Quand France Inter et Chemins d’Avenir inventent le « Young Washing », ou comment manipuler la jeunesse et l’opinion publique<!-- --> | Atlantico.fr
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France Inter et l'association Chemins d’Avenir ont co-organisé un évènement qui promettait un « dialogue sans filtre » entre la jeunesse et les candidats pour 2022.
France Inter et l'association Chemins d’Avenir ont co-organisé un évènement qui promettait un « dialogue sans filtre » entre la jeunesse et les candidats pour 2022.
©PATRICK KOVARIK / AFP

Echanges avec les candidats

Le 22 février, France Inter et la toute jeune association Chemins d’Avenir ont co-organisé un évènement qui promettait un « dialogue sans filtre » entre la jeunesse et les candidats à la Présidentielle. Entre questions imposées, dépolitisation et infantilisation, zoom sur le traitement de la jeunesse en période électorale…

Jade Bernard-Grignola

Jade Bernard-Grignola

Jade Bernard-Grignola est membre du réseau des masters du Labex SMS, de l’université Toulouse – Jean Jaurès.

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Maël Pousset

Maël Pousset

Maël Pousset est trésorier national du MRJC.

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Paris, 22 février 2022, 9h. Le hall de la Maison de la radio est envahi par une foule hétéroclite, à la moyenne d’âge bien plus basse que ce que doit connaitre habituellement ce bâtiment. Les jeunes, fraichement affublés d’un badge numéroté de 1 à 7, sont rangés sagement par petits groupes, en sécurité grâce à l’accompagnement des référents de Chemins d’Avenir. A l’ouverture du studio 104, leurs voix couvrent le brouhaha : « Allez les C7, on peut avancer ». Chacun assure parfaitement sa mission en guidant « ses » 14 jeunes jusqu’à leur place attitrée dans la salle. Cette ambiance de colonies de vacances ou de sortie scolaire concerne pourtant des jeunes de 16 à 25 ans.

Quelques semaines plus tôt, ils avaient été contactés, par l’intermédiaire de 28 associations (dont le MRJC), par Chemins d’Avenir pour participer à un échange avec les candidats à la Présidentielle. Une grande consultation avait été lancé dans la foulée, se résumant à un tableau partagé par mail, dans lequel chacun pouvait mettre les questions qu’il souhaitait poser. La centaine de jeunes avait donc émis plus de 450 questions, plus ou moins longues, plus ou moins élaborées, plus ou moins techniques. La démarche participative avait vite tourné vinaigre avec l’envoi 5 jours avant l’évènement d’un mail récapitulatif à chaque jeune, précisant la question et le/la candidat.e qui leur étaient imposés. Bien qu’une partie des jeunes s’étaient vu attribués une question qu’ils avaient eux-mêmes soumis, les autres jeunes avaient découvert avec stupeur que leur question avait été soit reformulée, soit vidée de son sens, soit tout simplement évincé pour une toute autre thématique. Ainsi, une question sur le foncier agricole questionnait désormais les propositions de la candidate pour l’installation des jeunes agriculteurs. Une autre passait de l’inclusion du handicap au pouvoir d’achat des jeunes. Pire encore, une question sur les féminicides devenait simplement une question sur la série préférée de Yannick Jadot.. Pour rassurer tous ces jeunes, l’équipe d’organisation avait pris le soin de les rassembler en visio-conférence une dizaine de jours avant. Après la classique présentation du déroulé de la journée, les jeunes ont pu bénéficier de la présence de Carine Bécard, journaliste politique à France Inter, animatrice de la journée, qui avait préparé une formation express au « journalisme ». « Surtout, au moment de poser votre question, vous devez absolument conserver votre neutralité. Pas de colère, pas d’agressivité, pas même de sourire, vous n’êtes pas là pour donner votre avis. » avant de conclure « Pensez bien à profiter du moment. Ces personnes que vous voyez habituellement à la télévision, elles seront là, devant vous, vous pourrez les voir de près, presque les toucher, vous les entendrez respirer. C’est une chance unique, ça n’arrivera qu’une seule fois dans votre vie ».

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C’est dans ce contexte que la journée « qui promet d’être géniale » se lance dans l’auditorium. Les dirigeantes de France Inter et de Chemins d’Avenir se succèdent à la tribune. « Profitez de cette journée les jeunes, c’est votre moment ». « Depuis de longues semaines, nous avons pensé cet évènement pour vous, c’est une chance unique que vous avez aujourd’hui ». Salomé Berlioux conclue sa prise de parole en rappelant à quel point il est primordial de laisser la parole aux jeunes dans le débat public, comme elle le clame à qui veut l’entendre depuis le début de cette campagne. L’organisation a même cru bon de faire venir Brice Teinturier, directeur d’un institut de sondage, pour qu’il puisse présenter aux jeunes présents leurs avis, leurs opinions et leurs aspirations. « Vous les jeunes d’aujourd’hui, voici ce qui vous préoccupe, et voici ce que vous pensez ». A 10h, le show peut enfin commencer, et c’est Fabien Roussel qui inaugure ce format : 1 candidat sur scène, 45 minutes, 14 jeunes, 14 questions. Chaque jeune dispose de 10 secondes pour se présenter et pour poser sa question. Le reste du temps est dévolu au candidat. Surtout, il est bien précisé qu’il n’y a pas possibilité de répondre ou de reposer une question complémentaire. « Le timing trop serré » vient légitimer l’absence de dialogue. A de nombreuses reprises, les candidats usent de leur talent oratoire pour éviter les questions. Seuls les deux journalistes présents sur scène peuvent se permettent de reformuler la question ou d’aller creuser une réponse qui semble fébrile. A une seule reprise, Carine Bécard demande à un jeune entrepreneur si la réponse formulée par Valérie Pécresse sur le soutien à la création des entreprises lui convient. Celui-ci, désarçonné par la question surprise, peinera à trouver ses mots. La journée se terminera par la conclusion de Thomas Snegaroff, le journaliste de France Inter, qui reprend les mots de Brice Teinturier le matin même : « Après ça les jeunes, je vous supplie d’aller voter, sinon ce sera une démocratie de senior ». C’est vrai qu’après cette journée, il apparait donc clairement que le problème dans l’histoire, ce sont les jeunes…

Maël Pousset et Jade Bernard-Grignola

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