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Pourquoi les tentations de revenir à la taxe carbone révèlent une fascination mortifère de la France pour le contre-exemple énergétique allemand
©LOIC VENANCE / AFP

Taxe Carbone

Dans le cadre de l'objectif de réduction des émissions de CO2, 86 députés ont fait paraître une tribune dans Le Figaro exigeant le retour d'une taxe carbone plus équitable. Même si Emmanuel Macron et Benjamin Griveaux ont annoncé leur opposition à cette idée, elle révèle l'ampleur de la mauvaise influence allemande.

Tristan Kamin

Tristan Kamin

Tristan Kamin est ingénieur en sûreté nucléaire. Son compte twitter : @Tristankamin

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Atlantico : Dans le cadre de l'objectif de réduction des émissions de CO2, 86 députés ont fait paraître une tribune dans Le Figaro exigeant le retour d'une taxe carbone plus transparente. Pourtant, selon un article publié par Forbes, la politique énergétique française conduirait à une hausse des prix de l'électricité qui éloignerait les consommateurs d'une énergie décarbonée, et conduirait ainsi à de mauvais résultats en termes d'émissions de Co2. Cet argument est-il recevable ? 

Tristan Kamin : On a tendance à mal faire la séparation entre « énergie » et « électricité ». Dans certains – nombreux – pays, où le couplage est très fort entre les énergies fossiles et l’électricité, l’amalgame entre les deux n’est guère dérangeant. En France, au contraire, le lien entre les deux est beaucoup plus ténu, la faute (ou grâce) au nucléaire. À titre d’exemple : une taxe carbone de 30 € par tonne de CO2 (le niveau actuellement appliqué aux carburants) appliquée à l’électricité et ses 20 millions de tonnes de CO2 en 2018 représenterait 600 millions d’euros à prélever sur une consommation de 475 milliards de kilowattheures : cela représente 0,13 centimes par kilowattheure, soit moins de 1% du prix actuellement facturé. Ainsi, cette taxe carbone qui a été massivement rejetée par la population lorsqu’appliquée aux carburants est quasiment insignifiante lorsqu’appliquée à l’électricité. Donc non, en France, en théorie, une taxe carbone ne conduit pas à une hausse notable des prix de l’électricité, parce que celle-ci est bas-carbone.

En quoi la taxe carbone pourrait-elle être contre-productive en ce sens ?  

Dans mon raisonnement précédent, je considère une taxe dont le montant est lié aux émissions de gaz à effet de serre. En revanche, si l’on taxe l’électricité au nom « du climat » ou « de la transition écologique », mais avec des montants plus ou moins arbitraires et, surtout, sans lien avec les émissions de gaz à effet de serre du secteur électrique, alors le terme de « taxe carbone » est une usurpation. Alors, en effet, cela peut dissuader le recours à l’électricité bas‑carbone et, au contraire, favoriser l’usage d’énergies fossiles.

Quelle serait la trajectoire politique la plus appropriée dans un objectif de réduction des émissions ? 

Je pense qu’il faut raisonner secteur par secteur, et non pas chercher une solution globale qui agirait positivement sur tous. Par exemple, le secteur électrique n’a plus qu’une faible marge de progrès sur ses émissions de gaz à effet de serre, et devrait être passé à l’arrière-plan : il faut simplement s’assurer de continuer à aller dans le bon sens et à long terme, sans se focaliser plus que nécessaire dessus. Le secteur du résidentiel et tertiaire (essentiellement le chauffage des logements, bureaux, commerces, bâtiments publics…) a, lui, une forte marge de progression que je pense facile à faire bouger : remplacement rapide du chauffage au fioul, limitation, voire réduction, du chauffage au gaz naturel, rénovation thermique... Le tout au profit, par exemple, des pompes à chaleur (qu’elles prélèvent la chaleur dans l’air, l’eau de mer ou la terre, peu importe) et, sous conditions, à la biomasse. En l’occurrence, une taxe carbone me paraît être un outil pertinent, surtout si elle est fléchée vers des aides pour réaliser la transition. Un outil peut être insuffisant, mais pertinent.

Dans le secteur des transports, en revanche, si la marge de progression est évidemment énorme, réduire les émissions ne s’annonce pas simple. En particulier, il semble nécessaire de développer des alternatives avant de parler de taxer. Car auprès des usagers qui n’ont pas ou peu de marges de manœuvre, une taxe carbone est ressentie non pas comme une mesure incitative mais comme une sanction.

On pourrait de la sorte prolonger la réflexion au secteur de l’agriculture, de l’industrie, etc., chacun ayant ses spécificités.

Dans son article, Forbes évoque une pression de l'Allemagne sur la France pour aller en ce sens. Quelle est la réalité de cette pression ? 

Si je ne peux me prononcer sur sa réalité, les motivations sont en tout cas assez transparentes, au-delà de l’aversion idéologique des allemands pour le nucléaire.

Aujourd’hui, l’Allemagne a deux parcs électriques. Son parc de moyens de production pilotable (environ 100 GW) sur lequel elle repose pour s’assurer un approvisionnement en électricité à tout moment, y compris en l’absence de vent et de soleil. Et son parc éolien et solaire (environ 100 GW aussi), dont la production n’est pas pilotable, on la dit « fatale ». Par définition, son parc « pilotable » suffirait à alimenter le pays, et d’un point de vue énergétique et économique, son parc « fatal » la met en situation d’énorme surcapacité. Qui dit surcapacité dit prix de marché bas, et notamment à chaque fois que le vent abonde.

Dans de telles conditions, les charbonniers et gaziers peinent à être rentables, et le solaire et l’éolien le sont grâce à des subventions qui pèsent lourd sur la facture des consommateurs. Or, le parc nucléaire français, composé de réacteurs nucléaires qui produisent, peu importe la météo, une électricité peu coûteuse (compte tenu du fait que le coût d’investissement du parc historique est aujourd’hui amorti), contribue considérablement à tirer vers le bas les prix du marché ouest-européen. On comprend donc l’intérêt de l’Allemagne à inciter la France à réduire la voilure nucléaire.

En plus de cela, la politique allemande semble déterminée faire du pays la plaque tournante du gaz en Europe de l’Ouest, avec notamment au programme un terminal méthanier pour importer du gaz naturel liquéfié depuis l’outre-Atlantique, et un gazoduc (Nord Stream 2) pour importer de Russie. Or, en l’état actuel des technologies, une réduction de la production nucléaire en France serait vraisemblablement compensée, au moins partiellement, par une hausse de la consommation de gaz. Ceci étant dit, le bénéfice potentiel pour l’économie allemande apparaît flagrant.

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