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Pourquoi les révélations de Jérôme Cahuzac sur la corruption et le capitalisme de connivence valent mieux que l'usage qu'en fait leur auteur
©Reuters

Economie parallèle

Finalement, le procès Cahuzac a une vertu majeure : celle de mettre des mots et des aveux sur ce que tout le monde savait ou croyait savoir concernant le financement des partis politiques. On aurait bien tort d’en déduire un générique "Tous pourris", qui donne l’impression qu’une simple purge du personnel des partis suffirait à résoudre le problème. Bien au-delà de cette vision simpliste, c’est le destin même de nos démocraties qui s’éclaire, et c’est un coup de projecteur sur les mécanismes déterminants le gouvernement profond qui est donné.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Les phrases choc de Cahuzac sur le financement des partis

Durant son procès, Cahuzac s’est donc livré à quelques aveux dont la presse a surtout retenu qu’ils impliquaient Michel Rocard. En particulier, il a replacé l’ouverture de ses comptes en Suisse dans le contexte général du financement des partis politiques par des entreprises. Celles-ci étaient (et sont probablement encore) plus ou moins priées de "payer l’impôt révolutionnaire" en échange d’une contrepartie publique (comme l’ouverture d’un supermarché sur le territoire d’une commune, par exemple).

Et en quoi consistait (et consiste encore) "l’impôt révolutionnaire" ? En un versement direct d’argent sur les comptes d’un parti politique, souvent par l’intermédiaire d’un tiers de confiance.

Épiphénomène ou système ?

Il serait dommageable de ne pas donner à ce témoignage la dimension systémique qu’il mérite. Dans le monde de bisounours qui nous est souvent présenté par les médias subventionnés, le citoyen lambda peut avoir le sentiment que les décisions sont prises selon des principes de rationalité politique ou économique, ou selon des affiliations idéologiques.

Cahuzac a l’avantage de brutalement mettre un nom, un visage, un parcours, sur la face immergée de l’iceberg politique : l’étroite imbrication entre les élus qui gouvernent et les entreprises qu’ils réglementent et qui les financent. Le sujet unique du procès Cahuzac est là : dans l’industrialisation d’un système qui finit par dessiner la mécanique du gouvernement profond. Industrialisation du financement des partis, d’un côté, où une sorte d’économie parallèle se dégage, fondée sur une corruption et un trafic d’influence à la source de toutes les grandes décisions publiques. Industrialisation de cette corruption, avec des entreprises qui organisent l’influence qu’elles peuvent avoir sur les élus et les lois en "investissant" de façon prévisible afin d’obtenir la bonne prise de décision.

Moralisation ou industrialisation de la corruption ?

Ce système, Cahuzac l’a dit, existe de longue date. La loi de 1988 sur le financement des partis va faire mine d’y mettre un terme. En réalité, elle va accélérer son industrialisation. Brutalement, en effet, le financement du parti politique ne se décide plus au restaurant du coin, autour d’une bonne tête de veau arrosée d’un Gamay approximatif. Ce n’est plus l’affaire de l’élu local qui monte une combine dans son coin. Tout cela devient trop dangereux, et cette pratique est d’ailleurs lâchée en pâture à l’opinion.

La réglementation (comme toujours est-il tentant de dire) ne supprime pas les mauvaises pratiques : elle les "élitise", élimine les "petits" et favorise les acteurs industriels. C’est ici qu’un Cahuzac devient essentiel. Il faut désormais échapper aux contrôles trop stricts et aux opérations trop visibles. Le compte en Suisse (ou dans tout pays garantissant le secret bancaire) devient inévitable. Il faut un homme-lige pour réaliser l’opération, puis aller retirer l’argent versé pour le réinjecter, en liquide, dans le système. Tout ceci suppose une organisation en bonne et due forme, avec des possibilités de versement à l’étranger et une maîtrise des flux financiers suffisante pour ne pas se faire démasquer. Et des hommes de confiance que le "système" tient et qui tiennent au "système". Des Cahuzac donc.

Pourquoi Cahuzac plutôt qu’un autre?

Pour faire le sale boulot, un Cahuzac est une pièce maîtresse, une sorte de genre idéal. Il est médecin, et pour les laboratoires pharmaceutiques, il est donc un ami et un confident. Il maîtrise accessoirement à merveille le sens des décisions réglementaires que souhaitent les laboratoires pharmaceutiques. Il est ambitieux mais n’est pas énarque. ll a donc tout intérêt à pactiser avec le diable, car le diable peut accélérer sa carrière et lui ouvre des portes inattendues. Il est, au fond, totalement dépendant de ses financeurs, de ses mécènes, et c’est la meilleure garantie que ces entreprises pharmaceutiques puissent avoir pour leur retour sur investissement.

On comprend mieux ici l’importance, pour le gouvernement profond, de toute cette cour, de toute cette technostructure qui "usine" les décisions publiques. Ces gens-là sont au confluent des deux mondes, ils en constituent en quelque sorte la couche poreuse. D’un côté, ils ont la technicité complexe indispensable au fonctionnement de la machine étatique et réglementaire. De l’autre, ils sont à l’écoute des intérêts qui s’expriment, et profitent à plein de leur industrialisation. Plus le groupe d’influence à la manoeuvre est puissant, plus le technicien aux ordres est enthousiaste : les bénéfices qu’il peut attendre de son trafic d’influence n’en seront que plus élevés.

Gouvernement profond et syndication de la connivence

Parce qu’il repose sur l’intervention d’une technostructure poreuse, le gouvernement profond qui oriente les décisions publiques à son profit (par exemple, par l’intervention d’un Cahuzac, la décision de mettre sur le marché un médicament dangereux, mais remboursé par la fameuse et bienfaisante sécurité sociale, dont on ne compte plus les victimes) pratique la syndication industrielle de la connivence. Pour gouverner discrètement mais efficacement, le gouvernement profond a besoin d’une caste qui fait écran et qui agit loyalement dans la défense de ses intérêts.

Pour s’assurer de cette loyauté, le gouvernement profond a besoin de l’organiser, de l’animer et de la nourrir. Cette animation s’appelle les cabinets ministériels pléthoriques, les clubs et les cercles d’influence, comme le Siècle, les thinks tanks, et toutes ces sortes de lieux où le grenouillage est recommandé pour faire une carrière. Jusqu’à l’engloutissement total du navire.

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