologique, et elles ont mobilisé à cet effet l’arsenal classique des taxes punitives, des subventions incitatives, des interdictions de faire ceci et des obligations de faire cela.

Autrement dit, de bonnes idées mises en œuvre avec les meilleures intentions du monde ! Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?


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Or chaque fois que les règles du jeu sont modifiées, chaque fois que les conditions normatives et fiscales évoluent, chaque fois que les pouvoirs publics introduisent une distorsion dans le libre jeu du marché, les joueurs, comme les citoyens, s’adaptent à leur nouvel environnement pour en tirer le meilleur profit. Il n’est donc pas rare que les mesures prises par les pouvoirs publics débouchent in fine sur des résultats totalement opposés aux intentions initiales, perclus d’effets d’aubaine injustifiés et ravagés par des dommages collatéraux aussi imprévus que désastreux.

L’exemple classique est l’histoire des cobras de la ville indienne de Delhi à l’époque coloniale, d’où le nom générique d’effet cobra. Le gouverneur britannique se mit en tête de réduire drastiquement la trop nombreuse population de cobras errant dangereusement dans la ville. Pour ce faire, il offrit une récompense appréciable à toute personne qui lui rapporterait une peau de cobra, s’imaginant ainsi régler astucieusement et élégamment le problème.

Au début, tout fonctionna à merveille. Mais assez vite, des petits malins se mirent à faire de l’élevage de cobras pour vivre de la prime. L’administration, submergée de cobras morts et voyant son budget exploser, interrompit alors son expérience peu concluante. La prime ayant disparu, les « éleveurs » mirent également fin à leur activité en relâchant les cobras d’élevage dans la nature. Résultat, la ville de Delhi se retrouva infestée de beaucoup plus de cobras qu’il n’y en avait avant l’instauration de la prime pour leur capture.

Il n’est pas certain que cette anecdote ait vraiment eu lieu. En revanche, l’affaire des rats de Hanoï de 1902 est attestée historiquement. Comme pour les cobras, on a une ville, trop de rats et une récompense en échange de la queue des rats morts. Au bout d’un moment, les autorités se rendirent compte que des rats sans queue commençaient à pulluler dans la ville. Les chasseurs de rats se contentaient en effet de récupérer les queues et ils relâchaient ensuite les rats pour qu’ils puissent continuer à se reproduire et leur fournir ensuite de nouvelles occasions d’encaisser la prime.

Ces deux cas animaliers sont assez basiques, mais néanmoins très éloquents quant aux mécanismes de rationalité et de sauvegarde qu’ils déclenchent chez les parties concernées par les mesures.

On observe par exemple que dans les zones où les pouvoirs publics décident dans leur grande bonté de bloquer les loyers pour rendre les logements plus accessibles à tous, les propriétaires bailleurs tendent à compenser la baisse de revenus attendue et la complexité nouvelle du marché de la location par un moindre entretien des biens ou en abandonnant purement et simplement ce marché. Alors, oui, les prix locatifs baissent effectivement dans la zone régulée, mais dans le même temps, le parc locatif local se dégrade, l’offre de logement se raréfie et les personnes en recherche d’un appartement se déportent dans les zones limitrophes où les loyers se mettent à monter.

Ce fut précisément le cas à Berlin où un gel des loyers fut instauré sous l’impulsion des Verts, des socio-démocrates et de la gauche radicale au début de 2020 (et annulé par la justice en avril 2021 pour non-constitutionnalité). En un peu plus d’un an, les offres de location ont plongé de 57,5 % à Berlin, les promoteurs ont mis le frein sur leurs programmes de construction, tandis que les loyers flambaient dans les communes avoisinantes comme Potsdam.

Il existerait bien une méthode pour réguler le marché de l’immobilier à la satisfaction conjointe des locataires et des bailleurs ; ce serait de ne pas freiner les mises en chantier de nouveaux logements. Mais cet aspect du problème ne fait pas les affaires des écologistes qui dénoncent en vrac émission de CO2, artificialisation des sols et destruction de la biodiversité, quitte à obtenir des résultats parfaitement antisociaux.

Il faut dire que le domaine de l’écologie est particulièrement riche en effets cobra. L’idée de départ vise bien sûr à rendre le monde plus vivable, plus durable. Qui pourrait trouver à y redire ? Le problème, c’est que les mesures envisagées sont souvent prises à la hâte, dans un contexte idéologique étroit qui ne se préoccupe guère de réalité scientifique. De ce fait les bénéfices attendus ne sont pas toujours au rendez-vous tandis que les effets pervers s’accumulent.

Prenez par exemple les pesticides à base de néonicotinoïdes. On sait grâce à Ségolène Royal, ex-ministre de l’environnement de François Hollande, que « les Français ont envie de revoir des papillons et des abeilles ». Or les néonicotinoïdes, très utilisés en agriculture pour lutter contre les pucerons verts qui transmettent la jaunisse à la betterave sucrière, sont accusés de détruire les colonies d’abeilles et autres insectes pollinisateurs.

La ministre et sa secrétaire d’État à la biodiversité Barbara Pompili ont donc fait voter en 2016 une interdiction générale des néonicotinoïdes qui s’applique depuis 2018 en France. Remarquons au passage que quand l’Union européenne recommande l’interdiction de trois produits, la France en interdit cinq, laissant peu voire aucune de marge de manœuvre au monde agricole.

Le résultat ne s’est pas fait pas attendre. En 2020, la récolte de betteraves sucrières s’est effondrée, un peu en raison de la sécheresse, mais surtout du fait des pucerons verts qui ont à nouveau envahi les champs. Les agriculteurs parlent de « la pire récolte depuis vingt ans » et déplorent une baisse moyenne des rendements de 30 %. Devant cette situation catastrophique, le gouvernement s’est empressé de faire voter une loi de réintroduction temporaire des néonicotinoïdes jusqu’en 2023, sous les cris effarouchés de la planète écolo, très remontée contre les grandes firmes agro-chimiques mondiales.

Il semblerait cependant que du côté des abeilles, le danger ne vienne pas prioritairement des produits phytosanitaires, peu dangereux s’ils sont bien utilisés, mais d’une accumulation de facteurs incluant d’abord un acarien parasite des abeilles, le varroa destructor, puis le frelon asiatique qui s’introduit dans les ruches et y dévore tout. On constate donc un double échec, pour les abeilles et pour l’agriculture.

On pourrait considérer aussi que toutes les politiques collectivistes de distribution des terres agricoles et de nationalisation des industries, quoique décidées avec l’excellente intention d’assurer la souveraineté économique du peuple, de mieux répartir les richesses et d’éradiquer la pauvreté, sont tombées dans le piège de l’effet cobra au sens où elles ont toutes débouché sur un effondrement de la production et un accroissement de la pauvreté. Les vénézuéliens sont bien placés pour le savoir.

Le site libéral américain Reason, free minds and free markets, élabore régulièrement de petites vidéos sur le sujet, intitulées « Great moments in unintended consequences », titre qu’on pourrait traduire par « Les riches heures des conséquences involontaires, imprévues, inattendues, désastreuses ». Pour conclure cet article, je vous propose de regarder sa plus récente production, publiée le 9 mars dernier (02′ 38″) :

Autant d’exemples qui nous confirment décidément que « l’enfer est pavé de bonnes intentions. » 

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