Quand la Coupe du Monde de football en 2018 permettait à Vladimir Poutine de préparer les esprits à la guerre en Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Kévin Veyssière publie « Mondial : Football Club Geopolitics - Tome 2 : 22 histoires insolites sur la Coupe du Monde de football », aux éditions Max Milo.
Kévin Veyssière publie « Mondial : Football Club Geopolitics - Tome 2 : 22 histoires insolites sur la Coupe du Monde de football », aux éditions Max Milo.
©Mladen ANTONOV / AFP

Bonnes feuilles

Kévin Veyssière publie « Mondial : Football Club Geopolitics - Tome 2 : 22 histoires insolites sur la Coupe du Monde de football » aux éditions Max Milo. L’auteur décrypte comment depuis 120 ans, la plus grande compétition sportive a toujours été un outil puissant et propice aux jeux d’influence et de pouvoir. Extrait 1/2.

Kévin Veyssière

Kévin Veyssière

Kévin Veyssière est collaborateur parlementaire. Passionné de football, de géopolitique et d'histoire, il a créé le Football Club Geopolitics, média qui vulgarise la géopolitique du football. La page rassemble aujourd'hui plus de 30 000 abonnés sur Twitter.

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En 2018, c'est en Russie que s'est déroulée la XXIe édition de la Coupe du monde. Une attribution qui est le fruit d'une importante stratégie politico-sportive mise en place au début des années 2000 pour redonner au pays russe une image triomphante. Cette stratégie porte le sceau d'un homme, Vladimir Poutine. Malgré les nombreuses critiques qui entourent ce Mondial, la compétition sera une réussite pour le rayonnement du territoire russe à l'international. Une réussite sur laquelle Poutine ne pourra pas capitaliser, compte tenu des futures sanctions sportives liées au dopage d'État et des conséquences de la guerre en Ukraine.

La Russie a voulu frapper un grand coup dans les années 2010, en obtenant coup sur coup deux grands évènements sportifs internationaux : les Jeux olympiques d'hiver 2014 et la Coupe du monde 2018. Cette dernière a été attribuée le 2 décembre 2010. La Russie a dû faire face alors à des candidatures venues d'Europe de l'Ouest (Angleterre, Pays-Bas/Belgique, Espagne/Portugal).

Ce fait géographique a son importance. Vitali Moutko, président du comité de candidature russe, argumente d'ailleurs en ce sens pour justifier le choix de son pays devant la FIFA : « l'Europe de l'Ouest a accueilli la Coupe du monde à de nombreuses reprises. L'Europe de l'Est n'a jamais eu cette chance. Il y a quelques années, le mur de Berlin a été détruit. Une ère nouvelle s'ouvrait. Aujourd'hui, nous pouvons briser un nouveau mur, symbolique. Et ouvrir une nouvelle ère du football ensemble. » Finalement, cette rhétorique pèse au moment du vote puisque le comité exécutif de la FIFA choisit la Russie. Ainsi, c'est donc bien la première fois que le territoire russe, et plus globalement l'Europe de l'Est, va accueillir la Coupe du monde de football.

Au-delà du prestige qu'un tel évènement peut apporter, le sport est bien plus que du sport côté russe. En effet, la Russie s'appuie sur l'héritage sportif soviétique, pour laquelle la participation à de grandes compétitions sportives était l'occasion de montrer la supériorité du modèle communiste. Avec en point d'orgue les Jeux olympiques, qui seront un autre terrain de lutte durant Guerre froide entre les puissances américaine et soviétique. Pour autant, la disparition de l'URSS en 1991 va plonger la Russie dans une phase de dépression économique et sociale profonde, et reléguer le pays à un statut bien loin des standards d'une grande puissance mondiale. Le pouvoir russe aura du mal à s'en relever, ce qui aboutira en 1999 à la démission du président de la Russie, Boris Eltsine. au profit de Vladimir Poutine.

Le nouvel homme fort du Kremlin met alors en place plusieurs politiques pour redonner à la Russie toutes ses lettres de noblesse. En particulier via le sport. Il n'hésite d'ailleurs pas à se mettre en scène dans des compétitions de judo ou de hockey sur glace pour incarner l'image nouvelle qu'il veut donner à la Russie et à son pouvoir. Poutine va même plus loin puisqu'il construit un système politico-économico-sportif, défini par le docteur en géopolitique Lukas Aubin comme la sportokratura : « un système qui utilise les oligarques, les hommes et femmes politiques et les sportifs pour construire un modèle sportif ultra efficace. Les politiques sont chargés d'organiser le sport, les oligarques de le financer et les sportifs de le diffuser: »

C'est ce qui va notamment entraîner de nombreux investissements dans le sport. À commencer, en 2003, par le rachat du club anglais de Chelsea par l'oligarque Roman Abramovitch. Ces investissements vont s'accompagner de l'organisation de nombreux évènements sportifs durant cette décennie, ainsi que du poids toujours plus grandissant du géant russe Gazprom comme sponsors de ces compétitions. Pour montrer ainsi que la Russie redevient un acteur international de renom et aussi améliorer l'image du pays grâce aux retombées du soft power sportif.

Ce qui nous amène en 2010 et à l'obtention du Mondial 2018, dans la poursuite de cette stratégie_ Une annonce qui génère un important flot de critiques occidentales compte tenu du régime autoritaire de Poutine, des violations aux Droits de l'homme, des discriminations contre les personnes LGBT et du racisme décomplexé dans les stades russes. Des critiques qui vont se répercuter directement en février 2014 autour d'un autre grand évènement organisé en Russie : les Jeux olympiques d'hiver de Sotchi.

Ces olympiades vont être particulièrement instrumentalisées et politisées par Poutine, qui y voit là l'occasion de montrer le savoir-faire et la toute-puissance de la Russie dans l'organisation d'un grand évènement sportif mondial. Surtout, accueillir de nouveau les Jeux olympiques est en quelque sorte une revanche à prendre sur l'Occident, le boycott des JO de Moscou en 1980 restant toujours un évènement traumatisant dans l'imaginaire russe.

L'évènement va donc être organisé en ce sens pour exacerber le patriotisme et montrer la supériorité du régime russe vis-à-vis des régimes occidentaux. Cette attitude offensive, combiné au coût mirobolant de ces JO (environ 50 milliards de dollars) dans une ville qui n'avait rien d'une station de sports d'hiver quelques années auparavant, fait que Sotchi 2014 impacte de manière négative l'image de la Russie à l'international.

Une Russie trop conquérante et arrogante, qu'illustre parfaitement Vladimir Pouline dans son discours du Nouvel An du 31 décembre 2014: «Nous avons non seulement organisé et seulement organisé et accueilli les meilleurs Jeux olympiques d'hiver de tous les temps, mais nous les avons également gagnés. » C'est précisément en 2014 que la Russie incarne le plus cette image offensive, par son action internationale. En effet, c'est à cette période que les relations russo-ukrainiennes redeviennent électriques. Les manifestations populaires pro-européennes en Ukraine entraînent la révolution d'Euromaïdan et l'éviction du président ukrainien prorusse Viktor Ianoukovytch. La Russie profite des déboires de son voisin pour annexer en mars 2014 le territoire de la Crimée, qui appartient alors à l'Ukraine, et soutenir les régimes séparatistes situés à l'est du territoire ukrainien, déclenchant la guerre du Donbass.

Cette ingérence, qui s'ajoute au fait que la Russie soutient militairement le régime de Bachar el-Assad dans la guerre en Syrie à partir de 2015, pousse de nombreux responsables politiques internationaux à demander que le Mondial 2018 soit déplacé. La FIFA n'est pas de cet avis et sort encore une fois la carte de « l'apolitisme du sport » pour répondre à ses détracteurs. Son président, Sepp Blatter, déclare que « la Coupe du monde a été donnée et votée à la Russie et nous poursuivons notre travail ».

Derrière ce discours ferme, se cache aussi la pression à laquelle la FIFA doit faire face autour des nombreux soupçons de corruption qui entachent l'attribution des Coupes du Monde 2018 et 2022. Face à ces allégations, l'organisation mondiale du football a pourtant tenté de faire le dos rond avec la nomination en 2012 du procureur Michel Garcia pour une enquête. C'est en 2014 qu'il remet son rapport à la FIFA, qui refuse de le publier dans son intégralité dans un premier temps, avant que les révélations du journal allemand Bild ne la contraignent à rendre public le rapport.

Cette rocambolesque histoire augmente les doutes bien que l'enquête « blanchisse » en partie le comité de candidature russe du Mondial 2018. Ce scandale n'est pas sans conséquence puisqu'il entraîne l'éviction de Sepp Blatter en 2015 et l'inculpation de plusieurs membres du comité exécutif qui ont participé au scrutin d'attribution du 2 décembre 2010. L'affaire est en tout cas loin d'être terminée puisqu'en 2020 la justice américaine révèle que des membres du Comité exécutif de la FIFA ont bien reçu des pots-de-vin en échange de leur vote pour l'attribution des Coupes du Monde à la Russie et au Qatar.

Paradoxalement, alors que la Russie est décriée à l'international, le pays n'a jamais autant organisé de grands évènements sportifs internationaux que durant les années 2010. Avec notamment les championnats du monde d'athlétisme en 2013, la création d'un Grand Prix de Formule 1 à partir de 2014 ou encore les championnats du monde de natation en 2015. Alors que la Russie trouve dans le sport une manière de se présenter sous un meilleur visage et d'être un pays ouvert sur le monde, sa réputation sportive est, elle aussi, entachée. Il commence en effet à émerger plusieurs allégations de dopage, organisé par l'État russe, pour maximiser les performances de ses athlètes. Notamment lors des JO de Sotchi.

La Russie est donc dans une position fragile à l'approche de sa Coupe du monde. Un contexte international tendu qui s'additionne à des difficultés économiques importantes pour le pouvoir russe. C'est notamment ce qui va contraindre la Russie à revoir sa facture pour privilégier les infrastructures pour son Mondial plutôt que d'autres nécessaires au bon développement du pays.

Le Kremlin a aussi fait le bilan des JO de Sotchi. Il a bien compris que pour faire briller son territoire et améliorer l'image du pays à l'international, il faudrait dépolitiser l'évènement. En d'autres termes, faire de la Coupe du monde 2018 une grande fête du sport pour mettre en avant le territoire russe, de Kaliningrad à Iekaterinbourg en passant par Samara. C'est pourquoi les investissements sont faits autour des réseaux de transports et dans l'accueil des supporters, notamment avec la création du Fan ID : un passeport qui facilite les démarches pour l'obtention d'un visa russe et permet aux supporters-touristes de découvrir le pays en dehors des matchs.

La Coupe du monde 2018 n'est donc pas celle de Poutine, mais bien celle d'une Russie ouverte sur le monde. L'effort est donc fait pour apaiser les relations diplomatiques en amont de la compétition. Cela se traduit lors de la cérémonie d'ouverture du 14 juin 2018 au stade Loujniki de Moscou, puisque seulement quatre pays (Australie, Islande, Royaume-Uni, Ukraine) boycottent diplomatiquement la compétition. Même le discours de Vladimir Poutine en amont de la cérémonie se veut mesuré : « nous sommes sincèrement heureux d'accueillir la Coupe du monde dans notre pays. Le football est vraiment aimé ici. La Russie est un pays ouvert, hospitalier et amical ».

Le président russe met d'ailleurs très peu sa personne en avant durant ce Mondial puisque, mis à part pour le match d'ouverture et la finale, il ne sera pas présent en tribunes pour les autres matchs, y compris pour l'équipe de la Russie. Alors que sur le terrain la sélection nationale russe, la Sbornaïa, impressionne. L'équipe était pourtant bien loin d'être favorite en amont de la compétition puisqu'elle est 70e au classement FIFA. La victoire convaincante 5-0 contre l'Arabie saoudite en match d'ouverture va pourtant lancer le début d'une incroyable épopée. Qualifiée pour les huitièmes de finale, la Russie élimine le favori espagnol. C'est finalement au tour suivant, lors d'une séance de tirs au but, que cette impressionnante équipe russe est éliminée face au futur finaliste, la Croatie. Un match où la politique refait surface puisque le buteur croate Domagoj Vida, joueur du Dynamo Kiev à l'époque, célèbre la victoire en criant « Gloire ù l'Ukraine ».

À la fin de la Coupe du monde, remportée par l'équipe de France, le Mundial russe est largement salué. Steve Rosenberg, journaliste pourtant britannique, ne tarit pas d'éloges : « les nouveaux stades époustouflants, les voyages en train gratuits vers les sites et l'absence de violence de la foule ont impressionné les supporters en visite. La Russie est apparue comme amicale et hospitalière: un contraste frappant avec l'image autoritaire du pays. Tous les supporters étrangers à qui j'ai parlé sont agréablement surpris. »122Cette fois, ce n'est pas Pouline qui s'autocongratule, comme en 2014, mais bien Gianni Infatino, Président de la FIFA, qui déclare que cette Coupe du monde est « la meilleure Coupe du monde de tous les temps »123, puisque 98 % des stades étaient complets et que le Mondial a battu un nouveau record avec près de 3,5 milliards de téléspectateurs.

Si la Coupe du monde est un triomphe de relations publiques pour la Russie de Vladimir Pouline, son régime n'aura pas le temps de capitaliser là-dessus. Après avoir été suspendue des Jeux olympiques d'hiver de Pyeongchang en 2018, la Russie voit les sanctions sportives s'alourdir. En 2019 l'Agence mondiale antidopage (AMA) sévit dans l'affaire du dopage d'État russe et interdit à la Russie de participer à des grands évènements sportifs, y compris les Jeux olympiques, pendant quatre ans. Ce qui fait que la Russie doit participer à la plupart de ces évènements sous bannière neutre, sans signe distinctif qui s'apparente à la Russie.

Des sanctions sportives qui vont s'alourdir avec la guerre en Ukraine lancée par Vladimir Poutine le 24 février 2022. Le CIO recommande quelques jours plus tard aux fédérations internationales sportives d'annuler tous les évènements prévus en Russie et d'exclure les équipes et athlètes qui représentent l'État russe. Des sanctions prises pour ne pas mettre en avant les éléments symboliques de la Russie, afin de l'isoler un peu plus la scène médiatico-sportive. Conséquences directes : la FIFA exclut l'équipe de Russie des éliminatoires de la Coupe du monde 2022 et l'UEFA fait de même pour les clubs russes dans ses différentes compétitions. Tant que Vladimir Poutine poursuit sa folle guerre en Ukraine, la Russie sera mise au ban des nations, en particulier au niveau du sport qui est une formidable caisse de résonance pour promouvoir son pays à l'international.

Toutefois, à l'heure où l'ensemble de la communauté internationale ne condamne pas l'offensive russe, le nouvel ordre géopolitique mondial qui est en train de se construire aura nécessairement une répercussion sur la configuration de la planète sportive de demain. Et nul doute que la Russie de Vladimir Poutine s'appuiera encore une fois sur son sport power comme relai de sa politique diplomatique offensive.

Extrait du livre de Kévin Veyssière, « Mondial : Football Club Geopolitics - Tome 2 : 22 histoires insolites sur la Coupe du Monde de football », publié aux éditions Max Milo

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