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Pourquoi les solutions d'Emmanuel Macron contre le chômage révèlent sa compréhension lacunaire des problèmes d'emploi en France
©PATRICK KOVARIK / AFP

Déni

Dans l'Emission politique du vendredi 6 avril, Emmanuel Macron donne sa vision du marché de l'emploi, visiblement imperméable à la macroéconomie et semble reposer l'ensemble de sa pensée sur la responsabilité individuelle.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Lors de l'émission politique de ce jeudi 6 avril, le candidat Emmanuel Macron a pu réagir à de nombreuses reprises aux questions d'autres intervenants sur la question du chômage et des licenciements. A cette occasion, Emmanuel Macron a mis l'accent sur la question de la formation, et sur sa volonté de voir les français "entreprendre" davantage. En mettant à ce point l'accent sur la responsabilité individuelle, Emmanuel Macron ne rate-t-il pas la réalité du marché de l'emploi actuel ?

Mathieu Mucherie : Macron est imperméable à la macroéconomie. En macroéconomie, une fois que la banque centrale s’est exprimée, on connait pratiquement le taux de chômage pour l’année prochaine. C’est ce que disait Krugman (qu’on ne peut pas suspecter d’être monétariste !!) il y a 20 ans, et c’est pire de nos jours bien entendu du fait des pouvoirs croissants de la FED, de la BCE et des autres : si vous voulez savoir où va aller le taux de chômage, regardez ce que fait Draghi et, comme il n’est pas Dieu, laissez un peu de place à d’autres facteurs (réglementation, aspects budgétaires et fiscaux,… ) qui influeront un peu sur les chiffres après la virgule. Ce n’est pas de la théorie, c’est très concret. Les pays qui disposent d’une politique monétaire accommodante ou adaptée à leur cycle, avec une banque centrale aux petits soins, enregistrent un taux de chômage compris entre 3% (Suisse et Japon, les deux champions du Quantitative Easing) et 6% (Allemagne, Suède, Royaume-Uni), avec les USA entre ces deux blocs. C’est aussi grosso modo les chiffres que l’on trouve en Corée, en Israël, à Taiwan, en Australie, etc. Les pays qui ont abandonné leur politique monétaire à d’autres s’en sortent moins bien, par ordre décroissant de proximité à l’ancre monétaire et à l’optimalité monétaire : la France (10%), Italie (13%), l’Espagne (18%), la Grèce (22%)…

Il n’est pas le seul à être imperméable à la macro. Je vous ai souvent parlé ici de Fillon qui croit que les déficits d’aujourd’hui font les hausses de taux d’intérêt de demain, comme si l’expérience japonaise n’était d’aucune utilité, et comme si les années 30 relevaient du Pléistocène. Les grands patrons font la même chose, tout le temps. L’autre jour, un de ceux qui gèrent des centaines de milliards d’euros (ça fait peur) a dit (et il en était fier) que réclamer des gains de productivité de 1,5%/an était bien le minimum pour l’Etat et pour la France, vu qu’une telle ambition pour son entreprise serait considérée comme archi-médiocre. Il ne se rend pas compte de ce qu’il dit. Il oublie que, dans sa boite, pratiquement tout le monde est bac+5, polyglotte et mobile. Le français statistique, celui de la réalité macro, a fortiori celui qui est au chômage, est bac-2, peu mobile. La France n’est pas une entreprise, pas même une collection d’entreprises. Sur 67 millions de gens dans ce pays, 49 millions ne travaillent pas dans une entreprise du secteur privé, marchand et lucratif. Et ce qui fonctionne à petite échelle ne fonctionne pas toujours à grande échelle, par exemple on ne peut pas tous être (par définition) « compétitifs ».    

Que peut révéler une telle vision du monde du candidat 'En Marche !" ? Quelles sont les autres réalités qui pourraient lui échapper en partant de tels postulats ? 

Peu de réalités lui échappent, c’est un malin : c’est d’ailleurs ce que je lui reproche, il est très bon pour la détection des réalités, là où nous aurions besoin d’un Président visionnaire capable de forger les réalités de demain, capable de tenter les rapports de force que cela implique. Les seules réalités qui lui échappent sont sociales, parce qu’il n’a jamais fréquenté que des diplômés, et territoriales, parce qu’il n’a jamais été élu ; mais le plus grave, ce n’est pas ça.    

Il sait bien qu’une réduction forte et pérenne du chômage en France supposerait un train de réformes si ambitieux qu’il ne pourrait pas se faire sans une forte dévaluation préalable (comme avec De Gaulle / Rueff), pour lisser l’effort. Mais c’est un politique. Ce qui implique une croyance très cynique : les électeurs ne comprennent pas et ne comprendront jamais les aspects monétaires. Forcer la BCE à ne pas casser le prochain cycle c’est se heurter aux centristes, aux allemands, c’est prendre des risques avec peu d’alliés ; alors qu’un nouveau numéro sur l’ISF, sur le RSI, sur le RSA, sur l’IS, sur l’IR, c’est nettement plus rentable électoralement. Tous les politiques mainstream le savent depuis Schröder au moins : les réformes, il faut en parler, mais ne pas les faire, car sans accompagnement monétaire les réformes vous écartent du pouvoir pour une décennie au moins. Alors il faut en parler et s’agiter un peu, libéraliser quelques trajets de bus, mais ne surtout rien faire sur le fond, et miser plutôt sur les nouveaux médias, sur une bonne agence de com’, sur le look (Trudeau), et sur quelques marqueurs microéconomiques facilement lisibles pour Madame Michu (l’impôt à la source, la réforme de la taxe d’habitation, le service citoyen de 30 jours, etc.).     

Quel est le danger, pour les chômeurs eux-mêmes, d'une telle vision et de l'application d'un programme qui en découle ?

De nombreuses catégories sociales vont souffrir avec Macron président. D’abord, tous les gens raisonnables, réalistes, rationnels, s’il en reste. Tous ces gens vont voir ce pays se transformer pendant 5 ans en une grosse Belgique, le sens de l’humour en moins : car il faudra bien aller chercher des voix à droite et à gauche, Macro ne pourra pas gouverner qu’avec des ordonnances, et le 49.3 est un fusil à un coup. Un vaste bazar, fort peu propice aux réformes structurelles ambitieuses. Si vous avez aimé la quarantaine de députés frondeurs des années Hollande, vous allez adorer les 200 députés « dragués » du mandat Macron, sans parler des soixante députés frontistes, des trente députés melanchonnistes, etc. Le concours de clientélisme commence en juin ; les guichets (qui étaient déjà nombreux dans ce pays !) vont bientôt se multiplier. 

Ensuite, les chômeurs. Au début, ils seront un peu moins nombreux, grâce au QE des années 2015-2019. La démographie et diverses mesures occupationnelles joueront aussi un rôle, sans parler de tous ces emplois de vigiles que l’on crée en dépit du climat de sécurité qui règne après les années Hollande. Ceci dit, les chômeurs vont morfler, parce que dans la logique du Commandante Macron ils n’ont pas le bon goût de créer leur propre boite. Ce n’est pas vraiment la France qui gagne et que l’on a envie d’exposer à Las Vegas, en plus ils ne votent pas Macron, ils n’ont jamais été considérés par la droite et par les syndicats (qui ne défendent que les insiders). Ces tire-au-flanc qui n’habitent pas dans les centres-villes, qui ne mangent pas bio, qui n’ont même pas fait l’ENA et qui osent refuser deux offres issues des gens très compétents de pôle emploi, ça suffit. On va les réduire, on va tordre leur courbe, enfin on va essayer, car aussitôt que la BCE terminera son QE ou remontera ses taux, vers 2020 peut-être, toute cette microéconomie de bazar à base de tripatouillage des heures d’ouverture le dimanche fera pschiiit, et en 2022 les frustrations feront un retour en force. Un nouveau mandat pour rien, et ensuite le gouffre.     

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