Qatargate : Pier-Antonio Panzeri défendait également un oligarque d’Asie centrale…<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise le 12 décembre 2022, à Bruxelles, montre le logo de l'ONG Fight Impunity dirigée par l'ancien député européen italien Pier-Antonio Panzeri.
Une photo prise le 12 décembre 2022, à Bruxelles, montre le logo de l'ONG Fight Impunity dirigée par l'ancien député européen italien Pier-Antonio Panzeri.
©Jean Thys AFP

Corruption

Dans le cadre de l’enquête sur le « Qataragate », son principal protagoniste, Pier-Antonio Panzeri, a signé avec le parquet un accord lui garantissant le statut de « repenti ».

Claude Moniquet

Claude Moniquet

Claude Moniquet, né en 1958, a débuté sa carrière dans le journalisme (L’Express, Le Quotidien de Paris), avant d’être recruté par la Dgse pour devenir "agent de terrain" clandestin. Il exerce ainsi sous cette couverture derrière le Rideau de fer à la fin de l’ère soviétique, dans la Russie des années Eltsine, dans la Yougoslavie en guerre, au Moyen-Orient ou encore en Afrique du Nord. En 2002, il cofonde une société privée de renseignement et de sûreté : l’European Strategic Intelligence and Security Center. De 2001 à 2004, il a été consultant spécial de CNN pour le renseignement et le terrorisme, et est aujourd’hui consultant d’iTélé et RTL. Il est l’auteur, notamment, de Néo-djihadistes : Ils sont parmi nous (Jourdan, 2013) et Djihad : d’Al-Qaïda à l’État islamique (La Boîte à Pandore, 2015), de Daech, la Main du Diable(Archipel, 2016) et, avec Genovefa Etienne, des Services Secrets pour les Nuls (First, 2016). Il est également scénariste de bandes dessinées : Deux Hommes en Guerre (Lombard, 2017 et 2018). Il réside à Bruxelles.

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Près de deux mois après le début de sa partie visible, l’enquête sur le « Qataragate » est entrée dans sa vitesse de croisière. Son principal protagoniste, Pier-Antonio Panzeri, a signé avec le parquet un accord lui garantissant le statut de « repenti » : en échange d’aveux complets, précis et circonstanciés, il bénéficiera d’une peine allégée d’un maximum d’un an de prison ferme (assortie d’amende et de confiscations). Mais pour ce faire, il devra non seulement livrer le nom de tous ses complices et tous ceux qu’il a corrompu au Parlement européen (ou ailleurs) mais également de l’ensemble de ses commanditaires. Or, parmi ceux-ci, figure peut-être un ancien oligarque kazakh, Mukhtar Ablyazov, que Panzeri avait défendu lorsqu’il était encore député…

Le Parlement européen a voté à l’unanimité, jeudi 2 févier la levée de l’immunité du Belge Marc Tarabella et de l’Italien Andrea Cozzolino (tous deux socialistes, comme l’ensemble des autres suspects à ce jour…) dont les noms apparaissent dans les aveux de l’ancien député Pier-Antonio Panzeri et de son lieutenant, Francesco Giorgi, Tarabella étant particulièrement chargé par les corrupteurs. Le parlement européen tente donc de « faire le ménage » et affirme collaborer pleinement avec la justice après le séisme qui l’a secoué le 9 décembre lorsqu’une vaste opération de police a révélé qu’un ex-député européen (Panzeri) avait monté, avec quelques complices, une véritable « centrale » de corruption destinée à influencer ses anciens collègues. L’ex vice-présidente de l’assemblée, la Grecque Eva Kaili, son compagnon Francesco Giorgi, deux personnes de moindre importance dans le schéma criminel et, bien entendu, Panzeri sont déjà inculpés et détenus dans le cadre de ce dossier. 

Et les choses ne s’arrêteront sans doute pas là : d’autres noms de « suspects » circulent dans les couloirs du Parlement et un enquêteur ayant une bonne connaissance du dossier nous confiait très récemment qu’il fallait s’attendre à de nouvelle « surprises » dans un dossier qui en empêche, sans doute, plus d’un de dormir.

Mais l’enquête, si elle s’intéresse avant tout aux corrompus et aux corrupteurs, va aussi remonter les filières (entre autres en exploitant les documents, la téléphonie et les ordinateurs saisis lors de la vingtaine de perquisitions déjà effectuées, mais aussi en épluchant les comptes en banque et les déplacements des principaux protagonistes du dossier) dans le but d’identifier tous les commanditaires qui ont bénéficié de l’appui de Panzeri et cie.

A L’heure actuelle, on sait que le Maroc, la Mauritanie et (surtout) le Qatar sont les premiers dont les enquêteurs ont de bonnes raisons de croire (entre autres grâce à des écoutes téléphoniques réalisées en 2022)  qu’ils ont eu recours aux bons services de l’ancien député qui avait créé plusieurs ONG de « défense des droits de l’homme » à Bruxelles. Mais on dit avec insistance que d’autres pays et des personnes pourraient être ciblés. Le chapitre opérationnel (perquisitions, auditions de suspects et de témoins, arrestations) de l’enquête entamée en juillet ne fait donc que commencer, mais une autre piste pourrait bien intéresser les enquêteurs.

Une ONG qui défend des oligarques corrompus

Il est possible en effet, que Pier-Antonio Panzeri (et d’autres), aient été mêlés à un autre dossier sentant le soufre. Nous sommes en effet en mesure de révéler que M. Panzeri, lorsqu’il était député, s’est fortement démené autour du dossier du Kazakhstan. Il avait organisé de multiples évènements pour dénoncer la situation des droits de l’homme dans ce pays d’Asie centrale. Jusque-là, rien à dire : le bilan humanitaire du Kazakhstan était effectivement éminemment discutable au temps où l’inamovible Nursultan Nazarbayev régnait sur le pays (de 1991 à 2019). Et on pouvait donc, tout à fait légitimement s’intéresser à la question.

Ce qui est plus surprenant, ce sont les associés que M. Panzeri s’était trouvé dans cet autre combat. Il collaborait en effet étroitement avec une ONG bruxelloise – Open Dialogue Foundation (ODF) -, spécialisée dans la « défense des droits de l’homme » (comme l’organisation qu’il devait lui-même créer à sa sortie du Parlement). ODF – à laquelle nous nous étions déjà intéressé dans ces colonnes le 3 juin 2022 :A Bruxelles, une ONG opaque « défend la démocratie » et étend ses réseaux | Atlantico.fr) avait vu le jour en Pologne en 2009, sous les auspices de l’activiste Lyudmyla Kozlovska, une jeune militante
ukrainienne.

Nous soulignions à l’époque : «… il reste que certaines activités d’ODF posent question. Outre sa défense générale de la démocratie, l’organisation se livre également à une intense campagne sur quelques cas individuels. Et là, surprise ! On trouve, aux côtés de véritable militants exposés à une incontestable répression, quelques figures (fort) peu recommandables : Viaceslav Platon, homme d’affaires moldavo-russe et supposé architecte d’un grand mouvement de transferts de fonds hors de la Russie via du blanchiment d’argent, Aslan Gagiyev, fondateur de The Family , un groupe mafieux impliqué dans des meurtres sur commande, Nail Malyutin, extradé d’Autriche vers la Russie il y a quelque années pour une autre affaire de détournement mais présenté, lui aussi, comme injustement poursuivi et Muktar Ablyazov. »

Longtemps protégé par l’ancien Président Nursultan Nazaraiev, Ablyazov s’était brouillé avec lui et avait quitté le Kazakhstan après détouré plusieurs milliards de dollars des caisses de la banque qu’il dirigeait, BTA. Pour ces faits, il a été condamné dans son pays d’origine, mais également à Londres, (où il est l’objet de deux mandats d’arrêt en date du 16 février 2012 et du 25 juillet 2019) et d’autres procédures ont été ouvertes à New York et à Fairfax (Virginie) contre l’ancien banquier et ses complices accusés d’avoir blanchi l’argent détourné. Le 22 décembre dernier, un jury de New York l’a reconnu coupable d’un détournement de 218 millions de dollars au détriment de BTA. En Angleterre, des biens lui appartenant (entre autre une magnifique maison d’une valeur de 20 millions de livres, dans un quartier hyper-résidentiel de Londres…) ont été mise en vente par la justice il y a plusieurs années.

Ayant fui l’Angleterre, Ablyazov s’est réfugié en France où ses déboires judiciaires ont continué. Longtemps détenu en vue d’expulsion, il avait fini par être libéré  et par se voir reconnaître le statut de candidat réfugié politique par la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA), le 29 septembre 2020. Mais quelques jours plus tard, il était inculpé pour les faits de détournement et de blanchiment déjà évoqués.

Dans cette enquête, le parquet a requis le non-lieu pour cause de prescription, mais une mauvaise nouvelle attendait encore le milliardaire en fuite : Il y a quelques semaines, la CNDA revenait sur sa décision initiale et le déboutait de sa demande du statut de réfugié, arguant que son passé criminel ne lui permettait pas d’obtenir cette protection. Cette décision reste susceptible d’appel, mais la situation de l’ex-banquier est désormais des plus inconfortables.

Or il s’avère que Monsieur Ablyazov s’était trouvé un défenseur de poids en la personne de Pier-Antonio Panzeri, alors président de la Commission DROI du Parlement européen. Et ce, dès 2017. .

De gauche à droite, sur cette photographie prise en février 2017 au siège strasbourgeois du Parlement européen, Madina Abllyazova (fille de l’oligarque), son père Mukhtar Ablyazov, Lyudmila Kozlovska et Pier-Antonio Panzeri

Par ailleurs, Pier-Pier Antonio Panzeri a étroitement collaboré avec ODF et avec Lyudmila Kozlovska, non seulement dans la défense d’Abyazov, mais également dans d’autres dossiers intéressant l’association.

Cette collaboration s’est étendue à une avocate kazakhe, Botagoz Jardemalie (voir notre article déjà cité du 3 juin 2022), qui fut longtemps une très proche collaboratrice d’Ablyazov (notons que Madame Jardemalie n’a jamais été inculpée ni à plus forte raison condamnée pour les faits reprochés à son ancien patron).

Le 19 février 2019, à un « hearing » sur les droits de l’homme, au siège bruxellois du Parlement européen : au centre, Pier-Antonio Panzeri, deuxième à partir de la droite (et à l’écran), Botagoz Jardemalie.

Il a également joué un rôle de véritable lobbyiste pour ODF lorsqu’il était encore parlementaire et a présenté Lyudmila Kozlovska, Botagoz Jardemalie et Muktar Ablyazov à plusieurs de ses collègues, accréditant ainsi le fait que ce dernier était un authentique réfugié politique. Or, de très lourds soupçons pesaient, et de longue date, sur l’ancien oligarque qui avait déjà été condamné à Londres et était l’objet d’une enquête en France. Panzeri, lorsqu’il siégeait encore dans l’hémicycle, a aussi participé à la rédaction de plusieurs résolutions du Parlement européen qui étaient très dures pour le Kazakhstan (et dissuadaient ainsi les autorités européennes de jamais y renvoyer Muktar Ablyazov…)

Bien entendu, il peut ne s’agir ici que d’une simple coïncidence. Mais au vu de ce que l’on reproche aujourd’hui à Pier-Antonio Panzeri (et des preuves matérielles qui ont été découvertes à son domicile, à tout le moins cette somme de près de 600 000 euros cash) on est en droit de se poser la question : si Panzeri a bien été l’un des vecteurs principaux de la corruption Qatarie au parlement européen et marocaine, (ce qu’il avoue désormais sous son statut de « repenti » mais que l’enquête aura à confirmer), son soutien à la cause de Mukhtar Ablyazov a-t-il vraiment été totalement désintéressé ? En d’autres termes, s’il a été stipendié par le Qatar, ne faudrait-il pas poser la question de possibles liens entre lui et l’ancien oligarque kazakh?

Et ne pourrait-il avoir influencé ses collègues sur ce dossier (comme il est soupçonné de l’avoir fait au profit du Qatar), lorsqu’il siègeraient au parlement mais également depuis qu’il l’a quitté, par le biais, cette fois, de ses ONG et de ses réseaux ? Comment expliquer, sinon, certaines bizarreries pour le moins troublantes ? Comme le fait que Madame Arena, qui a succédé à M. Panzeri à la tête de la sous-commission des droits de l’homme du parlement (et qui était en relations très étroite avec son prédécesseur, ainsi qu’en témoignent les 400 conversations téléphoniques tenues pour la seule année 2020…) prenne la défense, peut-être en toute bonne foi, de Karim Massimov, actuellement détenu au Kazakhstan pour trahison ? M. Massimov a été premier ministre du Kazakhstan de 2007 à 2012 puis de 2014 à 2016. Entre 2016 et son arrestation, en janvier 2022, il présidait le KNB (les services de sécurité kazakhs) et est soupçonné d’avoir été étroitement associé à la corruption de l’ère Nazarbayev. Il est difficile de comprendre que les mêmes parlementaires aient attaqué ce pays sur sa gestion des droits de l’homme il y a quelques années et qu’ils prennent aujourd’hui la défense de l’un des hommes qui a été directement responsable de la répression qu’ils dénonçaient…

Madame Arena, qui, à ce jour, n’est pas inquiétée et proteste de son innocence, a annoncé le 11 janvier dernier, qu’elle quittait « définitivement » la présidence de la Commission droit de l’homme du parlement européen.,

La piste des connections entre Pier-Antonio Panzeri et Muktar Ablyazov et de la mise de ses réseaux au service de l’oligarque déchu pourrait expliquer beaucoup de choses.

Elle mériterait, en tout cas, d’être suivie : « C’est, en effet, l’une des nombreuses pistes qui nous intéressent.. » , nous confie l’enquêteur déjà cité…

Claude Moniquet

Note : Mis à part Mukhtar Ablyazov, déjà condamné à de multiples reprises, toutes les personnes citées dans cet article, à l’exception de Pier-Antonio Panzeri en aveux et sous statut de repenti, sont présumée innocentes jusqu’à avoir été reconnues coupables par le jugement définitif d’une cour de justice.

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