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Quand le président français se met aux fake news en affirmant que le peuple français aurait voté comme le peuple britannique....
©LUDOVIC MARIN / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 

Le 22 janvier 2018, 

Mon cher ami, 

Je m’apprêtais à vous écrire pour vous raconter par le menu la visite de notre président à Sandhurst. Je ne vous en avais pas soufflé mot, ces dernières semaines, tenu par le secret de l’organisation. Mais j’étais associé de près à la rencontre entre votre président et notre premier ministre. 

Pourtant, je me demande si le plus important ne s’est pas passé dans un studio de la BBC, lorsque votre président a concédé, face à Andrew Marr, que vraisemblablement, un référendum français sur l’appartenance à l’Union Européenne aurait donné le même résultat que le référendum britannique. 

Vu comme les réseaux sociaux se sont emballés depuis lors, j’espère juste que le compte twitter de votre président ne va pas être fermé. Parce qu’on est carrément dans le domaine des fake news. Et comme il est à l’origine de cette rumeur......Franchement, à la place de Twitter ou Facebook, je m’interrogerais sur les suites à donner à toute cette affaire. En effet, l’onde de choc n’est pas près de se dissiper. Et je vois venir une véritable déstabilisation de tout l’establishment européen.  Il faut fermer le compte du fauteur de trouble! 

Pour le romancier Andrew Marr, la réalité dépasse soudain le fiction.....

En préalable, mon cher ami, connaissez-vous l’extraordinaire roman de politique-fiction que le journaliste qui a interviewé votre président, mon ami Andrew Marr, a publié quelques mois avant le référendum du Brexit? Il est intitulé Head of State. L’auteur imagine que le Premier Ministre britannique meurt d’une crise cardiaque à quelques jours du référendum; et que Downing Street fait tout pour dissimuler le décès du chef de l’exécutif dans l’espoir d’empêcher le Brexit de gagner. C’est désopilant, dans la veine de l’humour noir que l’on dit être très british. Et il s’agit d’une satire extraordinaire du comportement de nos milieux dirigeants. Sans compter que le livre était prémonitoire puisque le Brexit a gagné. 

Eh bien! Andrew aura certainement eu besoin de tout le flegme, british lui aussi, comme il se doit, pour ne marquer aucun étonnement. Le président français, lui, était bien vivant lorsqu’il a dévoilé l’envers du décor. C’est d’ailleurs le plus amusant, dans l’interview, si vous la regardez: votre jeune président si maîtrisé, si attentif à ne pas faire un faux pas, est pris de court par la question d’Andrew; il concède que le peuple français aurait voté comme le peuple britannique, puis il se reprend, en invoquant le contexte, l’énergie que lui-même aurait déployée et, cerise sur le gâteau, le fait qu’il ne faudrait jamais demander à un peuple de répondre à une question par oui ou par non. 

Quelle onde de choc ? 

Il faut se rendre compte que cet entretien est diffusé le jour où le SPD a, très péniblement (56%), voté de continuer les négociations pour la constitution d’un gouvernement avec la CDU et la CSU. Or l’un des principaux arguments de Martin Schulz, patron des sociaux-démocrates allemands et ancien président du Parlement européen, consiste précisément à dire que l’Allemagne ne peut pas laisser tomber le président français, si désireux de faire avancer l’Union européenne et l’intégration de la zone euro. Etes-vous sûr que si la nouvelle de l’interview d’Emmanuel Macron avait été distribuée hier matin et non hier soir, cela n’aurait eu aucune incidence sur le vote d’un SPD largement rétif à la perspective d’une nouvelle « Grande Coalition »? 

Que cherche à faire le président français? On pourrait être tenté de penser qu’il anticipe sur un possible échec du projet européen, qu’il est frappé par la faiblesse réelle de Madame Merkel et que, dans un voyage très préparé, il a certes maintenu la doxa lors de la rencontre officielle avec notre premier ministre; mais il lâche, en marge, une petite phrase sur laquelle il pourra s’appuyer plus tard pour dire qu’il avait tout anticipé. Non! Ne surestimons jamais les hommes d’Etat. Ils sont des êtres humains, fragiles comme nous, le plus souvent surpris par les événements. L’explication par l’omniscience du dirigeant est une variante du complotisme. Elle est à la fois trop cohérente et inutilement compliquée. Il faut toujours prendre l’explication la plus simple. Au risque de tomber, en compagnie du Général de Gaulle il est vrai, dans la tautologie: Emmanuel Macron a dit....exactement ce qu’il a dit: il ne veut pas que la France sorte de l’Union Européenne; il cherche à lui rendre la prison plus acceptable. C’est du Gorbatchev! Emmanuel Macron est le Gorbatchev français! Il a été porté au pouvoir avec le soutien d’une classe dirigeante à bout de souffle et d’imagination mais qui se dit, comme le système soviétique en 1985, que peut-être la jeunesse et l’énergie d’un des leurs pourraient sauver le système. Et, comme Gorbatchev quand il est arrivé au pouvoir, qui pensait revenir aux sources du léninisme, Emmanuel Macron imagine qu’il va refonder, ressourcer la construction européenne. Comme Gorbatchev, il est doté d’une certaine lucidité et sait au fond de lui-même ce que les peuples pensent vraiment. Il s’agit de sauver le système en retrouvant une forme d’entente avec le peuple.....

Gorbatchev dit dans ses Mémoires qu’il a cru, jusqu’en 1988, pouvoir réformer le système; et qu’il a compris ensuite qu’il faudrait passer à autre chose. Au moment où les événements lui échappaient déjà....Emmanuel Macron maîtrisera-t-il mieux les événements que son illustre prédécesseur soviétique? On ne saurait trop remercier mon ami Andrew Marr d’avoir ainsi levé un coin du voile. 

La visite à Sandhurst rejetée dans l’ombre? 

Il est bien vrai, mon cher ami, qu’il s’est dit des choses lors de l’entretien entre le président français et Theresa May. En matière de défense, la France travaille en fait beaucoup plus étroitement avec la Grande-Bretagne qu’avec l’Allemagne. L’accord sur la recherche médicale dans le domaine du génome est extrêmement important. L’accord sur le contrôle de l’immigration apporte de sérieuses garanties à la Grance-Bretagne. Et puis il y a le prêt de la tapisserie de Bayeux....
Peut-être votre président voulait-il, pas très finement, rappeler à notre Premier Ministre que l’Angleterre avait déjà été envahie depuis le continent. Mais Napy n’est pas Guillaume le Conquérant. Votre aspirant au poste de Premier Consul a été gentiment pris à son propre piège par une simple question sur le peuple français et obligé de concéder qu’il aimait aussi peu l’Union Européenne que le peuple britannique. Il avait oublié que Guillaume s’est rendu en Angleterre entouré de ses barons et que, depuis 1000 ans, les dirigeants britanniques n’ont jamais été que des primi inter pares. Henri II, lorsqu’il perdit la bataille de l’opinion contre Thomas Becket, Jean Sans Terre, qui se vit imoser la Magna Carta, ont  payé cher de ne pas s’en souvenir. Nous avons fait la Glorieuse Rébolution au nom des mêmes principes fondateurs. Ce qu’il y a de plus remarquable dans le Brexit, c’est la manière dont le Parlement a accepté le vote populaire. Emmanuel Macron ne se rend pas compte, sans doute, de la désapprobation qu’il suscite, avec une telle déclaration, non seulement dans le peuple mais dans la classe politique britannique. 
S’il est vrai que le peuple français voterait comme le peuple britannique, alors pourquoi ne pas trouver un bon accord, un point d’équilibre après le Brexit? C’est l’ensemble du monde dirigeant européen qui a besoin de la Grande-Bretagne pour avancer vers une profonde réforme des institutions européennes. Monsieur Macron et Madame Merkel marchent sur la glace peu épaisse d’un lac promis bientôt au dégel. Ils pourraient avoir besoin d’une embarcation, bientôt. Nous autres Britanniques, ne sommes pas mauvais s’il faut apprendre à naviguer....
Très fidèlement à vous 
Benjamin

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