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Procès de l’attentat de Villepinte : l’Iran en ligne de mire
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Justice

C’est ce vendredi, à Anvers, que s’ouvre le procès de la tentative d’attentat de Villepinte, en juin 2018. L’attention se concentrera plus particulièrement sur l’un des accusés, un diplomate iranien qui comparaît en dépit des pressions et des menaces exercées sans interruption depuis deux ans par Téhéran pour le faire libérer.

Claude Moniquet

Claude Moniquet

Claude Moniquet, né en 1958, a débuté sa carrière dans le journalisme (L’Express, Le Quotidien de Paris), avant d’être recruté par la Dgse pour devenir "agent de terrain" clandestin. Il exerce ainsi sous cette couverture derrière le Rideau de fer à la fin de l’ère soviétique, dans la Russie des années Eltsine, dans la Yougoslavie en guerre, au Moyen-Orient ou encore en Afrique du Nord. En 2002, il cofonde une société privée de renseignement et de sûreté : l’European Strategic Intelligence and Security Center. De 2001 à 2004, il a été consultant spécial de CNN pour le renseignement et le terrorisme, et est aujourd’hui consultant d’iTélé et RTL. Il est l’auteur, notamment, de Néo-djihadistes : Ils sont parmi nous (Jourdan, 2013) et Djihad : d’Al-Qaïda à l’État islamique (La Boîte à Pandore, 2015), de Daech, la Main du Diable(Archipel, 2016) et, avec Genovefa Etienne, des Services Secrets pour les Nuls (First, 2016). Il est également scénariste de bandes dessinées : Deux Hommes en Guerre (Lombard, 2017 et 2018). Il réside à Bruxelles.

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Le 30 juin 2018, dans l’est de Bruxelles, les forces spéciales de la police interceptaient un véhicule à l’intérieur duquel circulait un couple de Belges d’origine iranienne, Amir Saadouni et Naslameh Naami.

Dans le coffre de la voiture, on découvrait une bombe de 500 grammes, à base de TATP – un explosif artisanal très prisé des terroristes car il peut être fabriqué ave des produits se trouvant en vente libre dans le commerce – et son détonateur. Le tout prêt à l’emploi. Au moment de l’intervention des forces de sécurité, Saadouni et Naami étaient en route pour la banlieue de Paris où la bombe devait détonner à Villepinte, le lendemain, au cours du meeting annuel des Moudjahidines du peuple (MEK), la principale organisation d’opposition iranienne.

Cette opération ne devait rien au hasard : elle était le résultat d’un renseignement parvenu cinq jours plus tôt, le 25 juin, aux services belges et d’une étroite et fructueuse coopération entre les services de police et de renseignement belge, français, luxembourgeois et allemand. Entre le 26 et le 30 juin, le couple avait été suivi pas à pas, et c’est cette opération minutieuse qui permettait l’arrestation, dans les jours qui suivait d’Assadollah Assadi.

Un diplomate dans la tourmente

Et c’est là que les choses deviennent réellement intéressantes : Assadi n’est pas n’importe qui : « diplomate » attaché à l’ambassade d’Iran à Vienne, mais en fait officier supérieur du MOIS (« Ministry of Intelligence and Security », les services secrets iraniens), il dirigeait, depuis la capitale autrichienne, l’ensemble des opérations de renseignement de subversion et de terrorisme (essentiellement dirigées contre l’opposition en exil) de la République des mollahs en Europe. Seule erreur de ce « maître espion » : il avait oublié que son immunité diplomatique ne le couvrait pas en Allemagne où il se trouvait en vacances avec sa famille…   

Au terme d’une courte bataille judiciaire et en dépit des intenses pressions diplomatiques de Téhéran, Assadi était extradé vers la Belgique dans le courant de l’été. Il est en préventive depuis près de deux ans et demi.

Des sources judiciaires belges nous affirment que la condamnation d’Assadi semble « inévitable » au vu des éléments à charge dans le dossier.

D’abord, bien entendu, il y a les aveux d’Amir Saadouni et de Naslameh Naami qui me mettent directement en cause pour avoir été, depuis des années, leur officier traitant. Réidant en Belgique depuis 2003, Saadouni avait obtenu en 2010 le statut de réfugié politique en 2010 (après cinq refus) à titre « humanitaire » et avait été naturalisé en 2015.Son épouse était arrivée, elle, en 2007. Chose curieuse pour un réfugié politique, il est acquis que son mari s’était rendu, au moins une fois, en 2015, dans son pays d’origine, elle-même visitant l’Iran en 2017.

Pour la Sûreté de l’Etat belge, « Ce point est une indication (mais pas une preuve absolue) de contacts possibles avec les services de renseignements iraniens ».

En fait, le Saadouni et (sans doute dans une moindre mesure) Naami étaient des « taupes » du MOIS, chargées de pénétrer l’organisation des Moudjahidines du Peuple.

Leur train de vie a de quoi interpeller : Naami était femme de ménage et Saadouni inscrit au chômage mais ils possédaient deux véhicules et louaient deux appartements ; de plus d’importantes sommes en liquide (36 000 Euros) ont été découvertes à leur domicile.

Non contents d’affirmer qu’ils recevaient leurs ordres d’Assadi, les deux belgo-iraniens confirment que c’est bien eux qui leur a ordonné de placer la bombe à Villepinte et qu’il leur a, lui-même, remis l’engin explosif lors d’un rendez-vous à Luxembourg, le 28 juin 2018. Un fait corroboré par  une observation transfrontalière effectuée par des policiers belges et luxembourgeois. Un « contrôle routier » permettait aux Luxembourgeois d’identifier formellement celui que le coupe appelle « Daniel », comme étant « M. ASSADI Assadollah, né le 22/12/1971 en Iran, de nationalité iranienne ».

Dans les jours qui précédèrent l’attentat projeté, l’enquête révèle de nombreux contacts téléphoniques entre la ligne d'Amir Saadouni et le numéro de téléphone autrichien 436602276681, utilisé par Assadolah Assadi. Le 28 juin 2018, entre autres, entre 20h10 et 20h25, un échange de SMS était intercepté entre la ligne 32485508387 utilisée par Amir Saadouni (ci-après "T1") et la ligne 436602227681 d’Assadollah Assadi (ci-après "T2") :

T2 :" Le jeu est installé ? »

T1 : "Oui, le jeu est installé"

T2 : "On y va dimanche. »

T1 : "OK, espérons que j'y aille de 11h30 à 20h pour jouer au jeu. »

T2 : "Il faut que tu viennes aussi, pour qu'on puisse jouer ensemble, c'est sûr. »

T1 : "Je viens définitivement, on va jouer à l'internat. »

T2 : "OK, bye. »

Puis :

T1 :" Oui, c'est mieux, 17h30 c'est mieux. »

T2 : "OK, 17h30, c'est bon. Votre équipe va gagner. »

En 2017 et 2018, il y a un intense trafic de courrier électronique entre Assadi (qui utilise la boîte aux lettres mishoo_boonty84 @ yahoo.com) et le couple Saadoumi-Naami ; lors de ces échanges, le projet d'attaque est évoqué en langage codé.

Autre élément intéressant : en juin 2017, un an avant l'attaque prévue, Assadi a loué un véhicule pour effectuer une « reconnaissance de cible » en France. Il s'est rendu à proximité du siège du CNRI à Auvers-Sur-Oise, mais aussi au centre de congrès de Villepinte et aux hôtels où les organisateurs et les invités seraient logés. Ces lieux ont été enregistrés sur un GPS TomTom, dont l'analyse montre qu'Assadi était à Villepinte le 29 juin 2017, deux jours avant la convention, le 1er juillet. Le 26 juin, vers 17h30, il se trouvait à proximité du siège du CNRI.

Enfin, on notera qu’à l'approche de la date de l'attentat prévu, Assadi a multiplié ses voyages à Téhéran : au cours des six premiers mois de 2018, avant son arrestation, il s'y est rendu à six reprises, alors qu'il n'y avait effectué que deux déplacements pour toute l'année 2014, trois en 2015 et trois en 2016.

Qui est Assadollah Assadi ?

Assadollah Assadi est né le 26 décembre 1971 à Khoramabad (ouest de l'Iran). Son père, Ali Assadi, y a occupé un poste politique et, pendant la guerre Iran-Irak, il était le chef local du soutien logistique. Il a suivi une formation militaire et se serait spécialisé dans les explosifs. Après la guerre, il a rejoint le MOIS où il a occupé différents postes avant d'être affecté en 2003 à l'ambassade d'Iran à Bagdad où il était plus particulièrement chargé de recueillir des renseignements sur l'opposition iranienne et de planifier des attaques contre les opposants au régime.

Le 23 juin 2014, il était nommé 3ème conseiller à l'ambassade d'Iran à Vienne.

Après son arrestation, la diplomatie de Téhéran s’est mobilisée : le régime tentera d’abord de s'exonérer de toute responsabilité dans l’affaire et d’exiger la libération d’Assadi puis, confronté aux preuves du dossier, il a tenté de répandre la rumeur selon laquelle Assadi était un « voyou » qui avait agi de sa propre initiative.

Pour quiconque connait la galaxie sécuritaire iranienne, ceci relève évidemment de l’impossibilité la plus absolue : deux organisations principales (le MOIS et les Gardiens de la Révolution ») sont impliquées dans la conception, la planification et la mise en œuvre des opérations de « terrorisme d’Etat » iraniennes qui sont décidées au plus haut niveau par le Guide suprême et le Conseil Suprême de Sécurité Nationale (CSSN).

Au sommet du régime

Dans un rapport publié il y a près de deux ans, j’écrivais : « Le coordinateur de l’appareil de sécurité est le Conseil suprême de sécurité nationale (en persan : Showrāye Āliye Amniyate Mellī). Cet organe est si important qu'un chapitre distinct de la Constitution lui est consacré.  Il est dirigé par le Président de la République qui choisit son secrétaire mais ses décisions ne sont effectives qu'après leur confirmation par le Guide suprême. Le Conseil est la plus haute autorité nationale (après le Guide suprême) pour toutes les questions liées à la sécurité, au renseignement et à la politique étrangère. Il prend toutes les décisions concernant les opérations terroristes et supervise leur réalisation et leur déroulement. »[1]

Le Conseil est formé de 12 membres permanents :  le Président de la République (Hassan Rouhani, qui fut également secrétaire de ce conseil de 1989 à 2005), le Secrétaire (Ali Shamkhani), également représentant personnel du Guide suprême, le Président du Parlement, le Président de la Cour suprême, un deuxième représentant du Guide suprême, le chef de l'état-major général, le chef de l'armée, le chef du Corps des Gardiens de la révolution islamique, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de l'Intérieur, le ministre du Renseignement, le responsable de l'organisation de la gestion et de la planification.

Tout ceci démontre clairement qu'en fin de compte, la réalité du pouvoir reste entre les mains du Guide suprême.  Ainsi, l'analyse byzantine de certaines chancelleries européennes qui tentent de faire la distinction entre les « purs et durs » et les « libéraux » ou même les « réformateurs » pour plaider en faveur d'un apaisement avec Téhéran est un pur non-sens : le centre du pouvoir est complètement verrouillé et sous contrôle.    

Dans ce cas particulier, diverses informations obtenues par l’opposition indiquent que le Conseil suprême de sécurité nationale avait pris la décision de mener l'opération de Villepinte depuis des mois. Celle-ci avait ensuite été ratifiée par le Guide suprême Khamenei. Par la suite, le MOIS avait été chargé de l'exécuter.

Mais, si Assadi a agi comme un officier loyal du MOIS, et si la subordination du MOIS au CSSN permet d'avancer avec certitude que toute l'opération a été ordonnée et contrôlée au sommet du régime et qu'Assadi n'est, en fin de compte, que le dernier maillon de la chaîne, reliant le centre du pouvoir aux exécutants sur le terrain, une responsabilité particulière doit être soulignée : celle du ministère des affaires étrangères.

Non seulement le ministre des affaires étrangères siège au sein du CSSN et participe donc à toutes ses décisions, mais, en outre, en fournissant à Assadi la couverture diplomatique lui permettant de bénéficier de l'immunité attachée à cette fonction, le ministère des affaires étrangères lui a donné les moyens d'agir. Et personne n'aurait pu l'ignorer, tant dans la gestion du ministère que dans celle de l'ambassade d'Iran à Vienne, puisque Assadi a été autorisé à voyager à travers l'Europe pour rencontrer ses agents et organiser ses opérations, ce qui n'avait évidemment rien à voir avec les occupations « normales » d'un conseiller d'ambassade en Autriche .  

De nombreux précédents, mais …une « première » mondiale

Il existe de très nombreux précédents dans lesquels des responsables iraniens ont été directement mis en cause pour la commission d’attentats en Occident.

Dans l'affaire de l'attentat à la bombe contre l'ambassade des États-Unis à Beyrouth (18 avril 1983), le tribunal de district américain de Washington D.C. a déclaré, le 30 mai 2003, que l'attentat avait été perpétré par le Hezbollah "avec l'approbation et le financement de hauts fonctionnaires iraniens". 

Dans l'affaire de l'attentat à la bombe de la caserne de Beyrouth (23 octobre 1983), le tribunal de district américain du district de Columbia a jugé, le 30 mai 2003, que l'Iran était légalement responsable d'avoir fourni au Hezbollah le soutien financier et logistique lui permettant de réaliser l'attentat.  Peu après le procès, l'avocat des familles des victimes a rendu publics des documents de l'Agence nationale de sécurité reliant les renseignements iraniens et l'ambassadeur iranien de l'époque à Damas, Ali-Akbar Mohtashemi, aux attentats. 

Dans le cas du meurtre de Kazem Radjavi, le frère aîné de Massoud Radjavi, fondateur et dirigeant du MEK, à Genève (24 avril 1990), les enquêtes de la justice suisse ont démontré que le meurtre avait été planifié par le gouvernement iranien et exécuté par 13 « diplomates » utilisant des « passeports de service » pour entrer dans le pays. Des mandats d'arrêt ont été émis contre les 13 « diplomates » et contre Ali Fallahian, le ministre des renseignements. 

Dans l'affaire de l'attaque de l'ambassade israélienne à Buenos Aires (17 mars 1992), les interceptions de l'Agence de sécurité nationale américaine ont révélé l'implication d'un haut fonctionnaire iranien et du commandant du Hezbollah Imad Mughniyah dans la planification de l'attentat. Six ans plus tard, en mai 1998, Mohsen Rabbani, ancien attaché culturel à l'ambassade d'Iran en Argentine, a été brièvement détenu en Allemagne, et le gouvernement argentin a expulsé sept diplomates iraniens. 

Après l’assassinat de plusieurs dirigeants kurdes de l’opposition, au « Mykonos », à Berlin,  (17 septembre 1992), un tribunal allemand a émis, le 10 avril 1997, un mandat d'arrêt international contre le ministre du renseignement, Ali Fallahian, déclarant qu'il avait directement ordonné les meurtres.

C’est, néanmoins, la première fois depuis la Révolution de 1979, qu’un diplomate iranien et officier supérieur du MOIS se trouvera en chair et en os dans le box des accusés, lors d’un procès pour terrorisme en Europe.

Ceci explique évidemment la véritable frénésie qui s’est emparée du sommet de l’Etat iranien. Le fait qu’Assadi soit jugé est déjà un camouflet pour l’Iran, mais sa condamnation serait un véritable séisme pour le régime.

Après les pressions, est donc venu le temps des menaces. Assadollah Assadi lui-même, au cours d’un entretien avec les enquêteurs qu’il avait sollicité, il leur a froidement déclaré que les Belges « ne réalisaient pas ce qui se passerait en cas de verdict défavorable » et a précisé que « des groupes armés, en Irak, au Liban, au Yémen, en Syrie mais aussi en Iran » suivaient de près la situation.

Et, ces derniers jours, le docteur Ahmed Reza Jalali, un citoyen suédois d’origine iranienne, qui a enseigné dans plusieurs universités européenne, dont la VUB, en Belgique – Bruxelles est intervenu à maintes reprises pour obtenir sa libération  -  et a été condamné à mort pour espionnage à Téhéran en 2017 a été transféré dans une aile d’isolement pénitentiaire en vue de sa prochaine exécution.

L’augure de futures mesures de représailles en cas  de condamnation d’Assadi ou, si l’on est optimiste, de la préparation d’un futur échange ?

L’avenir le dira.

Ancien agent de la DGSE, auteur d’une vingtaine d’ouvrages consacrés à l’histoire, au terrorisme et au renseignement, Claude Moniquet est le cofondateur de l’European Strategic Intelligence and Security Center (ESISC). Il intervient dans ce procès au titre d’expert pour les partes civiles. 


[1] “The recent Iranian Terrorist plots in Europe”, ESISC, Février 2019, page 10.

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