Quand le terrorisme est là pour durer : ETA, IRA, Fraction armée rouge, etc... ce que le 20e siècle nous apprend sur l'impact politique et social de la violence politique en Europe<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Quand le terrorisme est là pour durer : ETA, IRA, Fraction armée rouge, etc... ce que le 20e siècle nous apprend sur l'impact politique et social de la violence politique en Europe
©Reuters

Un peu d'histoire

Tout au long du XXe siècle, l'Europe a été frappée par diverses formes de terrorisme (anarchiste, indépendantiste, d'extrême-gauche). Si des entorses à l'ordre démocratique ont pu avoir lieu (lois d'exception, dérives policières, état d'urgence), ces différents mouvements n'ont pas entraîné de changements fondamentaux dans le système parlementaire.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

Voir la bio »

Atlantico : ETA, IRA... A quelles formes de terrorisme l'Europe a-t-elle été confrontée au cours du XXème siècle ? Quels en étaient les modes opératoires, les idéologies et les motifs ? 

François-Bernard Huyghe :La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle ont été marqués par un terrorisme nihiliste (principalement en Russie où il y avait des groupes socialistes, révolutionnaires, populistes regroupés sous le terme de "nihiliste"), ou anarchiste (en France, l'attentat le plus célèbre étant celui de Ravachol). Avant la Première Guerre Mondiale, l'opinion est frappée par des gens qui lancent des bombes ou tirent des coups de pistolet contre des présidents de la République : par exemple, Sissi et le président Sadi Carnot ont été assassinés par des anarchistes. Il s'agissait donc d'un terrorisme que l'on appellerait selon nos critères d'extrême-gauche contre l'autocratie, le pouvoir que ce soit en Russie ou dans l'Europe démocratique. 

Se développe également dès les premières années du siècle un terrorisme autonomiste ou séparatiste : on peut citer l'organisation révolutionnaire macédonienne ou les Serbes qui ont déclenché la Première Guerre Mondiale en assassinant à Sarajevo l'archiduc François-Ferdinand en 1914.  

Les actes terroristes sont donc soit le fait d'individus d'extrême-gauche (dont les attentats pouvaient être très sanglants) soit de groupes séparatistes-indépendantistes. A l'époque, en-dehors des Russes, le mot "terrorisme" était très peu employé. Les Russes l'employaient de façon élogieuse et plusieurs traités comportaient des sections "terrorisme". En France, quand les lois étaient faites, on parlait plutôt des anarchistes comme des "ennemis de la société" sans employer le terme de terroriste. 

Dans l'entre-deux-guerres, l'Europe a connu de nombreux mouvements de terrorisme autonomiste, séparatiste, etc. En 1936, est rédigée la première convention contre le terrorisme de la SDN (Société des nations) : le concept de terrorisme commence à émerger dans les têtes. 

La Seconde Guerre Mondiale embrouille les choses : le mot terroriste est employé par les Allemands pour désigner les résistants. 

Après la Seconde Guerre Mondiale, des groupes font des attentats pour obtenir leur indépendance, à commencer par les juifs de la Haganah sioniste qui font sauter l'hôtel King David à Jérusalem en 1946. Dans la même logique, se développent par la suite des pratiques et méthodes terroristes liées à l'anticolonialisme comme le FLN en Algérie qui commet des actes terroristes (attentat du Milk-Bar à Alger en 1956, bombes dans les cafés, etc.). Ce terrorisme du FLN a donné lieu à un terrorisme en sens inverse, celui de l'OAS (Organisation des armées secrètes) qui pose des bombes, essaie de tuer de Gaulle, etc. Ce terrorisme en Algérie est très lié à la question nationale : dans le cas du FLN, on lutte contre celui qu'on considère comme un envahisseur ou un colonisateur et en sens inverse, les colons ou ceux qui veulent garder un pays, utilisent également des bombes, comme l'OAS. 

La recherche d'une indépendance nationale concerne également l'Irlande qui a connu un siècle de terrorisme indépendantiste avec l'IRA et ses différentes tendances. On peut également évoquer le terrorisme basque, le terrorisme corse. Il s'agissait de groupes qui souhaitaient se séparer d'un Etat central et qui pour cela étaient prêts à combattre avec des bombes, des pistolets et en se cachant, les représentants de cet Etat central. 

Dans les années 1970, deux autres tendances se développent. Premièrement, un terrorisme international d'extrême-gauche lié à la cause palestinienne : détournement d'avion, prise d'otage des membres de l'OPEP à Vienne en 1975 dirigée par le terroriste Carlos (qui était une sorte de mercenaire idéologique). La prise d'otage aux Jeux Olympiques de Munich en 1972 par un commando international pro-palestinien constitue l'apogée de ce système. C'est à ce moment-là que la cause palestinienne prend une dimension internationale. 

Deuxièmement, l'autre grande tendance n'est pas séparée de celle que je viens d'évoquer : il s'agit d'un terrorisme d'extrême-gauche qui se manifeste à des degrés très différents au cours des années 1970 (années qui ont été surnommées les "années de plomb"). En Italie, les Brigades rouges sont les plus connues (mais il y a eu beaucoup d'autres mouvances). Leurs actions ont duré pendant des années, ont provoqué des milliers de morts et de prisonniers. De nombreux terroristes italiens se sont réfugiés en France, comme Toni Negri. Se sont également produits en Italie des attentats non signés, anonymes, comme celui ayant frappé une place à Florence, la gare de Bologne, etc. Les services secrets, manipulant plus ou moins des mercenaires d'extrême-droite, sont soupçonnés d'être à l'origine de ces attentats dont on ne connaît pas les auteurs. 

Le mouvement d'extrême-gauche se développe avec le gauchisme post-1968 dans tous les pays européens, contre le pouvoir d'Etat et quelques fois contre les capitalistes. Si les plus importants sont les Italiens (l'enlèvement et l'exécution d'Aldo Moro ont profondément marqué l'opinion), les autres pays n'ont pas été épargnés. La Fraction armée rouge (RAF) s'est développée en Allemagne avec un peu de retard : ce groupe d'extrême-gauche a commis des enlèvements, des exécutions, etc. Par rapport à l'Italie, en termes de morts, on peut retirer à la RAF allemande deux décimales (moins de 30 personnes ont été tuées par la RAF). 

En France, alors que le mouvement maoïste était très puissant avec notamment la gauche prolétarienne, celui-ci n'a pas débouché sur un terrorisme à l'italienne. Suite à la mort de Pierre Overney, tué par un vigile de Renault, on pensait que le mouvement allait basculer dans le terrorisme, ce qui ne s'est pas produit. En revanche, la France a, à retardement, vu la création du groupe d'Action directe qui s'est surtout manifesté pendant les années Mitterrand. Ce groupe a fait des dizaines de morts.

Au tournant du millénaire, l'IRA s'est calmée, tout comme le terrorisme basque en Espagne qui a fait de nombreux morts des deux côtés de la frontière et perdu de nombreux membres tués par des groupes menés par la police espagnole. Globalement, le calme revient en Europe après les années de plomb. 

La France est frappée en 1986 par plusieurs attentats liés à l'Iran dont la bombe qui a explosé devant le magasin TATI dans la rue de Rennes à Paris : il s'agissait de tuer des gens au hasard. Cette opération relève de ce que l'on appelle la diplomatie par les bombes. Dans les années 1990, alors que la France croit être libérée du fléau, le pays subit les conséquences des débuts de l'islamisme et du soutien du gouvernement français au gouvernement algérien. Le GIA frappe la France : on peut citer la tentative du GIA en 1993 de précipiter un avion sur la tour Eiffel (qui a échoué grâce à l'action du GIGN qui a abattu les preneurs d'otages) et des actions comme la bombe posée au métro Saint Michel en 1995. Ces événements ont secoué l'opinion publique française. 

Pour chacune de ces formes de terrorisme, comment l'Europe et les gouvernements des pays touchés ont-ils réagi à l'époque ? Des mesures spéciales ont-elles été instaurées ? 

Oui, des mesures spéciales ont été instaurées. Contre l'anarchisme à la fin du 19e siècle, la France a instauré ce qui a été appelé les lois scélérates (1894) qui cherchaient à réprimer la complicité intellectuelle avec le terrorisme par des mesures de police particulières. 

En France, des cours spéciales ont été créées, l'état d'urgence a été décrété, etc. En Espagne, évidemment, il y a un avant et un après Franco. Sous Franco, les terroristes basques étaient garrottés et ces derniers ont abattu Luis Carrero Blanco en 1973, alors Premier ministre de l'Espagne. Le cas de l'Espagne est à part : nous sommes dans la configuration d'un régime autoritaire qui lutte contre des groupes armés.

L'Italie et l'Allemagne ont pris des lois d'exception pour des perquisitions. En Allemagne, les conditions de détention et notamment la mise à l'isolement de la Fraction armée rouge ont suscité beaucoup d'agitation. En Italie, des méthodes comme les lois sur les repentis ont été utilisées : elles ont permis à ceux qui se dissociaient de l'action des groupes terroristes de s'en séparer.  

Finalement, l'ordre démocratique n'a pas été tellement chahuté. Il n'y a pas eu de putsch militaire : en Europe, ce sont des gouvernements élus démocratiquement qui ont contribué à gérer les diverses formes de terrorisme. Des lois dures ont certes été votées, des périodes d'exception ont été décrétées avec les luttes anticolonialistes, des dérives policières ont eu lieu (notamment les barbouzes qui ont torturé) mais globalement, au cours de la deuxième moitié du 20e siècle, les gouvernements européens n'ont pas fondamentalement bouleversé l'ordre démocratique. Malgré les entorses qui ont pu être faites à l'ordre démocratique, aucun terroriste n'a fondamentalement changé le système parlementaire. 

Le terrorisme a-t-il pu aider la cause de ceux qui y avaient recours ? A quelles conséquences politiques et géopolitiques majeures ces attentats ont-ils donné lieu ?

Globalement, en Europe, le terrorisme peut engendrer de grandes évolutions politiques (autonomie du Pays Basque) mais aucun groupe terrorise n'a réussi ni à renverser le capitalisme ni par lui seul à créer un mouvement autonome en Europe. 

Le terrorisme tout seul n'a pas remporté d'immenses victoires en Europe et n'a pas changé la physionomie de l'Europe. 

Qu'est-ce que le terrorisme djihadiste auquel nous assistons a en commun avec les autres formes de terrorisme du 20e siècle ? Peut-on en tirer des enseignements pour gérer la vague de terrorisme qui traverse l'Europe actuellement ?

Ils ont en commun la méthode, c’est-à-dire le fait d'avoir recours à des bombes, d'organiser des réseaux clandestins etc. Si les méthodes de combat sont comparables, les idéologies ne le sont pas : le djihadisme ne veut pas détruire l'Etat ou renverser la bourgeoisie au pouvoir, il ne veut même pas l'indépendance d'une province mais il veut s'étendre au monde entier. L'objectif du djihadisme, c'est la conquête du monde. C'est un terrorisme qui veut soumettre le monde entier à la loi d'Allah et considère que leur objectif est de se venger de la guerre menée par les croisés et de répondre par la guerre sur notre terrain à la croisade.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !