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Pourquoi le protectionnisme ne ferait qu’aggraver la crise
©CHRISTOF STACHE / AFP

Mauvaise solution

La crise sanitaire sonne comme une nouvelle dénonciation de la mondialisation. Mais il n'est pas certain que les mesures préconisées pour y remédier soient positives pour les pays développés.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : La remise en cause de la mondialisation au nom de la souveraineté nationale permet-elle d’imaginer une solution économique à une sortie de crise par le haut ?

Michel Ruimy : La mondialisation, telle que nous la vivons, fait l’objet de vives critiques depuis longtemps déjà. Elles sont loin d’être infondées. En effet, si la libre circulation des marchandises, des capitaux et des hommes a eu des effets positifs (sortie de la pauvreté pour des millions de personnes, réduction globale des inégalités entre les pays…), elle a eu aussi des conséquences néfastes. Tous les domaines sont concernés : économie, finance, santé, environnement... Avec la crise sanitaire, les critiques ressurgissent avec vigueur.

Par ailleurs, le versant économique de la souveraineté nationale est, peu ou prou, le protectionnisme. Celui-ci n’est envisageable que s’il s’applique à des produits dont la nationalité peut être clairement établie. Or, pour un nombre de plus en plus élevé de produits, la valeur ajoutée est trop dispersée pour identifier cette nationalité. Se protéger contre des importations peut ainsi conduire à ne protéger qu’un nombre d’emplois limités, à pénaliser la production et les exportations des biens et services qui les utilisent et, parfois, à taxer indirectement des exportations nationales.

Une fois ce constat effectué, quelle conclusion en tirer ? Que cette situation doit être corrigée ? Oui, mais comment ? En relevant le niveau des protections aux frontières, comme beaucoup le préconisent des deux côtés de l’échiquier politique ? Le risque est grand que les mesures prises par un pays entraînent des mesures de rétorsion de la part de son partenaire commercial (cf. tensions commerciales sino-américaines) et, au final, dans ce genre de situation, c’est le plus fort qui l’emporte. La hausse des droits de douane ? Elle n’est pas la panacée. A supposer que celle-ci existe ou qu’elle puisse être trouvée en un laps de temps relativement court, elle aura probablement un coût plus élevé que la solution initiale. Pour les pays développés, non seulement il n’est pas certain que la production d’un bien puisse être relocalisée mais il est probable que le consommateur aura à payer un prix plus élevé.

En fait, la recherche par chacun de son intérêt immédiat joue aujourd’hui contre les pays développés. Ils l’ont compris, mais un peu tard. La conscience de cet intérêt les a tous poussés à investir dans le Sud-est asiatique, attirés par une main-d’œuvre bon marché (un peu moins vrai aujourd’hui) et/ou la possibilité d’accéder à un très grand marché. La concurrence a été tellement vive que, pour obtenir les autorisations nécessaires et trouver des partenaires locaux, ils ont tout accepté, y compris les transferts technologiques qui se retournent aujourd’hui contre eux.

Si la crise sanitaire sonne comme une nouvelle dénonciation de la mondialisation, elle a pris une tournure de repli sur soi. En conclure que l’on doit aller vers une démondialisation n’est pas nécessairement une bonne idée. Gardons en tête que les mea culpa prononcés lors de la crise financière de 2008 n’ont abouti qu’à des changements minimes et à la mise au pas des mauvais élèves du libéralisme comme la Grèce.

Pourquoi le recours au protectionnisme économique est-il une solution régulièrement mis en avant dans le débat public, en particulier en tant de crise ?

Au plan historique, certains considèrent que la diffusion des crises peut s’expliquer par l’absence de « leader », ou d’organisations internationales, capable d’imposer des règles empêchant notamment le recours au protectionnisme. Faut-il alors voir, dans le retour systématique du protectionnisme, la démonstration d’une gouvernance mondiale inefficace ?

L’Histoire ne se répète jamais à l’identique. Pourtant, la tentation est grande pour les décideurs politiques d’atténuer les effets de la récession en isolant leur pays des tourments extérieurs : fermer les frontières aux produits étrangers serait un moyen de protéger les industries domestiques (et donc les emplois) de la concurrence internationale, et de répondre aux fortes demandes de soutien formulées par certaines couches de la population particulièrement touchées par la crise. Jusqu’à présent, le monde a résisté à cette tentation mais peut-être que le plus dur reste à faire car les récessions et leurs conséquences font le lit du protectionnisme. Quand la production baisse et que le chômage augmente, l’idée que les échanges avec l’étranger y sont pour quelque chose est séduisante.

Pourtant, il faut être réaliste : aucun État au monde ne pratique complètement le libre-échange. Américains, Japonais, Indiens… appliquent, tous, des mesures de protection commerciale. L’Europe aurait tort de ne pas en tenir compte. C’est pourquoi, il ne faut pas abandonner le libre-échange comme principe. La raison est simple : en France, environ 25% de la richesse nationale dépendent des exportations de l’agriculture, des industries et des services. Or, pour exporter, il faut être capable d’importer. Travailler à améliorer le « made in France » est légitime. En revanche, il serait ridicule d’appeler à n’acheter que des produits français. Que certaines branches d’activités disparaissent alors que d’autres se créent n’est pas, non plus, scandaleux.

En fait, le retour du débat relatif au protectionnisme est révélateur d’une société qui a peur. La crise et le niveau du chômage l’expliquent. Mais, comme le dit l’adage populaire, la peur est mauvaise conseillère ! En même temps, gouverner une démocratie revient à rationaliser les menaces. Il faut se souvenir de la phrase du pape Jean-Paul II adressée notamment au peuple polonais : « N’ayez pas peur ! » (1978). Le message était double : le communisme n’est pas tout-puissant, et surtout, aucun peuple ne réussit de grand œuvre en vivant dans la crainte...

Enfin, le spectre d’un retour massif et brutal au protectionnisme comme réponse à la crise me semble écarté du fait d’une intégration inédite des processus de production. Le détricotage de cette division internationale du travail par tâches plutôt que par produits n’est pas inenvisageable mais il serait long et coûteux. Il est difficile d’imaginer l’ampleur de l’événement qui pourrait conduire à un tel retour en arrière… Néanmoins, si cette situation milite pour un déclin du protectionnisme, elle ne le condamne pas pour autant. De nouvelles formes peuvent apparaître (passation des marchés publics, normes de produits, procédures douanières…), certains secteurs restant demandeurs et certains pays demeurant relativement moins exposés que d’autres à l’intégration verticale.

Les chaînes de production peuvent-elles se réorganiser ou devons-nous seulement apprendre à vivre ensemble ?

La relocalisation en France, ou du moins en Europe, de certaines activités jugées indispensables pour assurer notre indépendance signifie aussi réduire sa dépendance envers les entreprises chinoises et, dans la mesure du possible, rapprocher l’ensemble de ses fournisseurs. Cette intention est louable. À supposer qu’elle ne soit pas oubliée une fois la crise passée, sa mise en œuvre suppose toutefois un certain nombre de conditions et d’abord que les raisons économiques qui ont poussé les entreprises à délocaliser leur activité ou à s’approvisionner à l’extérieur soient modifiées. Ceci ne s’improvise pas. Au plan domestique, cette démarche suppose notamment que les entreprises qui produisent en France soient compétitives.

Par ailleurs, une croissance mondiale plus harmonieuse incluant les pays en développement implique des efforts de la part de ces pays. Elle suppose aussi une coopération internationale plus poussée, qui devrait être élargie au-delà de la politique commerciale, pour inclure la fiscalité, la réglementation… Le moins que l’on puisse dire est qu’on en est loin. Ce n’est pas d’une démondialisation dont on aurait besoin, mais de plus de mondialisation, qui reposerait davantage sur la coopération internationale. Mais, entre ceux qui militent dans les pays développés pour un repli sur soi et ceux qui ne veulent surtout pas d’une intervention des États et préfèrent laisser jouer les rapports de forces imposés par les entreprises, les promoteurs d’une mondialisation profitant à tous, n’ont pas encore gagné la partie. Il n’est pas du tout sûr qu’ils puissent la gagner un jour…

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