Retrait des troupes
Présence stratégique française en Afrique : une débâcle s'amorce
La France a fait le choix de réduire ses effectifs militaires sur le continent africain. L'armée française a-t-elle la capacité de limiter l’influence des mercenaires russes de la société Wagner en Afrique ?
Xavier Raufer
Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date: La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers.
L'armée française quitte brutalement le nord-Mali : Kidal, demain Tombouctou. La société militaire privée russe baptisée "Wagner" (du fait, dit-on, des goûts musicaux de son fondateur) est à Bamako depuis le 5 octobre ; son armement - déjà 4 hélicoptères de combat MI-171 multi-rôles - y arrive au quotidien. Mais l'offensive sur le pré-carré français d'Afrique est plus vaste. Ce mois-ci, le président turc R. T. Erdogan entame une stratégique tournée en Angola, au Nigeria et au Togo, à l'objet limpide : avec lui, la direction du SSB, puissant pendant turc de notre direction générale pour l'armement.
Premier cas concret d'un "grand remplacement" de la France par un agressif bloc eurasiatique : le Togo. Là, le francophile chef d'état-major vient d'être viré ; son successeur, distant avec Paris, signe avec la Turquie un massif accord militaire. La société française formant les commandos togolais est bientôt remplacée par... des Turcs. Sur le terrain, nos experts officiels comme nos sources africaines craignent que, bientôt, la jadis continentale influence stratégique française ne se borne à la fin au Sénégal et à la Côte d'Ivoire.
Pour des chefs d'État africains, exaspérés par la pluie de critiques moralisantes venues d'Europe, souvent de Paris, la Russie et la Turquie rassurent : ces pays défendent bec et ongle ceux qu'ils protègent ; leur appui est pour ces gouvernants gage de stabilité. Exemple lumineux, Bachar al-Assad, vainqueur final d'une sauvage guerre civile made in Washington et financée par les pétromonarchies ; conflit sanglant que tous en Europe, notamment à Paris, voyaient Assad perdre dès 2012.
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Au nord-Mali comme ailleurs, la nature abhorre le vide. Le départ français y exige une reprise de contrôle, cruciale au premier chef pour Bamako et Alger. Tout se tient dans l'immense aire sahélienne : y assurer l'ordre, c'est pacifier à terme un espace continental aujourd'hui chaotique, de l'Atlantique à la Libye méditerranéennes.
Premier signe d'une plausible action "à la syrienne" assurant la reprise en main, d'abord, du nord-Mali : la formation d'un axe - soigneusement informel - Russie-Turquie-Algérie-Mali. Ce mois-ci encore - un signe de plus - des éléments de l'Armée nationale populaire algérienne s'entraînent en Ossétie du Nord (Caucase russe) avec leurs homologues russes, sur un polygone proche, soulignent des experts, de territoires similaires aux paysages du nord-Mali. Objectif proclamé de ces manœuvres ? "Rechercher, détecter et détruire des groupes armés illégaux"... Notons que si Alger est un constant client de l'armement russe, ces manœuvres communes sont sans précédent.
Que fait Paris ? Même des militaires de haut rang s'inquiètent des successives déclarations de l'état-major, entre "préparer les forces françaises à un engagement de haute intensité"... "intervenir dans un milieu fortement contesté" - décodeur, livrer une vraie guerre - et "gagner la guerre avant la guerre", agir sous le seuil du conflit pour freiner et paralyser l'ennemi. Deux missions certes cruciales dans le présent chaos mondial, mais exigeant chacune des hommes et des moyens - à présent chichement mesurés.
En tout cas, l'influence stratégique française devrait être défendue, voir accrue. L'outil de ce soft power était naguère l'Agence française de développement, institution financière de plus de 3 000 collaborateurs, surtout en Afrique, avec des milliards d'euros à dépenser - on n'ose plus dire investir - par an. Or désormais, l'AFD cajole le "non-souverain", secteur privé, société civile, collectivités locales, avec à présent "nettement plus de dons que de prêts", au rythme de "plus de cinq milliards d'euros par an" - c'est son directeur qui parle (L'Express, 8/10/2021). Soulignons : tout cela sans réelle exigence de résultats, "à la demande des pays" et "hors toute logique d'influence". Pour l'Afrique, "1000 projets par an, dans 44 pays". Derrière de chatoyants "éléments de langage", une affaire qui, concernant en priorité une Afrique accablée dès 2019 d'un cumul de dettes publiques de 1 400 milliards de dollars, revient peu ou prou à verser de l'eau dans un trou.
Situation aggravée par le fait que le président Macron agace l'Afrique. Peu avant qu'il ne soit assassiné, un éditorialiste du New York Times disait du président Kennedy, "Il a conquis l'intellect de l'Amérique, pas son cœur. Il n'a su faire penser le peuple américain comme lui pense ; il n'a su élever les Américains au-dessus de leurs sentiments privés, vers les idéaux qui sont les siens". Ce portrait critique vaut aujourd'hui pour une majorité de Français, face à leur sémillant président. Mais le sentiment des dirigeant africains est pire encore. Derrière les politesses diplomatiques d'usage, c'est d'exaspération qu'il s'agit en Afrique. Dès à présent, les Russes et les Turcs commencent à en profiter.
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