PME, TPE, bas revenus et retraités… La législation pour limiter le recours aux chèques risque de toucher essentiellement les plus fragiles<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Certaines catégories utilisent le chèque plus que d'autres. C'est le cas des seniors et des Français à revenus modestes, qui n'ont pas de carte de paiement et/ou qui n'ont pas l'habitude d'utiliser des monnaies électroniques ou les virements
Certaines catégories utilisent le chèque plus que d'autres. C'est le cas des seniors et des Français à revenus modestes, qui n'ont pas de carte de paiement et/ou qui n'ont pas l'habitude d'utiliser des monnaies électroniques ou les virements
©Reuters

Et chèque et mat

Ce jeudi 3 novembre arrive au Sénat le projet de loi Sapin 2 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique. Dans le cadre de cette loi, le gouvernement souhaite notamment limiter l'usage des chèques en France. Un objectif qui ne fera pas que des heureux, c'est certain.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »

Atlantico : Ce jeudi 3 novembre, le Sénat examine le projet de loi Sapin 2 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique. Dans cette loi figure une mesure rajoutée par le gouvernement contre l'avis des députés : la limitation de la durée de validité des chèques de 1 an à 6 mois, dans le but de restreindre l'usage du chèque en France. Concrètement, quelles pourraient être les catégories de population les plus impactées par une limitation de l'usage du chèque ?

Philippe Crevel : Il faut distinguer ici deux grandes catégories : les particuliers et les entreprises, sachant que la France est le plus gros utilisateur de chèques en Europe. En 2013, 71% des chèques émis au sein de l'Europe étaient français, les Français signant en moyenne 37 chèques par an, contre moins d'1 pour les Allemands !

En ce qui concerne les particuliers, nous sommes tous des utilisateurs de chèques, notamment pour payer nos impôts, nos loyers, nos relations avec l'administration, etc. Mais il est certain que certaines catégories l'utilisent plus que d'autres. C'est le cas des seniors et des Français à revenus modestes, qui n'ont pas de carte de paiement et/ou qui n'ont pas l'habitude d'utiliser des monnaies électroniques ou les virements pour effectuer leurs paiements.

Pour les entreprises, ce sont souvent les PME et les TPE qui utilisent les chèques, en particulier en raison de la gratuité et du fait que c'est parfois plus facile pour payer une facture par rapport au virement. Tout comme pour les particuliers, l'usage du chèque présente l'avantage de pouvoir allonger les délais de paiement. Cela vaut en particulier pour les TPE qui sont souvent en déficit de trésorerie (30% des TPE en France).

Alors que la France est le plus grand utilisateur de chèques en Europe, si jamais cette forme de monnaie venait à disparaître, doit-on s'attendre à des difficultés financières pour les individus utilisant beaucoup leur chéquier ?

Il y a deux difficultés financières à relever ici.

Premièrement, c'est la difficulté de régler ses factures sans ce moyen de paiement qu'est le chèque. Il va falloir que certaines personnes changent leurs habitudes.

Le deuxième aspect, c'est que les chèques permettent, comme nous venons de le voir, de différer les délais de paiement en demandant à ce qu'il soit encaissé plus tard. C'est un peu plus compliqué à faire avec un paiement numérique ou un virement. Certes, il existe des cartes de paiement à délai différé, mais elles ont un coût relativement important pour des revenus modestes.

Aujourd'hui, le chèque est utilisé en France parce qu'il est gratuit, ce qui n'est pas le cas à l'étranger. Cette gratuité, ajoutée à quelques éléments de souplesse, en ont fait évidemment un produit de paiement relativement usité par les Français.

Quels pourraient être les moyens de remplacement du chéquier ?

La question qui se pose, c'est qu'on a un produit qui est aujourd'hui gratuit, et toutes les alternatives imaginées jusque-là ont échoué. Cela fait partie des accès aux moyens de paiement. On a la monnaie fiduciaire (monnaie, billets), on a accès au chéquier gratuit, mais dès qu'on utilise d'autres moyens de paiement, il y a des commissions (sur les cartes de crédit, mais aussi parfois sur les virements). Donc, de facto, il faudrait imaginer en cas de suppression du chèque qu'il y ait des moyens de paiement très accessibles, admis par tous, et donc gratuits... Une carte bancaire gratuite ? Un virement gratuit ? Un paiement par téléphone portable gratuit ? Il y a ici une réflexion à engager de la part des pouvoirs publics et du système financier.

La limitation (et plus globalement la volonté de réduire l'utilisation) des chèques ne profitera-t-elle pas essentiellement aux banques ? Par quels mécanismes ?

Aujourd'hui, le chèque coûte un peu plus de 2 milliards d'euros aux banques. Le chèque est quelque chose de physique (un morceau de papier), il faut donc l'acheminer, le scanner, le conserver, etc. Ça prend de la place et ça coûte cher en manipulation et en gestion. Par ailleurs, les banques ne peuvent pas impliquer le coût du chèque directement sur ceux qui les utilisent. C'est donc évidemment un centre de coût pour les banques.

Avant, elles pouvaient se rémunérer sur les comptes courants, mais c'était avant que les taux d'intérêts soient négatifs. Aujourd'hui, elles ne peuvent plus. À l'étranger, les chèques étaient payants mais les banques donnaient des intérêts sur les comptes courants. En France, on avait un autre modèle, mais aujourd'hui les banques sont pénalisées par ce système. C'est pourquoi elles essaient de limiter l'utilisation des chèques, et les pouvoirs publics, face à la baisse du taux de marge des banques, ont également pris ce chemin.

Dernier aspect à évoquer ici : le chèque est très contesté par les banques et par les commerçants du fait des falsifications et des usurpations d'identité. C'est donc un mode de paiement en sursis et amené à disparaître assez rapidement.

Propos recueillis par Benjamin Jeanjean.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !