Pourquoi la nouvelle obligation des opérateurs télécoms à informer leurs clients du volume de données consommé ne repose sur aucun fondement sérieux<!-- --> | Atlantico.fr
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Des câbles sur des serveurs dans un centre de données du point d'échange Internet DE-CIX (Deutscher Commercial Internet Exchange) à Francfort-sur-le-Main, Allemagne.
Des câbles sur des serveurs dans un centre de données du point d'échange Internet DE-CIX (Deutscher Commercial Internet Exchange) à Francfort-sur-le-Main, Allemagne.
©YANN SCHREIBER / AFP

Arnaque intellectuelle ?

Une nouvelle tendance promue par le Shift Project consiste à s’attacher à notre consommation de données pour évaluer les impacts du numérique. Cette nouvelle tentative de protection de l'environnement a-t-elle du sens ?

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

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Atlantico : Comme vous le faisiez remarquer sur Twitter, le législateur se prépare à demander à nos fournisseurs de téléphonie et d’accès Internet à faire figurer sur nos factures une évaluation de l’équivalent CO2 dérivant « directement » de notre consommation de données. Pourquoi qualifiez-vous cette nouvelle mesure d’arnaque intellectuelle ?

Pierre Beyssac : On peut répondre à plusieurs niveaux.

D'abord, l'empreinte énergétique et équivalent CO2 des réseaux informatiques relève essentiellement de coûts fixes indépendants du volume de données transféré : on peut citer notamment le fait d'allumer les équipements -- ceux-ci consomment de l'électricité même à vide --, mais également le reste de leur cycle de vie (fabrication, reyclage, etc). Le chiffre du CO2/gigagoctet est trompeur : il n'est pas proportionnel au nombre de gigaoctets
transférés. L'analogie avec le CO2/kilomètre publié pour les voitures est donc une fausse évidence.

Par ailleurs, la vidéo représentant une portion significative du trafic d'Internet, on serait tenté de lui imputer la proportion correspondante du CO2 lié à la consommation de l'infrastructure. Cependant, il s'agit là aussi d'un choix arbitraire : il n'existe aucun élément sérieux pour établir que ce choix représente la causalité des empreintes. Malgré cela, on voit fleurir dans de nombreuses articles récents des infographies présentant comme une évidence le lien entre le volume de données et le CO2.

On peut d'ailleurs vérifier facilement en consultant les éléments de consommation énergétique publiés par les opérateurs que la croissance considérable du volume des données ne s'est pas concrétisée par une consommation énergétique proportionnelle, celle-ci étant restée à peu près stable.

La croissance de l'empreinte des réseaux est plutôt proportionnelle à leur couverture géographique, et celle-ci est arrivée largement à maturité en Europe. Les efforts de mutualisation entre opérateurs, pour éviter de multiplier inutilement les antennes en zone peu dense, aboutissent également à stabiliser l'empreinte.

Comment évalue-t-on le poids en équivalent CO2 du volume de données ? Ces estimations sont-elles actuellement surestimées ?

Les études existantes sont peu détaillées sur les méthodologies précises.

En général, on évalue d'un côté l'émission d'équivalent CO2 sur un périmètre variable, d'une étude à l'autre, de l'activité de l'entreprise.  L'Ademe indique ainsi qu'elle n'a pas inclus les boutiques des opérateurs, ni les fonctions support, en raison de la complexité de leur évaluation. Par ailleurs, on regarde les
chiffres de trafic du réseau. Et enfin, on divise tout simplement les deux.

En raison de nombreuses erreurs et périmètres variables, on a vu ces résultats varier ces dernières années par un facteur 20 à 50 à la baisse. Il reste difficile de savoir si les chiffres publiés aujourd'hui ont un sens. Ainsi l'Ademe, en liaison avec la loi AGEC, a fourni une estimation de 50 g CO2eq/gigaoctet mais à ma connaissance n'a publié aucun document détaillant le calcul.

Surtout, il faut être conscient que cette estimation ne permet pas de dire qu'en consommant 1 gigaoctet de plus ou de moins sur ma liaison Internet, j'émettrai la quantité correspondante de CO2 en plus ou en moins. Or, toute la communication grand public sur la sobriété numérique nous dit l'inverse !

Cette mesure peut-elle avoir des effets pour la protection de l’environnement, comme elle le prétend ? A quel point est-elle inefficace ?

L'empreinte sur l'environnement sera au mieux négligeable. Tout le monde s'accorde d'ailleurs pour affirmer que l'empreinte de la fabrication du matériel est largement majoritaire, et particulièrement dans un pays à l'électricité peu carbonée comme la France. Il est donc bien plus important de conserver nos équipements le plus longtemps possible, au besoin en les faisant réparer. On peut également éteindre notre box Internet ou notre ordinateur lorsqu'ils ne sont pas utilisés, ce qui aura un impact plus notable bien que réduit en raison des faibles puissances mises en jeu.

Cette nouvelle mesure témoigne-t-elle de l’inefficacité des politiques publiques pour réduire notre impact environnemental ? Peut-on y voir une énième tentative d’instaurer des réglementations qui ne possèdent pas de véritables fondements ?

En effet. La démarche est marquée par des intentions louables mais aussi par l'envie de légiférer à tout prix sur les sujets brûlants. Or les bonnes intentions ne sont pas suffisantes pour mener des politiques publiques pertinentes.

La sobriété n'est pas une fin en soi : elle doit s'appuyer sur des éléments tangibles démontrant son utilité.

On court aussi le risque de saturer ainsi le grand public avec des informations sans pertinence faisant perdre de vue les actions réellement utiles.

On peut également craindre que le calcul du CO2 justifie dans le futur des taxes carbone en rapport, qui s'appuieraient donc sur une
évaluation fantôme.

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