Proportionnelle + partis en déliquescence : attention cocktail explosif pour la démocratie<!-- --> | Atlantico.fr
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élection vote proportionnelle
élection vote proportionnelle
©LUDOVIC MARIN / AFP

Emiettement de la représentation

Si l’idée de créer une coalition autour de LREM pour pallier la faiblesse du mouvement présidentiel est politiquement habile, la volonté du gouvernement d’introduire une dose de proportionnelle alors qu’il n’existe plus de partis de masse en état de marche pourrait se révéler démocratiquement explosive.

Guillaume  Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

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Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Atlantico.fr : Lors d’une interview accordée à BFMTV, le ministre de l’Intérieur confirme que le gouvernement travaille à l’introduction d’une proportionnelle aux élections législatives. Est-ce la solution pour une meilleure représentativité du corps électoral actuellement ? La démocratie peut-elle s’en sortir renforcée ? 

Guillaume Bernard : C’est une lapalissade de la science politique que de considérer (ce qui est globalement vrai) le scrutin proportionnel comme permettant une meilleure représentation des différents courants d’opinion (encore qu’un seuil, en-deçà duquel aucun siège n’est obtenu, peut être fixé, ce qui diminue le nombre de listes ayant des élus et que le système de comptage des voix et d’attribution des sièges permette de favoriser la liste ayant obtenu le plus de suffrages au détriment des autres). De manière générale, la proportionnelle permet d’éviter une trop grande déformation des résultats que provoque le scrutin majoritaire qui amplifie la victoire (en nombre d’élus) du courant majoritaire (en termes de voix) puisque les suffrages qui se sont portés sur les candidats vaincus sont passés par pertes et profits. Avec le scrutin majoritaire, la distorsion entre les suffrages exprimés et les sièges obtenus peut être encore aggravée lorsque les candidats sont élus (avec une majorité relative) dans le cadre d’une triangulaire.

Par conséquent, il n’apparait pas infondé que le gouvernement prépare, à l’initiative d’Emmanuel Macron, une modification du droit électoral pour que les Français se sentent plus fidèlement représentés. Il est toutefois vraisemblable que ce ne sera pas la proportionnelle intégrale (et à un tour) qui sera mise en place pour les législatives mais, sur le modèle allemand, une dose seulement de proportionnelle qui sera introduite : la majorité des députés continueront à être élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours (pour que continue à fonctionner le « phénomène majoritaire » qui veut qu’un président de la République nouvellement élu obtienne une majorité parlementaire à sa botte) tandis que quelques autres (20 % de l’assemblée ?) seront élus au scrutin de liste (nationale ?, locale ?) à la proportionnelle. Autrement dit, cela ne changera presque rien. Cela permettra seulement à des partis ayant des difficultés à avoir des élus au scrutin majoritaire d’en obtenir quelques-uns. En faisant cela, Macron cherche sinon à acheter la docilité du moins à obtenir une neutralité (reconnaissante) de certains partis (y compris et peut-être surtout d’opposition).

On est très loin de ce que pourraient attendre de nombreux Français. Une en particulier mais que les partis politiques (soucieux de conserver la main mise sur la désignation des élus cooptés au sein de leurs instances) refusent avec obstination : la possibilité pour les électeurs de changer l’ordre des noms sur les listes, d’en rayer certains et de panacher avec des candidats issus d’autres listes. Cela supposerait que le comptage des voix (ce qui est techniquement très facile avec l’outil informatique) se fasse pour chacun des candidats et non pas liste. Par exemple, aux européennes de 2019, un électeur aurait pu voter pour François-Xavier Bellamy tout en rayant certains noms proposés par LR et les remplacer par d’autres candidats présents sur d’autres listes comme celle du RN…

Olivier Rouquan : La démocratie, dépend d’une juste participation du peuple à la décision politique. A notre époque, cela signifie que le suffrage doit être universel et le plus souvent direct, et aussi que les électeurs puissent choisir en fonction de leurs préférences politiques. De plus en plus, cela implique qu’ils puissent aussi décider au-delà des élections. Passons sur ce dernier point.

La technique du mode de scrutin doit donc résoudre l’équation : permettre la représentation des tendances politiques variées d’une part, tout en ne rendant pas impossible l’émergence d’un ordre majoritaire. Nous sommes attachés en effet sous la Ve République à la démocratie majoritaire dans laquelle une coalition ou un parti est en mesure de soutenir durablement un gouvernement.

Le scrutin utilisé actuellement permet de remplir cette mission au détriment de la représentativité des partis, ou minoritaires ou d’opposition. Depuis longtemps, l’idée est donc d’ajuster le mode de scrutin pour permettre à des partis obtenant des résultats supérieurs à 5% d’être moins sous-représentés. Pour autant, il faut veiller à ne pas fragmenter outre mesure l'assemblée nationale, sans quoi les coalitions gouvernementales seront instables. Tout est dans le dosage de la part majoritaire vs part proportionnelle. Les communes et régions ont réussi jusqu’à présent ce dosage.

Alors que la plupart des partis français sont en état de déshérence, n’y-a-t-il pas un risque de piratage du débat public avec la proportionnelle ? 

Guillaume Bernard : Le scrutin proportionnel n’est certainement pas doté de toutes les vertus. Il a principalement deux défauts qui sont importants en eux-mêmes, mais qui deviennent vraiment très problématiques dans un contexte de forte abstention et de très faible adhésion aux partis (défiance des Français envers toutes les organisations politiques, nombre très limité de militants dans ces structures). D’une part, il donne un quasi-monopole aux partis politiques (qui sont des organisations « professionnelles » presqu’entièrement dédiées à cette tâche) pour désigner les candidats. Des citoyens lambda n’ont pas les moyens (ni en temps ni en argent) pour constituer des listes d’autant plus difficiles à mettre sur pied que la circonscription est étendue. D’ailleurs, réduire le nombre des députés élus au scrutin majoritaire et donc agrandir la taille des circonscriptions dans lesquelles ils seront élus (comme semble vouloir le faire Macron) renforcera encore le poids des professionnels de la politique au détriment des (quelques) candidats indépendants susceptibles d’être élus sur leur seul nom et non sur une étiquette partisane.

D’autre part, le scrutin proportionnel conduit à ce que les coalitions se forment n’ont pas lors de l’élection (désignation d’un candidat commun, désistement au profit d’un autre lors d’un second tour) et donc au vu et au su de tous, mais une fois les élections passées et donc derrière le dos des électeurs. Il pousse donc les partis à défendre, en premier lieu, leurs intérêts de boutique : ils cherchent avant tout à démontrer leur supériorité moins vis-à-vis de leur adversaire (du camp adverse) que de leurs concurrents (de leur propre camp).

En introduisant ne serait-ce qu’une dose de proportionnelle, Emmanuel Macron sait bien qu’il va semer la zizanie dans tout le spectre politique en contribuant à l’émietter. Tous les partis, y compris les plus petits, vont chercher à tenter leur chance. Cela va enrayer et retarder le processus de recomposition des forces politiques (en particulier la division de l’électorat véritablement de droite, artificiellement éparpillé entre plusieurs partis : LR, PCD, DLF, RN…). En se donnant des airs de permettre une meilleure représentation des différentes sensibilités politiques, Macron va affaiblir (en l’encourageant à rester divisée) la concurrence alors que celle-ci pourrait être en capacité, s’il elle était unie, de l’évincer du second tour de la présidentielle. Il faut saluer cette machiavélique tactique : chapeau l’artiste !

Olivier Rouquan : La notion de piratage semble floue. Il peut être remarqué que le décalage entre l’état de l’opinion et la représentation nationale est sans doute l’une des sources des débordements récurrents du débat public dans la rue, ce qui devient une spécialité nationale. Une meilleure représentation des forces alternatives et une correction de la part majoritaire - par exemple totalement disproportionnée aujourd’hui par rapport au poids de la LREM dans le pays - permettraient sans doute au parlement d’être davantage la chambre d’écho des débats du pays et de limiter les expressions incontrôlées de mécontentements – cf. Gilets jaunes. Cela ne résoudrait pas tout, mais la proportionnelle offrirait une correction démocratique à notre système électoral trop majoritaire. Encore, une fois, il faut bien calibrer le dosage.

L’émiettement de la représentation peut-elle amener un écart trop important avec la superpersonnalisation du pouvoir présidentiel ?

Guillaume Bernard : Que cela soit jugé ou non rationnel, les Français considèrent que les choix politiques majeurs sont décidés lors de la présidentielle. C’est d’ailleurs l’élection où il y a le plus de participation (même si celle-ci a, en 2017, baissé, comme en 1969, entre le premier et le second tour), ce qui est significatif. Le scrutin suivant (a priori les législatives) ne fait qu’entériner le résultat de l’élection du chef de l’État (les électeurs ayant perdu la présidentielle se démobilisant). Par conséquent, une Assemblée nationale élue, même pour partie seulement, à la proportionnelle, risque de peser encore moins lourd qu’aujourd’hui face à un Exécutif élu au scrutin majoritaire.

Or, il existe un moyen, à la fois (je n’ose dire « en même temps »…), de donner (ne serait-ce que symboliquement, mais c’est important) du poids aux députés, de permettre une meilleure représentation des différents courants politiques majeurs et de favoriser la recomposition du spectre politique (par l’obligation tant pour les électeurs que pour les candidats potentiels de dire de qui ils sont et le plus proche et le plus éloigné) : c’est le scrutin majoritaire uninominal à un tour. Peu de politiques et d’analystes ont soutenu ou soutiennent cette solution. Il y eut Michel Debré. En toute modestie, il y a, aujourd’hui, l’auteur de ces lignes (il est assez seul à se prononcer en sa faveur).

Une remarque finale, en trois temps, permettra au lecteur d’y réfléchir avant de pousser des cris d’orfraie :

- parce qu’il est uninominal (et s’il se tient dans des circonscriptions relativement petites), ce scrutin limite la prise en otage des électeurs par les partis politiques (des candidats indépendants peuvent émerger) ;

- parce qu’il est à un seul tour, ce scrutin interdit les combinaisons politiciennes (antidémocratiques) ayant uniquement pour objectif d’empêcher une force politique pourtant d’importance d’avoir des élus (comme le prétendu « Front républicain » contre le Front national) ;

- parce qu’il est majoritaire (il faut arriver en tête pour gagner), il contraint les forces politiques à raisonner en terme de proximité doctrinale et non sur la base d’intérêts partisans et donc à se rassembler, à se réorganiser (il peut donc être un instrument de la recomposition su spectre politique sur des bases « programmatiquement » claires).

Olivier Rouquan : Vous remarquerez que la personnalisation du pouvoir existe sans la proportionnelle et que la fragmentation des groupes majoritaires aussi… La proportionnelle peut renforcer le Parlement si les députés issus de tendances plus variées qu’aujourd’hui, en font un usage constructif, c’est-à-dire sont en mesure de forger des coalitions de gouvernement et non pas seulement de défaire des équipes ministérielles.

C’est pourquoi l’introduction d’une dose de proportionnelle doit s’accompagner d’une révision de la motion de censure, en s’inspirant par exemple de la motion constructive: des coalitions de groupes mécontents ne peuvent destituer un gouvernement en place, qu’en étant en mesure de proposer une alliance exécutive de rechange. A cette condition, la meilleure représentation des sensibilités politiques au parlement redonnera du poids aux assemblées dans la négociation des équilibres avec le gouvernement et cela relativisera l’hyper-présidentialisme renforcé par le quinquennat…

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