Procès Paty : le sommet de l'Etat ne défend ni la République ni la laïcité<!-- --> | Atlantico.fr
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La mansuétude des peines lors du procès Paty interroge.
La mansuétude des peines lors du procès Paty interroge.
©Thomas COEX / AFP

Modèle républicain

Des peines de quatorze mois de prison avec sursis à six mois de prison ferme, aménagés sous bracelet électronique, ont été prononcées ce vendredi contre les six anciens collégiens jugés pour leur implication dans l’assassinat du professeur Samuel Paty. Derrière la mansuétude du verdict, le problème ne vient-il pas du sommet de l’Etat, de la magistrature et de l’Éducation nationale ?

Stéphane Rozès

Stéphane Rozès

Stéphane Rozès est président de Cap, enseignant à Sciences-Po Paris et auteur de "Chaos, essai sur les imaginaires des peuples", entretiens avec Arnaud Benedetti.

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Atlantico : Le tribunal de Paris a condamné vendredi six collégiens jugés pour leur implication dans l'assassinat de Samuel Paty à des peines de 14 mois de prison avec sursis à six mois de prison ferme. La peine de prison ferme concerne l'adolescent qui avait désigné le professeur à son bourreau. Que penser de ce verdict ?

Stéphane Rozès : C’est un très mauvais signal envoyé à la nation de la part du sommet de l’État. Les Français se souviennent de la décapitation de ce professeur par un terroriste islamiste pour avoir fait son métier d’enseignant. Ils se souviennent de la campagne mensongère qui l’avait précédée. Ils se souviennent également que loin d’être protégé par sa hiérarchie de proximité et l’Éducation nationale, il avait été critiqué par ses supérieurs. Il devait quitter son école en se cachant sous une capuche. Samuel Paty était pourtant, comme tant d’autres, un serviteur de la République et de la laïcité. Il était bienveillant envers ses élèves, rigoureux, allant se documenter à l’Institut du monde arabe, expliquant à ses élèves en quoi Charlie hebdo, journal satirique en caricaturant toutes les religions dans la tradition française depuis Rabelais et Voltaire, ne discriminait pas les croyants, dont les musulmans, mais se livrait à l’esprit critique à l’égard des religions conforme à notre tradition et licite chez nous.

Il se devait d’éclairer, transmettre et faire des futurs citoyens. Il savait que seuls la République et la laïcité étaient la condition de l’intégration, de la coexistence entre tant de religions différentes chez nous, entre elles, entre croyants et incroyants. Les islamistes qui veulent instaurer la suprématie de la loi de Dieu sur la loi des Hommes nous combattent jusqu’à tuer.

L’assassinat de Samuel Paty aurait pu être évité. Il est la conséquence d’une longue suite de renoncements et lâchetés de la part des autorités. L’islamisme progresse par la peur suscitée par ses terroristes. Depuis la décapitation de Samuel Paty, l’auto-censure des enseignants a encore progressé. Pourtant un discours juste et clair sur la République et la laïcité, dont les fondements anthropologues remontant aux celtes, latins et germains qui ont institué la France, recueillent la compréhension de l’immense majorité des élèves. J’ai pu l’éprouver dans un lycée de Chartres deux années consécutives lors des journées Samuel Paty, puis également Dominique Bernard.

La mansuétude de la justice à l’égard des complices de l’assassinat de Samuel Paty envoie un message de faiblesse aux islamistes et à leurs idiots utiles alliés objectifs et compagnons de route. Elle conforte leurs stratégies de prosélytisme, pression et terreur par le bas pour progresser dans les institutions et en changer la nature. Elle désarme les enseignants et confirme que le sommet de l’État ne défend plus dans les faits la République et la laïcité et leurs serviteurs. Le sommet de l’État plonge la nation dans un état d’insécurité culturelle à laquelle cette dernière ne peut se résoudre.

En matière de République et de laïcité, la mansuétude du verdict au procès de l’assassinat de Samuel Paty ne confirme-t-elle pas que le problème ne vient pas de la nation mais du sommet de l’Etat, de la magistrature, de l’Éducation nationale et de l’Élysée ?

La nation demeure dans ses fondamentaux très majoritairement, en témoignent les études d’opinions, républicaine et laïque. Malheureusement si les islamistes ont pu prospérer dans les quartiers et dans les écoles depuis l’arrivée des islamistes du FIS, c’est du fait du laxisme migratoire, de l’inculture des gouvernants de gauche et de droite sur ce que sont les peuples et le nôtre, de la complaisance politique et clientéliste des islamo-gauchistes et du renoncement du néolibéralisme de construire un avenir commun par le politique. L’islamisme et l’antisémitisme se déploient à l’abri du wokisme, voiture balai idéologique du néolibéralisme qui prospère dans la petite bourgeoisie intellectuelle en quête d’une nouvelle fonction sociale et de nouvelles victimes à protéger. Le wokisme essaime dans les universités, les Sciences-po, une partie des médias, de la magistrature et de la classe politique à LFI, EELV et une partie du PS. 

Est-ce qu’à travers ce verdict transparaissent les irresponsabilités politiques ?

Oui, mais je voudrais préciser la nature de ce qui advient pour ne pas se tromper d’analyse au-delà du constat commun. L’attitude de l’État à l’égard de l’islamisme est une expression saisissante mais non la cause de notre malheur. L’État doit en principe défendre la nation dans ses composantes essentielles. S’il ne le fait pas c’est que le sommet de l’État depuis trois décennies opère une transformation silencieuse de retournement contre l’imaginaire de la nation et ses intérêts d’où notre dépression morale, décomposition politique, effondrement économique, gaspillages et précarisation sociales.

L’imaginaire de la nation est projectif et universaliste. Son moteur est une dispute politique commune pour dénaturaliser nos origines, statuts et classes sociales et construire un avenir commun par le politique. La République, la laïcité et les institutions de la Vème République en sont les expressions et leviers politiques.

Or depuis trois décennie le sommet de l’État, l’Élysée, Matignon, Bercy, relaie des gouvernances néolibérales de l’Union européenne, adaptées à l’imaginaire allemand. Ils mènent les politiques édictées à Bruxelles qui voudraient, au nom de notre survie, que nous nous adaptions continuellement à des nécessités et règles économiques. Les Français disent oui avec la tête et non avec les tripes ? Chez nous, le mouvement, la réforme ne sont pas une finalité mais un moyen au service d’une vision politique construite politiquement.

C’est parce que le sommet de l’État tourne le dos à l’imaginaire et à l’intérêt national de la nation que ses formes politiques,la République et la laïcité, sont abandonnées, se délitent et que ses ennemis, les islamistes, ne sont pas combattus politiquement en donnant à nos jeunes un avenir commun et juridiquement. C’est une des thèses explicitées dans mon dernier livre.

Cela fragilise-t-il notre modèle républicain et la défense de la laïcité face à la pression des islamistes alors que, selon les sondages, une majorité des musulmans se prononcent contre la laïcité et que les Français estiment que l’islam n’est pas compatible avec la démocratie ?

L’islamisme est un effet de la rencontre de l’islam avec la modernité à partir des années 1920. Pour permettre les évolutions théologico-politiques de l’islam, condition de sa modernisation en opérant une césure entre le temporel et le spirituel, il faut que cette religion, comme les autres religions autrefois, se confronte à des modèles politiques prometteurs. La République en est le meilleurs cadre. Il a inspiré autrefois nombre de pays musulmans C’est parce que la République est abandonnée en théorie et pratique par les classes dirigeantes et le sommet de l’État et la plupart des intellectuels que l’islamisme prospère parmi les musulmans. Ce n’est pas la République qui fait l’islamisme, c’est son délitement.

Les conséquences politiques de cette crise seront-elles lourdes ? Alors que le chef de l’État en appelle à l’unité nationale et à une initiative en janvier, Emmanuel Macron porte-t-il cette responsabilité ?

Depuis sa non-participation à la Marche contre l’antisémitisme, puis ses justifications de nature communautariste et enfin pour couronner le tout la célébration d’un office religieux à l’Élysée, le Président Macron porte au sommet de l’État une terrible responsabilité dans ce qui advient.

Il devait a minima rappeler et incarner la République et la laïcité. Il fait l’inverse. Au lieu de porter des principes, il institue un « en même temps » comme forme de gouvernance. Il signifie au pays qu’il oscille selon ce qu’il croit être, à tort, le plus fort de l’instant. Le plus fort ce sera le peuple français et la nation. Cette dernière n’est pas constituée de minorités à qui il faudrait faire plaisir alternativement. La nation est constituée de citoyens dont le Président doit être au dessus et non au milieu. Le Président Macron au contraire envoie comme message aux cupides, identitaristes et séparatistes qu’ils peuvent poursuivre dans leur loi du plus fort à tous les étages de la société.

Son rendez-vous en janvier va masquer l’essentiel de la racine de la crise de la République dont il est le relais et l’amplificateur. Les institutions européennes vont vouloir mettre fin au droit de véto d’une nation dans les décisions qui engagent l’essentiel de nos vies. Si cela se faisait, cela porterait un coup fatal à la souveraineté nationale. Rappelons que, contournée depuis trois décennies, la souveraineté nationale est la condition de la souveraineté populaire et de la démocratie.

On ne peut en même temps utiliser le mot « République » lors d’opérations de communication maladroites et hiératiques et en saper les fondements et conditions en institutionnalisant définitivement l’irresponsabilité des politiques. Le politique est ce qui depuis des siècles nous tient ensemble. Soit la nation trouvera les moyens de le refuser, soit elle reprendra la maîtrise collective de son destin, soit l’État sera remis au service de la nation, soit le chaos adviendra.

Entretien pour Atlantico avec Stéphane Rozès, Président de Cap, ancien DG de l’institut de sondage CSA et enseignant à HEC, enseignant à Sciences-po Paris. Auteur de « Chaos, essai sur les imaginaires des peuples, entretiens avec Arnaud Benedetti ».

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