Pourquoi la véritable histoire de l'éviction de Delphine Batho est nettement plus complexe que ce qui en a été dit<!-- --> | Atlantico.fr
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Les affirmations de Delphine Batho sur le rôle des lobbies dans son éviction, notamment des lobbies industriels, ne manque pas de troubler les esprits.
Les affirmations de Delphine Batho sur le rôle des lobbies dans son éviction, notamment des lobbies industriels, ne manque pas de troubler les esprits.
©Reuters / Pool New

Faux semblants

Démonstration de force, manque de cohésion gouvernementale, toutes les hypothèses ont été évoquées sur les raisons de l'éviction de Delphine Batho. Mais la vraie histoire de ce limogeage relève de jeux de pouvoir et d'intérêts économiques bien moins transparents.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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De façon assez ironique, c’est au moment même au Najat Vallaud-Belkacem remplissait la presse de considérations féministes et hostiles à l’abominable ordre masculin que le gouvernement dont elle est porte-parole évinçait sans ménagement l’une de ses ministres, pour manquement à la solidarité gouvernementale. Après les innombrables couacs qui ont émaillé la vie de ce gouvernement, les observateurs n’ont pas manqué de relever l’inélégance du procédé : pourquoi s’en prendre à une jeune ministre qui n’est à la tête d’aucun courant et qui ne trempe pas dans la courtisanerie parisienne, quand on ne touche pas aux poids lourds qui la ramènent ? Sinon parce qu’il est plus facile de s’en prendre à Delphine Batho qu’à ses acolytes ? Sinon parce que le petit sérail socialiste l’a prise en grippe quand il ménage des esprits plus dociles ?

Mais au-delà des explications de circonstances, les affirmations de Delphine Batho sur le rôle des lobbies dans son éviction, notamment des lobbies industriels, ne manque pas de troubler les espritsSelon elle, un patron bien connu (Philippe Crouzet, patron de Vallourec, entreprise fabriquant des pipelines, et époux de Sylvie Hubac, directrice de cabinet de François Hollande, NDLR) avait annoncé son départ depuis plusieurs semaines. De fait, courant mars, la presse officielle avait commencé à dire tout le mal qu’il fallait penser de Delphine Batho. Puis l’affaire s’est tassée.

Les adeptes du lobbying savent que des échos négatifs dans la presse sur une personnalité sont souvent suscités par des intérêts obscurs et qu’ils interviennent rarement par l’opération du Saint-Esprit médiatique. C’est une pratique détestable, liée à l’opacité des procédures de lobbying spécifiques à la France : faute de dire officiellement que l’on écoute les forces économiques concernées par les dossiers, on pousse à recourir à des méthodes opaques pour disqualifier les élus gênants ou récalcitrants.

Depuis plusieurs semaines, il était par exemple tout à fait évident que la question du gaz de schiste était devenue un enjeu. Le 5 juin, dans un débat télévisé avec Laurence Parisot, Delphine Batho s’était montrée inflexible sur la modification de la loi sur ce sujet. Une position rigide sur un dossier sensible ne laisse jamais indifférent.

Le 13 juin, Jean-François Rocchi, président du Bureau de Recherche Géologique et Minière (BRGM), mis en cause dans l’affaire Tapie, décide de démissionner. La presse pointe son manque d’empressement à avoir tiré les conséquences de sa mise en examen, et le manque d’empressement du ministère de la Recherche à le pousser au départ. Or le BRGM est le bureau d’études officiellement chargé de conseiller le gouvernement sur le dossier des gaz de schiste. Et Jean-François Rocchi est connu pour être un sympathisant de l’exploitation de ces gaz.

C’est ici que le dossier Batho prend une dimension troublante. Dans un premier temps, personne ne semble très pressé, au-delà des déclarations d’intention, de procéder au remplacement de M. Rocchi. La nomination d’un président du BRGM est une affaire compliquée: elle suppose un accord de trois ministres: Recherche, Industrie et Environnement. Elle est également très politique : M. Rocchi, démissionnaire, était un homme du pouvoir, et sa nomination fut en son temps décidée à l’Elysée.

La semaine dernière, certains se sont étonnés, dans les allées du pouvoir, de constater que la ministre de la Recherche était finalement très pressée de trouver un successeur à M. Rocchi. Son choix se porte sur M. Laflèche, directeur général de l’INERIS, l’Institut National de l’Environnement et des Risques. Cette brusque accélération de la procédure s’explique-t-elle par un pressentiment qui s’est répandu dans le microcosme gouvernemental : celui d’une mise à l’écart très prochaine de Delphine Batho?

Toujours est-il que M. Laflèche succède rapidement, comme simple administrateur, à Jean-François Rocchi, mais que sa nomination formelle comme président ne prend un tour urgent que très récemment. Au point que son décret de nomination est physiquement apporté en Conseil des Ministres pour être signé le 3 juillet... par le successeur de Delphine Batho, après une course contre-la-montre qui avait bel et bien débuté avant les déclarations tonitruantes de la ministre sur le budget dont elle écope.

Ces quelques éléments incitent donc certains analystes à penser que les déclarations de Delphine Batho ont été, pour l’intéressée, la seule façon de se sortir d’un piège qui devait se refermer quelques jours plus tard seulement. Consciente que son poste était mis en jeu et qu’elle n’en sortirait pas indemne, elle aurait préféré sauter sur l’occasion du budget pour obliger le président à la limoger plus vite que prévu.

Au final, l’opération ne semble pas très propre et manifeste une fois de plus tous les inconvénients de l’opacité française sur les lobbies. Un peu de transparence permettrait de savoir qui pousse à quoi, et dépassionnerait fortement les débats. Il est assez naturel que les intérêts économiques s’expriment. Il est démocratique que les citoyens sachent comment.

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